Chapitre 2 - Pétunia et le centaure

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Notre histoire commence par un beau matin de juin, alors qu’un soleil brillant et chaud veille sur ce jour de marché.

Kathy, derrière son stand de fruits et légumes, surveille Circella qui palpe pommes, melons et autres, de ses doigts aux interminables ongles noirs. Elle renifle également, avec son vilain nez, les citrouilles rondes à la peau d’une belle couleur orange, nacrée de tons châtains.

Dorothée s’occupe de l’emplacement juste à côté. C’est une jeune fille aux longues nattes brunes et au caractère toujours heureux. Pour le moment, elle se charge de mettre en place de superbes gerbes, où jonquilles et marguerites se mélangent tandis que roses et tulipes partagent le même vase. On peut sentir, entremêlées, les exhalaisons d’herbes coupées et de fleurs fraîchement cueillies.

Pétunia, malgré son mauvais caractère, a tout de même une qualité, la seule d’ailleurs ; elle raffole, que dis-je, elle adore les plantes ! De ses doigts, que des bagues argentées boudinent, elle touche délicatement un pétale blanc, hume une odeur de printemps, compose des bouquets audacieux où lys et violettes s’entrelacent. Bref, devant l’achalandage de Dorothée, l’ensorceleuse est dans son élément. Elle pourrait même donner quelques petits conseils à la fleuriste. Mais évidemment, Pétunia déteste partager son savoir, surtout si cela peut aider son prochain. Elle préfère laisser les autres dans leur ignorance et s’amuser de ses erreurs. Heureusement, la botanique est l’unique domaine (avec la magie) où elle a quelques éruditions. La sorcière a plaisir à agrémenter son château de jardinières aux teintes pastel que rehaussent quelques fleurs judicieusement choisies selon les saisons. Bordant la façade de l’immense demeure, elle a ajouté de lourds pots en terre cuite aux couleurs ocre, remplis d’un terreau brun et rouge, où seules des plantes magiques aux reflets dorés peuvent pousser.

Alors qu’une foule de badauds se pressent sur le marché, achetant des pots de miel, des bières sucrées ou du fromage au lait de bulbulle (petit animal enchanté, de forme ronde qu’on ne trouve que dans certaines forêts aux arbres bleus), Crégor, lui, fendant le rassemblement de passants, joue des coudes pour traverser les étals qui ne l’intéressent pas. Crégor est un puissant centaure d’une trentaine d’années aux yeux caramel. Séduisant, il attire le regard des femmes. Il faut dire qu’un léger hâle brun pigmente son torse imberbe tandis qu’en dessous de son nombril cerclé de pierres précieuses, son corps est celui d’un cheval aux poils ras d’une gourmande couleur cacao. Seul Pétunia et Circella froncent leur nez à son approche, les deux sœurs n’aimant pas les hybrides. Et justement, l’épaule de Crégor frôle le petit gilet vert, en laine grossière, de Pétunia. Cette dernière se retourne vivement, avec l’intention manifeste de crier quelques injures à l’encontre du malotru. Lorsqu’elle reconnait la créature mythique, la sorcière a un geste instinctif de recul, comme si ce simple contact l’avait brûlée.

Le centaure est une des rares ʺpersonnesʺ à ne pas craindre les sœurs Sinistrel. Il faut dire qu’il a un passé de guerrier derrière lui. Plus jeune, il a fait partie d’une meute combattant les êtres obscurs, comme les vampires et loups-garous. Il sait se battre et n’a pas peur d’être blessé. Aujourd’hui, il vit simplement à Tourloing après avoir quitté ses proches, suite à une bataille, où malheureusement, beaucoup des siens ont trouvé la mort. Face au visage cramoisi de Pétunia, Crégor réprime à grande peine un sourire.

— Toi ! s’exclame la sorcière avec dégoût.

— Oui, moi.

— Tu m’as bousculée !

— Crois bien que je ne l’ai pas fait exprès. Moi-même j’ai peu apprécié cet effleurement.

— Comment oses-tu ?!

Tout à sa colère, Pétunia, ne se rend pas compte qu’elle broie les tiges des plantes exotiques qu’elle tient à la main. Crégor émet un rire moqueur ressemblant à un hennissement. Puis sans répondre, il passe devant elle, sa longue queue chocolat, fouettant l’air dans un geste railleur.

Pétunia reste quelques instants immobile, figée dans une réprobation froide. Elle se mordille fiévreusement l’intérieur des lèvres et jetant sur le sol les fleurs abîmées, décide de se venger de ce qu’elle considère comme un impardonnable affront.

Le ciel laissant entrevoir un après-midi plein de douceur se gorge soudain d’un noir opaque que zèbrent des éclairs d’un jaune aveuglant. Nul doute que Pétunia est l’auteur de ce temps déplaisant.

Les commerçants, affligés, s’empressent de faire disparaître (par magie ou pas) leurs produits, tandis que les clients se protègent sous leurs parapluies ou grâce à des sorts d’étanchéité. La pluie se met à tomber.

Pétunia, une fois dans son imposant château, monte les marches noires menant à sa chambre. La salle, chichement éclairée par une vieille lampe, couleur sang, ne comporte pour tout meuble, qu’un lit une place, aux draps tachés de substances inconnues, provenant de potions ratées, que furieuse, la sorcière répand n’importe où. Complétant la pièce, un petit guéridon en bois, abîmé par l’usure du temps, et dans un coin, un énorme chaudron en cuivre rouillé d’où s’échappe une épaisse fumée grise sentant l’odeur nauséabonde de boules puantes. Elle s’en approche à petits pas et voyant le liquide bouillir, a un sourire de satisfaction.

— Il me faut une incantation pour que ça fonctionne, ronchonne-t-elle.

Aussitôt, Pétunia se met en quête de son recueil de potions. Elle le découvre, enfoui sous un coussin crasseux, où sommeille une grenouille verte. Elle l’ouvre (le livre, pas la grenouille) et cherche une formule correspondant au sort qu’elle veut lancer. Tournant les pages jaunies, elle repère l’enchantement approprié ; ravie, elle bat des mains comme une enfant, sauf que cela n’a rien de charmant, mais est plutôt inquiétant. Dehors, la pluie résonne lugubrement sur les tuiles du château, se glissant sournoisement à travers les quelques fissures que les années et un manque d’entretien ont fini par créer.

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