Chapitre 10

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  • Mike !

Je criais une bonne dizaine de fois, sans obtenir de réponse.

  • Mike c'est bon, c'était une blague ! Mike !

Je m’égosillais en vain. Tania appelait Jack de son côté, elle aussi sans succès. Je n'arrivais pas à pardonner à Jack. Autant Tania avait l'air d'être réellement désolée, autant lui me semblait être le plus fautif dans l'histoire. Il nous avait forcément vu soigner la jambe de Mike et n'avait pas eu la présence d'esprit d'arrêter ce jeu stupide ou d'aller chercher de l'aide ! Et puis, apparemment, c'était lui qui avait insisté pour faire cette "blague".

Je m'étais lourdement trompé sur son compte. Je l'avais pris pour un mec classe et intelligent, même s'il nous prenait de haut. Puis, quand il nous avait défendu en se sacrifiant, je l'avais pris pour un héros. C'était tout l'inverse ! Il avait sûrement fui comme un lâche en voyant que sa farce prenait une mauvaise tournure.

Tania réessaya d’appeler Jack sur son portable. Mais c'était elle qui commençait à manquer de batterie. Encore sous le choc, je ne pensais même pas à lui demander d’appeler les secours pour Mike, ou même l'école.
La course - j'en étais certain maintenant - devait être terminée. Tous les participants avait dû rejoindre la ligne d'arrivée et devaient s'affairer sur le buffet. Je les enviais amèrement. Ils n’avaient aucune idée de ce que nous avions traversé. Et les populaires du collège se moqueraient sûrement encore plus de moi en apprenant que j'avais cru à "Tania la psychopathe".

Comment avais-je pu me laisser berner aussi facilement ? Mais en y repensant il fallait avouer qu'ils s'étaient bien débrouillés pour rendre l'attaque très réaliste. Tania avait magistralement tenu son rôle, je devais bien lui reconnaître ça.

Le ciel était chargé d'épais nuages sombres et l'atmosphère du sous-bois était pesante. On fouillait activement les environs et Tania me demanda au moins trois fois s'y j'étais sûr que c'était l'endroit où j'avais laissé Mike. J'en étais de moins en moins certain. Un éclair de lucidité me frappa : Mike avait laissé une trace de sang quand on s'était caché précipitamment dans le buisson ! Il suffisait que je la retrouve pour m'assurer que c'était le bon endroit. Enjoué, je regardais attentivement l'emplacement où les branches semblaient être pliées de façon artificielle. Mais il n'y avait rien. Bizarre... C'était forcément l'endroit, j'en étais sûr maintenant. Et pourtant je ne retrouvais pas cette fichue tache de sang. En regardant de plus près je me rendis compte qu'à la place se trouvait des branches cassées. Ou plutôt, arrachées. On avait voulu couvrir les traces !
Non, je devenais parano, tout n'était qu'une blague. Il fallait que je me mette ça dans le crâne, même si ma fierté en prenait un coup.

Cela signifiait qu'une chose : Mike avait voulu masquer son passage. Mais pourquoi était-il parti ? Avait-il finalement préféré m'accompagner, trouvant le temps trop long, ou bien s'était-il risqué à atteindre la ligne d'arrivée ? Mais quand bien même sa résolution prise, comment avait-il pu se déplacer ? La dernière fois il n'était pas aller bien loin, et cela l'avait encore plus éprouvé. Je fis part de mes réflexions à Tania. Elle fit la moue, l'air contrariée.

  • Oui c'est étrange. Il n'a pas pu bouger tout seul. Il pense surement que je te force à faire croire que tout va bien...
  • Mike ! C'est vraiment une blague, dis-nous où tu es ! Il faut te faire soigner au plus vite !, lançais-je une dernière fois.
  • Peut-être que Jack l'a trouvé et, en voyant qu'il était blessé, l'a amené directement voir les secours...
  • Oui mais pourquoi avoir dissimulé son passage. Il aurait dû nous prévenir ! Même s'il n'avait plus de batterie, il aurait pu graver un mot sur un tronc ou sur le sol, par exemple.

Plus j'y pensais et plus je trouvais que ça ne tournait pas rond : quelque chose qui clochait, mais je n'arrivais pas à identifier quoi. Je me relevai en soupirant ; ça ne servait à rien de rester ici.

On décida alors d'aller chercher de l'aide auprès des professeurs. Bien qu'elle appréhendait la punition qui lui serait réservé pour avoir participé à ce canular, Tania pressait le pas. Au moins, elle n'était pas perdue et se repérait facilement à travers le bois dense. Elle me prévenait des racines trop téméraires qui semblaient prendre un malin plaisir à agripper mes pieds patauds et me déviait les ronces lacérantes. Malgré ça, je me pris une bonne dizaine de griffures sur les mollets. Au loin, on entendait le roulement sourd du tonnerre qui se rapprochait.

On rejoignit rapidement notre parcours initial. Le décor m'était de nouveau familier. Quelle ironie ! Je n'aurais jamais pensé être si heureux de trouver une balise. En tout cas, j'aurai plus de chose à raconter de la course cette année.

La fatigue me rattrapait et des gargouillements bruyants m'indiquaient qu'il fallait impérativement me nourrir. Tania n'avait pas d'eau et également très faim. Son portable était HS, et le mien ne tarderait pas non plus : la lampe torche s'était allumée dans la poche de Tania. Pff, quelle galère ! J'avais hâte de rentrer chez moi, et de retrouver Mike, bien sûr.

La balise en bois n'était plus qu'à quelques mètres seulement de nous à présent. Mais quelque chose n'allait pas : l'énigme en noir avait été recouverte par de grosses lettres d'un rouge douteux. Au fur et à mesure que nous nous rapprochions, la température de mon corps dégringola. Les lettres, d'abord floues, se dévoilèrent sous nos yeux horrifiés. Quatre mots y étaient peints :

VOUS ÊTES LES PROCHAINS !

La personne s'y était prise à plusieurs fois, car l'alignement des lettres n'était pas parfait et le liquide avait coulé un peu partout. Mon cerveau se refusait à croire cette image. La pression de la main de Tania me fit prendre conscience du corps qui gisait quelques mètres plus loin. Adossé à un arbre, Mike nous regardait de ses yeux vitreux, la bouche béante et légèrement ensanglantée.

Je n'arrivais pas à en détourner le regard et nous restâmes un moment sans voix, pétrifiés par ce spectacle qui s'imposait à nous. Tania réprima un sanglot et articula avec peine :

  • John... Sa jambe...

Elle ne finit pas sa phrase, trop choquée pour continuer. Mon regard se posa alors sur ce qu'elle me montrait. Une énorme entaille ensanglantée remplaçait le garrot que j'avais confectionné un peu plus tôt. Il s'était vidé de son sang... Je retins un hoquet de dégoût et me retournait pour cracher de la bile.

Tania, qui m'avait semblé si forte jusqu'à présent, se mit à pleurer et je la joignis aussitôt. Les larmes dégringolaient de nos visages livides, et traçaient des petits sillons plus clairs en enlevant la fine couche de poussière.

Je dus me tenir sur mes cuisses, car mes jambes tremblantes pouvaient se dérober d'un instant à l'autre. Tania m'aida à rester debout et, sans échanger de paroles, s'approcha courageusement du corps de Mike. Elle prit une profonde inspiration et lui referma les yeux d'une main tremblante. Je fus quelque peu soulagé de ne plus voir ce regard figé par la peur. Mais cela m'enleva par la même occasion tout espoir que ce soit toujours la blague.

Il avait visiblement beaucoup souffert et j'essayais de ne pas me torturer l'esprit en me demandant si l'hémorragie avait été rapide. La vie l'avait quitté depuis assez de minutes pour que de grosses mouches y trouvent refuge. D'un geste rageur je les chassais, sachant qu'elles reviendraient vite à la charge. Pauvre Mike ! Je regrettais amèrement les pensées que j'avais eu à son égard et ravalait ma salive. Ma tête tournait, et bien que je sois à l'air libre, j'étouffais. Mes mains en étau autour de ma tête, je me répétais que c'était un cauchemar et que j'allais me réveiller dans peu de temps.

Au lieu de ça, une voix familière s'éleva dans les airs et entama un décompte à l'envers :

  • Dix... Neuf... Huit...

Tania compris immédiatement la situation et sans plus attendre, m'agrippa le bras et me tira violemment. Nous nous élancèrent à corps perdu sur le sentier.

La vraie course venait de commencer...

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