Chapitre 1

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Chaque année au cours du mois d'octobre, le proviseur organisait un parcours à travers la pinède qui s’étendait derrière le collège. L'idée était simple : partir des poteaux bleus et arriver aux poteaux rouges de l'autre côté. En courant, le trajet pouvait se faire en une demi-heure, mais vu qu'il fallait respecter les balises, on mettait en général une heure.

Comme d'habitude, le proviseur nous expliqua les règles du jeu. Il tapota le micro et commença : « Vous serez par groupe de quatre avec les personnes de votre choix. Le départ se fera ici et vous devrez rejoindre mes collègues à l'autre bout de la pinède. Des balises ont été placées un peu partout pour vous guider. Sous chaque balise figure une énigme que vous devrez résoudre pour trouver la prochaine... ».

Je détestais ce moment de l'année parce qu'en général je me retrouvais toujours seul, personne ne voulant de moi. Du coup, on essayait de me refiler à un groupe qui m'accueillait à coup de railleries.

Une fois, j'avais demandé à ma mère de sécher mais elle avait refusé : les fonds récoltés par la participation de chacun revenaient à une œuvre caritative. Sur ce domaine, il était inutile d'insister. Bref, une charmante journée en perspective !


Dès le discours terminé, les groupes se formèrent rapidement et je me retrouvai une fois de plus dans le rôle du fardeau à caser. L'équipe des loosers du collège était à mon grand soulagement déjà complète. En effet, je préférais encore être dans une équipe qui me rejetait que de me retrouver avec Kevin le blaireau à lunette ; Justine, que l'on surnommait l’intellectuelle bien que n'ayant pourtant que la moyenne dans toutes les matières ; Mathieu, un mec bizarre qui parlait tout seul et Victor, qui se contentait de sortir avec Justine.

Je sais bien qu'agir de la sorte c'est faire exactement la même chose que ceux qui me rejettent. Mais même si je ne suis pas sociable, je ne me vois pas aller avec des marginaux. D'ailleurs, ils ne voulaient pas non plus de moi et semblaient se moquer également. Ils étaient soudés dans leur différence, mais comme de tout temps, les populaires du collège s'en prenaient à eux. La différence avec moi c'est que je ne rentrais dans aucune case.
Ni populaire, ni réel paria ; ni moche, ni con, mais je n'étalais pas non plus ma science. Je m'étais habitué à ma solitude et les choses étaient restées ainsi.


C'est alors que je remarquais qu'un groupe de trois me souriait. La fille du groupe m'invita d'un signe de la main. Je crus d'abord à une blague, mais elle insista et je les rejoignis d'un pas hésitant.

Le proviseur déclara : « Bien, je vois que tout le monde a trouvé un groupe. Vous pouvez avancer sur la ligne de départ. Dès que le signal sera donné, la course débutera. Rendez-vous de l'autre côté pour le goûter. Bonne chance à tous ! »

On se dirigea alors tous vers la ligne. J'avançais comme un automate. Mon cerveau venait de se débrancher. Lorsque je ne contrôle pas la situation c'est en général ce qui se passe. Je ne savais pas comment réagir face à cette soudaine attention à mon égard.
Je restais méfiant. Mieux valait s'attendre au pire dans ce collège que de souffrir inutilement.

La fille me présenta au groupe : Mike Roberth, Jack Johnson et Tania Vladkov. Mike me serra la main et il me sembla que son sourire, parfait de surcroît, était sincère. Il avait l'air du mec bien dans sa peau, qui pouvait devenir populaire en un claquement de doigt.

Jack me ressemblait physiquement. Plutôt grand et élancé, les cheveux bruns et courts. Par contre, question vestimentaire, on était vraiment à l'opposé. Comme vous avez pu le comprendre je ne suis pas du genre à me démarquer et m'habille simplement. Jack portait, lui, un élégant veston gris ainsi qu'un pantalon noir qui lui donnait une allure impeccable. Lorsque je lui demandai pourquoi il n'était pas en tenue de sport, il me répliqua gentiment, mais avec un léger ton supérieur, que cette course pouvait très bien se gagner sans courir et que sa tenue était prévue pour tout type de situation. Cette dernière phrase sous entendait la qualité exceptionnelle de ses vêtements et je préférai ne pas en connaître le prix.

Enfin, mon regard se posa une nouvelle fois sur Tania. Elle avait à peu près ma taille. Ses cheveux auburn et ondulés étaient lâchés et lui arrivaient un peu plus bas que les épaules. Elle rayonnait naturellement, sans artifice, ce qui, pour moi, était signe d'une grande beauté. Elle portait un pantacourt bleu clair avec un chemisier blanc et des baskets blanches.

Comme je restai un moment sans rien dire, elle se mit à rire un peu gênée et m'invita à me présenter. Croisant ses yeux verts profonds, je bafouillai mais réussis à me faire comprendre :

  • John... John Marshal.

Quel imbécile je faisais ! Je m'en voulais de perdre mes moyens aussi facilement. Surtout devant une fille. Je poursuivis :

  • Comment ça ce fait que je ne vous ai jamais vus ?

Je parlais surtout pour Tania, mais ne voulais pas vexer les autres. Elle me répondit avec joie :

  • On n'est pas de ce collège. Notre course a été annulée cette année. Mais on voulait vraiment la faire. Et puis on dirait qu'on a bien fait de venir, conclut-elle avec un regard complice.

Son sourire fendit mon armure et je me détendais un peu. Ce n'est qu'avec le recul, aujourd'hui, que je me rends compte de la bizarrerie. Comment avaient-ils eut le droit de participer ? J'avais l'étrange impression qu'ils me connaissaient et qu'ils ne m'avaient pas choisi par hasard.

La ligne de départ était représentée par un trait vulgairement tracé à la bombe blanche. Tout le monde était dans les starting block. Les professeurs étaient très pointilleux sur le règlement et vérifiaient bien qu'aucun n'élève ne morde la ligne. Comme si cela changeait quelque chose à deux millimètres près !

Pour la première fois, l'excitation me gagna. D'un coup les énigmes ennuyeuses devenaient un défi et je décidais d'être indulgent avec la facilité du jeu. C'était mon moment social. Pour une fois, j'allais m'amuser avec des gens normaux qui étaient sympas. Et, il y avait Tania. Je décidai donc de profiter de l'instant présent.

Peut-être que cette fois-ci, mon premier ressenti n'était pas infondé et que j'aurais dû m'écouter...

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