III - Camille

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Cette fille est venue me voir, aujourd'hui. Une adolescente tout juste arrivée au lycée.

Anaïs.

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Une jolie gamine, très... classique. Petite. Cheveux raides et châtains, yeux légèrement en amande. Un visage rond comme celui d'un enfant. De celles qui ne souhaitent pas se faire remarquer. La légèreté même.

La regarder m'a instantanément touchée. Quelque chose dans sa façon de bouger, de s'approcher de moi... comme si elle glissait sur le monde.

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Je m'étais isolée dans un coin de la salle des profs pour dissimuler une énième crise de larmes.

Ce matin, il est de nouveau apparu. En plein cours, cette fois.

Louis...

Il est entré et s'est installé au fond de la classe sans même me regarder.

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Je n'ai jamais autant pris sur moi. J'ai mis toutes mes forces dans un détachement absolu et l'ai ignoré pendant les cinquante-cinq minutes qui ont suivi. À la fin du cours, il est resté, seul, assis au fond comme si je l'avais puni. Puis il s'est approché.

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Nous nous sommes regardés pendant de longues minutes, connectés, sans rien dire. Son regard portait la fatigue, non, il était la fatigue même. Ses yeux rentrés dans leurs orbites si profondément qu'on aurait dit deux petites billes noires. Et ses cernes... le poids de la vie qu'il avait perdue.

Le poids des remords, peut-être ?

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Anaïs est venue me parler. Elle a attendu le bon moment. J'avais réussi à me calmer un peu, et elle a mis une main sur mon épaule.

D'une voix discrète et avec une infinie douceur, elle s'est présentée. Puis m'a dit une chose qui m'a profondément... rassurée.

« Vous n'êtes pas la seule. »

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J'ai rapidement compris de quoi elle parlait. Elle m'a demandé depuis combien de temps je le voyais, qui il était pour moi, pourquoi je pensais qu'il m'était apparu.

Je ne lui ai pas dit la vérité. Ou plutôt, je lui en ai caché une partie.

Je lui ai dit que Louis a commencé à me hanter peu de temps après sa mort. Qu'il était mon mari.

Et qu'il m'avait trompée.

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Anaïs et moi avons discuté.

Elle est d'une intelligence et d'une sensibilité rares, cette gamine. Elle a quelque chose de si spécial.

Je ne parle pas uniquement de son... de sa ­« clairvoyance ».

Je ne sais même pas comment l'appeler.

Son ­­« don » ?

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Elle les connaît bien. Elle m'a dit deux ou trois choses qui m'ont éclairée, soulagée.

S'ils reviennent, c'est parce que ce n'est pas vraiment terminé. Tout n'a pas été dit. Tout n'a pas été fait. Plus ils tentent de s'imposer, et plus ils éprouvent des regrets, ou des remords.

Pour Louis, je pense que c'est évident. Quand j'ai découvert sa liaison, je me suis sentie tellement... trahie.

Pourtant, je croyais que tout allait bien, entre nous.

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C'est arrivé de manière totalement banale.

Un soir, après avoir consulté ses mails, il est allé prendre une douche. Quelques minutes au cours desquelles j'ai vu ma vie s'effriter entre mes mains.

Mon regard avait été attiré par les notifications incessantes tombant sur sa messagerie instantanée. Ça n'arrêtait pas de clignoter.

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Noë.

Noë. Noë.

Au début, je m'étais dit que ce devait être un collègue. Mais il ne m'en avait jamais parlé. Et il n'était pas avare de détails, concernant son boulot. Cela m'avait étonnée.

Alors, piquée par la curiosité mais pétrie de honte, j'ai commencé à lire cette correspondance qui ne m'appartenait pas.

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Je l'ai frappé, insulté... Je l'ai détesté comme je l'avais aimé : avec passion. Aujourd'hui encore, ces émotions remontent de temps en temps. À chaque fois que je le revois, évidemment. Mais aussi seule, parfois. Un rien peut déclencher un torrent de haine que je ne parviens pas toujours à canaliser. Alors je triche.

Je me suis mise à prendre des cachets. Le médecin a dit que ça me maintiendrait à flot.

Chacun fait ce qu'il peut.

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C'est pour cette raison que j'ai repris le travail très rapidement après sa mort.

Je ne voulais pas mal finir. On est toujours seul face au chagrin, mais quand il n'y a personne autour, la solitude devient acide.

J'ai attendu une semaine.

Puis je suis revenue.

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J'ai retrouvé mes élèves, j'ai tenté de faire mes cours comme avant. Avec le même entrain, la même envie. Je dois avouer qu'il fallait parfois la feindre, cette volonté.

Et quelques jours après, au détour d'un couloir, je l'ai revu.

Louis.

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Je sais que tu m'en veux mais... j'assume ma revanche. De toutes façons, je n'ai plus le choix.

Peut-être que tu n'as pas tant de remords que ça, finalement.

Peut-être que tu es juste là pour me faire payer ce que j'ai fait.

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