Livres Anciens et Potager

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La voix d'Aden la tira de sa contemplation muette :

— Alors c'est toi, Penny ?

Elle frémit, parut sortir d'un rêve, pour finir par balbutier :

— Quoi ?... Heu... Oui... Penny Martin...

Mécaniquement, elle lui tendit la main, il y glissa la sienne qu'elle trouva chaude et douce, et rougit de plus belle, tandis qu'il répondait en lui décochant un sourire éblouissant :

— Aden Gallier.

Cette fois, la jeune fille sentit une chaleur insidieuse et embarrassante envahir son corps. Elle lâcha brusquement la main du jeune homme et s'éloigna un peu trop rapidement. Les sourcils bruns de l'adolescent se froncèrent :

— Quelque chose ne va pas ?

En essayant de reprendre contenance, l'adolescente répondit sur un ton qu'elle espéra assuré :

— Tout va bien !

La voix un peu forte de Penny attira l'attention des anciens qui ne manquèrent pas de remarquer le feu qui brûlait ses joues. Ils échangèrent un regard entendu, puis Ludovic lança à son petit-fils :

— Va donc me chercher quelques tomates dans le potager, pour le déjeuner, et emmène Penny avec toi.

Il acquiesça, puis invita l'adolescente à le suivre, d'un sourire. À cet instant-là, une partie d'elle aurait souhaité refuser, mais une autre, qu'elle découvrait niaise, l'incitait à rester avec ce garçon, diablement attirant. Penny fixa sa grand-mère qui lui souriait en semblant lui dire : "Vas-y, qu'est-ce que tu risques ?"

"Ma fierté." Pensa-t-elle, in petto. La jeune fille se surprit, malgré tout, à emboîter le pas au bel Aden. La porte de bois se referma derrière eux, et les anciens restèrent seuls. Ludovic, hilare, s'exclama :

— Hé bien, la petite Penny vient d'être conquise au premier regard.

— Il semble en effet que le petit-fils a hérité du charme ensorceleur du grand-père. Hum... Je devrai peut-être les rejoindre pour les surveiller.

— Aden aime flirter, mais compte sur lui pour agir en parfait gentleman.

— C'est cela qui m'inquiète, tout comme son aïeul je le soupçonne de posséder l'art de manier le verbe et de dispenser les compliments.

Le ton à moitié sérieux d'Odette amusa Ludovic, il reprit ensuite son sérieux, et l'invita à s'asseoir en demandant :

— Si tu me racontais, l'événement d'hier soir ?

Elle accepta, et narra la scène avec précision. Quand elle eut terminé, Ludovic en réfléchissant murmura :

— Un dragon à l'aura rouge et argentée, cela m'interpelle...

Il pivota vers une bibliothèque de bois dur sculptée de gargouilles grimaçantes, traversa le salon, contourna une banquette de cuir craquelé et s'arrêta devant des étagères ployant sous des livres couverts de poussière. Odette l'y suivit. Le vieil homme tira de sa poche un antique lorgnon qu'il posa sur son nez, puis il examina les titres inscrits sur les innombrables ouvrages qui remplissaient le meuble. Certains semblaient si anciens, que l'on ne voyait presque plus leurs dénominations. Les arabesques calligraphiées avaient, depuis longtemps, laissé leurs belles couleurs dorées, dans le passé. Ne restaient que quelques éclats, qui étincelaient de façon fugitive.

Le vieillard en choisit un, en cuir, dont la couleur grenat virait au rose fané. Le titre par contre, apparaissait intact :" Bestiaire Mythologique - Tome 1 - Les Dragons".

En le saisissant, des volutes argentées s'envolèrent, Ludovic toussa, éternua et s'exclama : "J'avais demandé au gamin de nettoyer !" D'un revers de main, il chassa la saleté qui l'entourait, puis revint vers Odette en disant : "Asseyons-nous !" Le vieillard désigna le canapé, sur lequel il prit place, son amie l'y rejoignit et il commença à feuilleter l'ouvrage...

*****

Dehors, les jeunes gens se tenaient devant la barrière entourant le jardin. Divisé en deux parties, le potager et les plantes aromatiques, ces lieux foisonnaient de vie. Aden ouvrit le portillon qui fermait l'enclave, les gongs grincèrent, il entra sur le jardin, Penny hésita à faire de même. Le souvenir de son enfance remontait en elle, les accents contrariés de la gronderie du vieillard aussi. Cependant la voix d'Aden l'incita à y pénétrer, associée à l'un de ses sourires qui faisait d'ors et déjà fondre la jeune fille, alors elle avança, avec précaution sur la partie potagère.

Elle veilla à rester à la lisière du carré de légumes, tandis qu'Aden habilement, zigzaguait entre les plants de haricots, de salade, de petits pois, sans jamais les effleurer. Une fois arrivé aux plants de tomates, il sortit un petit sac de jute de sa poche, et débuta sa récolte. Penny l'observait, en se sentant idiote d'être fascinée, alors qu'il ramassait simplement quelques olivettes. De temps à autre, il lui rendait ses regards, ce qui la laissait démunie et... muette. Agacée par sa réaction, elle jeta maladroitement un pont entre eux :

— Alors tu es ... en vacances ici ?

Il se redressa, la jaugea avec une certaine hésitation, avant de répondre en glissant une dernière tomate dans son sac :

— En quelque sorte...

Il la rejoignit en quelques enjambées. Penny remarqua le jean un peu terreux qu'il portait et son tee-shirt à la couleur grisâtre, taché et froissé. Pourtant elle ressentait toujours cette attraction irrésistible. La jeune fille décida d'y résister pour insister auprès de lui :

— Comment cela en quelque sorte ?

Il soupira, puis posa son chargement sur le sol, avant de soulever son pantalon pour dévoiler sa cheville droite sur laquelle clignotait un bracelet électronique. Penny en resta muette et désarçonnée.

Maintenant l'adolescent la regardait avec défi. La jeune fille sortant de son mutisme déclara :

— Alors tu es une sorte de.... Heu... délinquant ?

— Je ne me considère pas comme un délinquant.

Le visage de Penny s'emplit d'incompréhension, et ses yeux noirs se teintèrent de perplexité :

— Pourquoi ceci alors ?

Elle désignait l'objet clignotant. Il haussa les épaules, sourit malicieusement et proposa :

— Disons une erreur ?

— Tu te moques de moi !

Là, elle était contrariée. Il laissa retomber le tissu du pantalon qui dissimulait le bracelet en déclarant mystérieusement :

— Pas du tout, l'histoire jugera si cela en était une, si les hommes sont toujours là pour l'écrire.

Il conclut :

— Rentrons à présent.

Il ouvrit le portillon de l'enclos, s'effaça et l'invita à le précéder. Penny sortit de l'enclave potagère, sans oser insister.

*****

Les deux amis assis côte à côte, étudiaient le livre que Ludovic feuilletait. En même temps il ânonnait : "Ce n'est pas un spécimen d'eau, ni de sable et encore moins de glace, un dragon de terre ?... Non plus... Hum... Ah ! Je le tiens, un Dragon de feu..." Soudain, son visage se figea, ses doigts tremblèrent, son lorgnon s'échappa de son nez et tomba sur l'image haute en couleur qu'il désignait à Odette. Là, il était effrayé. La vieille femme à ses côtés partageait son effroi. Elle murmura : "Est-ce possible ?"

Tous deux contemplaient l'enluminure effrayante, sous laquelle était écrit : « Le maître du Néant, Rékaël. »

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