Héritage - 1/2

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Odette, maîtrisant sa peur, faisait face à la manifestation énergétique du maléfique dragon. La vieille femme maintenait sans mal, la protection magique qui entourait sa petite-fille. S'adressant à l'esprit de Rékaël, elle lui ordonna :

— Va-t'en !

Elle eut un bref mouvement de la main ; son énergie s'amplifia sensiblement, le bouclier qui protégeait Penny et Odette s'étendit à toute la maison. L'envahisseur fut violemment repoussé, son essence spirituelle regagna son corps, sonnée et furieuse. Rékaël n'avait pas anticipé que sa proie bénéficierait d'une telle défense. Il apprenait par l'action d'Odette, qu'il ne lui serait pas facile d'approcher la jeune fille et de l'enlever. Il songea : "Je vais devoir employer les grands moyens !"

Pour l'heure le dragon se sentait faible, sa rencontre avec la sorcière semblait avoir aspiré son énergie. Alors qu'il se recroquevillait dans la grotte en frissonnant, la voix de Lophalia, pleine de satisfaction, s'adressa à lui :

"Aurais-tu rencontré un problème, Rékaël ?"

La mauvaise humeur du dragon s'accrut. "Fiche le camp." dit-il

Il rassembla ses dernières forces, établit un barrage, interdisant ainsi à la licorne de l'atteindre davantage. Il resta là, les yeux grands ouverts suant de colère et jurant que cet échec cuisant ne se reproduirait plus.

****

Dans la maison aux roses, Penny, les yeux encore embués de sommeil, se demandait si elle évoluait dans un rêve ou plutôt dans un cauchemar. Posant un regard interrogatif sur sa grand-mère, elle cherchait une réponse. Odette, en tremblant, reprenait place sur le canapé. Une peur rétrospective l'envahissait. La vieille femme cilla, inspira et expira, ses craintes s'effaçaient un peu ; elle fixa sa petite-fille qui demanda :

— Mamy, que s'est-il passé ?

Elle secouait la tête comme si elle voulait chasser de son esprit l'étrangeté de cette soirée.

Odette tenta d'éluder :

— Si tu le veux bien, nous en parlerons demain, il est déjà tard, il est temps de se reposer.

— Parce que tu crois que je vais arriver à dormir ? s'écria-t-elle.

L'aïeule se rapprocha de Penny et l'enlaça. En découvrant que la jeune fille tremblait de tous ses membres, elle la berça doucement en lui murmurant des paroles de réconfort. L'adolescente se laissa aller entre les bras aimants d'Odette. Ses tensions s'apaisaient, comme lorsque, petite, un chagrin ou un autre, la plongeait dans l'une de ses colères enfantines qui désespérait sa mère.

La jeune fille, tranquillisée, déclara :

— Cette énergie m'a semblé familière.

Odette l'écarta doucement d'elle en demandant :

— Que veux-tu dire ?

— Je crois qu'il s'agissait du dragon que j'ai vu en rêve, dans la voiture ce matin.

La vieille femme faillit repousser cette explication venant de sa petite-fille, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Une énigme s'imposait et la plongeait dans le désarroi. Elle sut qu'elle ne pourrait pas la résoudre seule :

— Je connais quelqu'un qui pourra nous aider à y voir clair.

Elle se leva du canapé, Penny l'imita en demanda :

— Et qui donc ?

La vieille femme l'incita à la suivre tout en révélant :

— Ludovic Gallier.

— Le vieux rebouteux ?

— C'est surtout un ami.

Penny fronça les sourcils.

— J'ai le souvenir d'un vieux très agressif.

— La dernière fois que tu l'as vu, tu venais de piétiner son jardin aromatique, tu avais cinq ou six ans, je crois. Évidemment qu'il t'a grondé ! Je t'assure cependant que c'est quelqu'un de très gentil.

— Si tu le dis ! soupira l'adolescente pas vraiment convaincue.

Odette l'entraîna hors de la pièce en ajoutant :

— Nous devons dormir à présent.

Penny ne protesta pas plus. Sa grand-mère l'accompagna jusqu'à sa chambre, l'y laissa, et rejoignit la sienne. L'épuisement la gagnait, mais aussi l'inquiétude. Ces vacances qui auraient dû être un enchantement pour Penny, menaçaient de se transformer en cauchemar. Le pire pour Odette ? Ne pas avoir anticipé ces événements.

D'un autre côté, comment aurait-elle pu le prévoir ? La magie n'existait pratiquement plus sur terre ; quant aux créatures fabuleuses, il était communément admis qu'elles avaient toutes disparues.

Ses questions, elle devrait attendre le lendemain pour les poser, mais son ami de toujours aurait-il les réponses ?

Ainsi, durant le temps où elle se prépara à dormir, ses interrogations se télescopèrent dans son esprit. Quand elle s'allongea dans son lit, ses réflexions continuèrent leur folle sarabande, Odette sut que sa nuit serait blanche...

****

Penny se leva au moment où le soleil embrasait sa chambre d'une profusion de couleurs chaudes, sept heures venaient de sonner. Finalement, l'adolescente ressortait de sa nuit reposée. La veille, eut égard à l'épisode inopiné du dragon, elle était restée longtemps les yeux ouverts, avant que le sommeil l'emporte et qu'un endormissement brusque et sans rêve, la surprenne.

La jeune fille bondit de son lit jusqu'à la fenêtre, pour l'ouvrir. Ensuite, elle récupéra sa trousse de toilette dans l'armoire, quelques vêtements et quitta sa chambre pour la salle de bains.

Cette énergie qui la parcourait effaçait presque la terrifiante expérience de la veille. En sortant de la douche, l'adolescente se remémora sa terreur. Un frisson la saisit, elle attrapa un drap de bain et s'essuya avec vigueur afin de chasser les méandres invisibles et glacés qui l'envahissaient. Sans vouloir s'accorder une importance quelconque, elle comprenait que la créature effrayante, qui s'était manifestée au sein de la maison de sa grand-mère, la visait personnellement. Quelle en était la raison ? Cette question, plus qu'aucune autre, et avec elle, son éventuelle réponse la terrorisait à l'avance.

Elle chassa tant bien que mal sa peur, termina sa toilette et quitta la salle de bains, l'esprit agité d'incertitudes.

Elle retrouva sa grand-mère au rez-de-chaussée. La vieille femme s'activait dans la cuisine. De bonnes odeurs de pain grillé, de lait chaud et de café flottaient dans la pièce. Odette pivota vers Penny.

— Bonjour, tu as bien dormi ?

— Très bien ! assura l'adolescente.

— Tant mieux, installe-toi, je suis sûre que tu as très faim !

— Un peu, c'est vrai, mais tu n'as pas besoin d'aide ?

— Penses-tu, tout est déjà prêt.

En parlant, elle posa sur la table une corbeille remplie de viennoiseries, elle y ajouta une baguette, finement tranchée et légèrement brunie par le grille-pain. Odette utilisait peu cet objet offert par Patricia, à l'occasion d'une fête des mères. Passant outre ses habitudes, la vieille femme avait décidé de préparer à Penny un petit-déjeuner complet.

L'aïeule versa dans un bol, une boisson onctueuse, d'où émanaient de gourmands arômes de chocolat vanillé. Ravie, l'adolescente se crût ramenée à son enfance, à l'époque Odette concoctait chaque matin ce délicieux breuvage pour elle. Petit à petit la grand-mère abandonna cette habitude. Qu'elle renoue avec cette tradition, ravissait l'adolescente, mais la surprenait. Un peu inquiète, Penny contemplait la vieille femme qui posait à présent sur la toile cirée, un pot de miel, un autre de confiture et du beurre demi-sel.

Elle s'installa à son tour, après avoir versé dans un mug de faïence, son café habituel. La jeune fille pour sa part, commença à se restaurer. Odette, sans la quitter des yeux, buvait son arabicat à petites gorgées sans mot dire, puis elle engagea la discussion, juste des propos légers, aucune évocation de l'événement de la veille ; Penny ne put décider si cela la soulageait ou pas, mais accepta ce mutisme de la part d'Odette. Plus tard, alors que Penny terminait ce premier repas de la journée, l'aïeule demanda :

— Veux-tu finir le chocolat ? Il en reste un fond dans la casserole ?

L'adolescente refusa poliment et, parce qu'elle était intuitive, s'enquit à son tour :

— Vas-tu évoquer à présent ce qui s'est passé hier soir ?

Le visage ridé, et fatigué de la vieille femme, s'emplit de tristesse, avant qu'elle ne réponde :

— Je ne pensais pas avoir à en discuter un jour.

Intriguée, Penny la dévisageait, mais attendait la suite, qui ne tarda pas.

— Il existe une tradition ancienne dans la famille, qui se transmet par les femmes. Ta mère refusa cet enseignement, et me demanda instamment de ne jamais t'en parler.

— Pourquoi ?

L'aïeule haussa les épaules :

— Elle n'y croit pas ou plus, ce qui revient à la même chose. Il y a longtemps qu'elle a embrassé la seule rationalité. Pour ne pas couper les ponts avec elle, et donc toi, j'ai accepté de me taire sur cet héritage, mais l'incident inattendu d'hier change la donne, Je suis contrainte à présent de te faire part de cette tradition. Mon héritage est à présent le tien.

Odette fit une pause que l'on pouvait qualifier de dramatique, mais Penny restait suspendue à ses lèvres, elle demanda dans un souffle :

— Quelle sorte d'héritage ?

— Dans la famille et depuis des temps immémoriaux, nous sommes druidesses de mère en fille...

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