Chapitre 8

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Mon moral ne devait pas flancher, pas maintenant : j'avais pris ma décision et m'y tiendrais. Aussi dangereuse était-elle, je devais faire face à Tania.

Je me levais et, ne quittant pas pour autant mon bâton, m'avançais sur le sentier délimité. Ne sachant pas vraiment où aller, j'écoutais mon instinct et pris à droite. Je ne me retournais pas vers Mike qui me soufflait à mi-voix « Bonne chance » : il m'énervait profondément.

Je sais, c'est dur, mais je ne pouvais m’empêcher de lui en vouloir. Pourquoi était-il tombé ! Une partie de moi pensait que je ne serais pas en train de risquer ma vie en ce moment si Mike n'avait pas trébuché sur cette stupide branche et ne s'était pas empalé dessus.

Chassant ces mauvaises pensées, je me focalisais sur mon plan. Car si j'avais énoncé mon idée à Mike, je n'en avais pas clairement défini les étapes. À nouveau seul, j'observai le paysage monotone qui m'entourait. Au-dessus de moi, deux écureuils jouaient dans les pins, sous le regard bienveillant des rares oiseaux que j'apercevais dans les branches. Habituellement égayé par ce spectacle, je n'en appréciai pas le jeu. Pire, cela me renvoyait au fait que nous ne pouvions pas nous cacher dans les arbres. J'accélérais le pas.

Plus j'avançais, et plus j'avais du mal à me visualiser frappant Tania avec mon arme de fortune. Pourtant je devais le faire, pour Mike, pour moi.

Je devais marcher depuis cinq bonnes minutes quand un courant d'air glacial me parcourut l'échine. Des pas raisonnaient derrière moi. Perdu dans mes tactiques d'approche, je n'y avais pas vraiment prêté attention, mon subconscient pensant que ce devait être Mike.
Mais maintenant ma conscience tirait la sonnette d'alarme : Mike était blessé, ne pouvait pas marcher, et c'était même moi qui lui avait dit de rester caché. Qui que ce soit, cette personne au pas assuré, ne pouvait pas être Mike...

Mon cœur s'emballa à nouveau. Ça devenait une habitude : si je m'en sortais, j'irais faire un check-up. Je préférai faire comme si j'étais maître de la situation et maintins mon rythme, laissant la personne me suivre. Seule ma main droite enserra le bâton plus fort, jusqu'à m'en blanchir les phalanges.

Les pas se rapprochèrent rapidement et je me laissais dépasser. La chevelure ondulée me tournait le dos maintenant et s'était arrêtée trois pas environ devant moi.

Tania ne bougea pas immédiatement, attendant sans doute que j'entame la discussion. Ce que je fis, avec beaucoup moins d'assurance que je ne l'avais prévu :

  • Tania, ça doit cesser et tu le sais aussi bien que moi. Ce "jeu" a pris fin avec Jack. Ne reproduis pas la même...

J’hésitais à dire le mot erreur de peur qu'elle ne le prenne mal et me tire dessus :

  • ...tragédie.
  • Ce jeu sera fini quand je l'aurais décidé.

Elle se retourna, son sourire sadique sur les lèvres :

  • Tu es décidément bien têtu. La première fois, j'ai pris ça pour du courage ou de la folie, mais cette fois je crois bien que c'est de l'insolence de te pointer ainsi devant moi.
  • C'est que...

Je bredouillais, mes mots ne sortaient pas dans le bon ordre. Le plan ne se passait pas du tout comme prévu ! Elle m'avait devancé et pris de court.

  • Tu ne respectes pas mes règles. Tu devais rester caché et JE devais te retrouver. Mais puisque tu es devant moi, je crois bien que tu n'atteindras jamais la ligne d'arrivée... en vie.

Son rire résonna comme les trompettes de la mort.

  • Non attend ! Je m’excuse, c’est vrai que c'était stupide. Ma main droite serrait toujours le bâton à m'en faire mal aux phalanges.
  • Tu comptais me frapper avec ? (Son doigt pointait en direction du morceau de bois) C'est bien ce que je pensais : l'insolence.

Elle ne riait plus maintenant.

Lentement elle leva le flingue sur moi. À cette distance j'étais sûr qu'elle ne me raterait pas. Je n'aurais même pas le temps de me jeter sur le côté. Paniqué, je ne savais plus comment gagner du temps. Tout ce que je savais c'est que Mike ne me porterait pas secours. Ma seule chance : un promeneur impromptu qui appelle les secours. Bien que cette folle serait capable de l'abattre lui aussi sur le champ !

  • Mais d'abord, avant de mourir, tu vas me conduire à notre ami commun.
  • Mike ?!

J'étais soulagé de ne pas être (encore) mort, mais la tension ne redescendait pas ; je ne gagnais qu'un peu de répit. J'improvisais d'une voix blanche :

  • Je ne sais plus où il est. On s'est quitté comme ça, il s'est caché et moi je suis parti à ta recherche pour euh - inutile de faire référence au bâton, c'était ça qui avait failli me coûter la vie - pour te raisonner. Je n'ai aucune idée de sa cachette et même si je le savais, je ne saurais même plus retrouver mon chemin...
  • Ça tombe bien, moi si. Et je suppose que ton ami a envie que tu le retrouve. Du coup, il ne doit pas être bien difficile à débusquer.

L'absurdité de la situation me laissait sans voix. J'avais quitté Mike, déterminé à botter cette folle quitte à y perdre ma vie - bien que ce point n'avait jamais été clairement défini - et j'allais revenir vers lui non pas avec des renforts mais avec Elle ! C'était pire qu'échouer, c'était le trahir ! Dans son état il ne pourrait même pas fuir.

Je me sentais pitoyable et si le flingue ne m'obligeait pas à avancer, je me serais assis par terre pour pleurer toutes les larmes de mon corps. Ce qui, certes, n'aurait servi à rien. Un lâche. Voilà ce que j'étais. Si seulement j'avais eu le cran d'abattu le bâton sur le flingue, ou tenté quelque chose ! Mais au lieu de ça, j'avais préféré dialoguer avec cette cinglée. D'ailleurs, si j'étais honnête, ce n'était pas réellement pour raisonner Tania, je savais qu'elle ne m'écouterait pas. Depuis qu'elle avait tué Jack, elle était devenue instable et discuter avec elle n'était qu'une perte de temps.

Non, si j'avais entamé la discussion c'était pour essayer de sauver ma peau, de trouver une alternative. Que j'eus un bâton ou une arme à feu n'aurait rien changé. Avec l'arme j'aurais tenté de lui faire prendre conscience qu'on risquait tous les deux notre vie ; voyant qu'elle s'en serait sûrement fichu, j'en serais arrivé au même résultat. Je voulais qu'on me porte secours ! Mon corps, paralysé, ne parvenait pas à porter l'action décisive.

Mike était en danger par ma faute. Il aurait pu rester caché et attendre les secours d'autres équipes, de promeneurs ou d'un garde forestier. Au lieu de ça, je devenais le moyen de sa mort, guidant Tania jusqu'à lui...

Quel beau résultat !

Tania me pressait d'avancer plus vite, son flingue dans mon dos. J'avançais tel un automate, sans vraiment réfléchir à ce qui allait suivre. Mes jambes avaient pris le contrôle de mon corps et j'avais la sensation qu'elles auraient pu marcher seules. Nous ne faisions presque pas de bruits, mais les quelques animaux que nous croisions s'enfuyaient à notre rencontre, comme s'ils flairaient le danger. Plusieurs fois, je faillis trébucher sur un enchevêtrement de racines.

Les premiers groupes avaient dû atteindre la ligne d'arrivée. Et les autres ne tarderaient pas à finir cette maudite course. Quant à moi, on ne remarquerait mon absence que bien après, lors de l'appel par le prof pour rentrer en classe... Car j'étais le seul du groupe à être du collège. Mike, Tania et Jack venaient d'un collège voisin. Jack... Je n'arrivais pas à me sortir l'image de son corps baignant dans la mare de sang.

Tremblant de la tête aux pieds je comprenais que cette fois c'était vraiment la fin. Il n'y avait aucune échappatoire. Cette dingue allait trouver Mike et nous flinguer. Ou, s'il s'était bien caché, elle se vengerait cruellement sur moi, en prenant tout son temps. Mon esprit commençait à imaginer les pires choses qui me seraient réservées, quand, soudain, elle s'arrêta brusquement derrière moi. Le flingue qui jusque-là était resté collé sur mon flanc ne l'était plus.

Transpirant à grosses gouttes, je n'osais pas me retourner de peur de la contrarier, et m'arrêtai également. Le souffle court et parfaitement immobile, j'attendis la suite. Mes pensées se dirigeaient maintenant vers ma mère et mon petit frère. J'aurais tellement aimé les revoir une dernière fois ! Plus que tout, j'aurais voulu entendre ma mère me dire que tout allait bien se passer, même si je savais pertinemment que c'était faux.

D'une voix autoritaire Tania me demanda de me retourner lentement, les mains sur la tête. Je m'exécutais avec difficulté, le cœur serré par l'angoisse. C'était fini, elle n'avait pas trouvé Mike et j'allais en payer les conséquences. L'idée que lui serait peut-être sauvé ne me calma pas du tout. Au contraire, j'en voulais à la terre entière, et surtout à moi-même, d'avoir fait cette course, qui au final, me coûterait la vie.

Me sentant au bord de l'effondrement, je voulus tenter le tout pour le tout et crier au secours. De toute façon elle allait tirer sur moi tôt ou tard. Je pris une grande inspiration.

C'est alors qu'elle explosa de rire, les mains - dont l'une tenait l'arme – posées sur ses cuisses, les jambes légèrement fléchies. C'était un rire franc et sain. Je me rappelle très bien l'effet contrasté de peur mélangé à l'incompréhension qui devait se lire sur mon visage à ce moment précis. Ma tête bouillonnait, mes pensées se fracassaient les unes sur les autres, j'avais dû louper un truc. Ou alors, c'était une nouvelle facette de cette folle. Ce qui était fort probable.

  • John ! Tu as été fantastique !

Elle pleurait de rire maintenant. Hébété, je ne sus même pas quoi répondre : elle avait clairement perdu la raison. Elle me regardait d'un air taquin et malicieux. Soudain, avant que j'eus le temps de réagir, elle leva le flingue sur moi et appuya sur la gâchette. Le souffle coupé, je fermais les yeux par réflexe.

PAN !

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