V - Antoine

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Chaque fois que je me regarde dans le miroir de ta salle de bain, je vois un fantôme. Ca m'effraie.

Puis je me dis que, finalement, je continue à te faire vivre un peu. L'image est la même, après-tout. Le verre n'y voit que du feu.

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Te retrouver après ces longues semaines sans toi, c'était du bonheur, quelque part. Mais du bonheur teinté d'angoisse. L'angoisse de te perdre à nouveau, de vivre quelque chose d'impossible.

Pourtant, quand j'ai ouvert la porte, c'était bien toi.

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« Salut frangin. Alors, il est bien mon appart' ? »

C'est tellement banal que c'en est flippant. Comment un mort peut-il être aussi... terre à terre ?

Ouais il est bien, ton appart'. Il sent un peu le râton-laveur crevé, on ne peut pas y faire un pas sans taper contre un truc, mais il est cool.

« Et toi, c'était comment, le suicide ? »

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Tu l'as mal pris.

« Je t'emmerde, Antoine. Ce que je fais de ma vie ne regarde personne. Encore moins ce que j'ai fait de ma mort.

  • T'as pas le droit de dire ça. Ce que tu t'es fait, tu nous l'as fait à nous aussi. Pourquoi t'es revenu ? »

Curieusement, le sentiment qui vint immédiatement après la joie de te revoir fut la colère.

La colère d'avoir été trahi. Trahi par toi. Par ce que tu nous as fait.

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« T'as récupéré mes cendres, à ce que je vois.

  • Oui, pourquoi ? Tu veux te les mettre dans le nez, comme la plupart des trucs poudreux qui te tombaient sous la main de ton vivant ?
  • Non.
  • Alors quoi ?
  • Je suis pas là pour t'emmerder, Antoine. Je suis là pour tenir une promesse. »

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Une promesse... T'es pas du genre à faire des promesses. Et moi non plus. De quoi tu parles ?

« Tu te souviens, quand on était gamins... Une randonnée. En quatre-vingt-neuf. »

Des images d'enfance me reviennent en plein cœur.

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« Voilà. »

Il attendit quelques secondes avant de reprendre, histoire de ménager ses effets.

« On s'était dit quelque chose, tu sais. Quelque chose que je n'ai jamais oublié.

  • On s'était promis qu'on y retournerait. Papa avait trente-sept ans, à l'époque. On avait trouvé marrante l'idée de refaire l'ascension plus tard, à son âge. Tous les deux.
  • Et on a quel âge, dans trois jours, mon cher frère ? »

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Joyeux pré-anniversaire, connard de suicidé.

Tu crois que je vais la tenir, cette promesse ? Je préfère encore être hanté jusqu'à la fin de mes jours plutôt que te ramener là-haut.

Tu ne le mérites pas.

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« Ne le prends pas mal. Je sais que vous m'en voulez tous pour ce qu'il s'est passé. J'ai eu la vie que j'ai eue. Ça devait forcément se terminer comme ça.

  • Je vois que t'assumes.
  • De toutes façons, dans mon état, tu penses vraiment que j'ai le choix ? »

Non, effectivement. Il reprend :

« Bon alors, on fait quoi, maintenant ? »

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Je vais te dire ce qu'on va faire.

Tu te casses. Tu t'en vas. Tu ne reviens pas.

« Dégage.

  • Antoine...
  • T'es devenu le Dalaï Lama en même temps que t'es mort, pour tout prendre à la légère comme ça ? Tu te fous en l'air et tu reviens la bouche en cœur pour me parler de montagnes à la con ?
  • Je ne prends rien à la légère. C'est pour toi que je suis là. »

Ça devient lourd, putain.

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« Sors d'ici. »

Je le traîne à la porte que j'ouvre d'une main et le pousse dans le couloir. Il tourne vers moi un regard dans lequel je sens monter une infinie tristesse.

« Antoine... Il y a autre chose. »

J'allais claquer la porte sur lui. Finalement, je retiens mon geste.

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« Quoi?

  • Je ne peux pas m'empêcher d'avoir des doutes.
  • Quels doutes ?
  • Je... je ne sais pas si j'ai vraiment voulu mourir. J'arrive pas à croire à mon propre suicide. T'y crois, toi ? »

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Je ne suis sûr de rien, Noë.

Mais quand la police vient nous voir en disant qu'après enquête ils ont retrouvé une dose mortelle de morphine dans ton sang... Quand on connaît ta vie... Hé bien oui, quand on sait tout ça, frangin, on croit au suicide.

Vaut mieux accepter la chose suivante : t'as tellement déconné que t'en es mort.

« Antoine, je ne me souviens pas de grand-chose de ce jour-là. Mais je me rappelle d'un truc. Un truc important. »

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« De quel jour tu parles ? De celui où je t'ai retrouvé raide sur ton lino pourri ? »

J'en pleure. Ce n'est pas humain de me faire revivre ça.

« Oui. La veille, dans la soirée, j'ai reçu de la visite. La dernière personne que je voulais voir.

  • Quoi, Papa est venu ? » Je sens un petit sourire narquois se dessiner sur mon visage.

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« Non, pas Papa. T'es con.

  • Qui alors ?
  • Sa femme. La femme de Louis. »

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