Paraître n'est pas Être.

6 minutes de lecture

Le cliquetis des clefs contre la porte de l'appartement résonna dans le couloir. Puis la poignée s'abaissa et la porte s'ouvrit sur la modeste demeure de David. Comme à son habitude, il referma à double tour derrière lui, une vieille manie qu'il avait gardée depuis qu'il était dans le métier. Il abandonna ses chaussures renforcées pour une paire de pantoufles confortable, posa son trousseau dans le tiroir prévu à cet effet et se dirigea vers le salon. Les stores étaient à moitié fermés ; non pas qu'il ait de réels soucis avec des voisins curieux, il était au sixième et dernier étage de son immeuble mais à cette heure-ci le soleil donnait sur son appartement. La température devenait vite insupportable.

David passa derrière le bar séparant son salon de sa cuisine et commença à se préparer une infusion. Ce petit plaisir n'était jamais négligé à son retour du travail, une autre habitude. Il attrapa la télécommande et alluma le poste de télévision fixé au mur face à lui, tandis que l'eau chauffait. Il regarda sa montre, vingt heures et deux minutes. Parfait, il arrivait juste à temps pour le journal du soir.

Marchant avec prudence, sa tasse en main, David prit place dans son fauteuil. Mais très vite, il fut gêné par un objet visiblement placé au mauvais endroit, il se leva un instant et se saisit de l'objet indésirable dans sa poche arrière. Son badge de police. Il l'avait presque oublié. Il le déposa sur la table basse face à lui et reprit sa tasse, se laissant bercer par les différents reportages du journal. Les premiers étaient d'un ennui mortel : incidents au Moyen-Orient, braquage dans le sud de la France, produits bio faisant un tabac en région parisienne. Rien d'exaltant. Jusqu'à ce que ses oreilles entendent :

- [...] Fait divers maintenant. Un corps calciné aurait été retrouvé dans une cave abandonnée aux alentours de Pessac, près de Bordeaux. Selon les premières analyses, il pourrait s'agir du corps du commissaire Adam Nigel disparu, on vous le rappelle, depuis maintenant trois jours. Le corps a été découvert suite à l'appel de riverains ayant senti une forte odeur de brûlé, croyant à un début d'incendie. Notre envoyé spécial sur place, Nathanaël Forgeard, va nous en dire plus...

Et David augmenta le volume de la télévision, tout en se penchant en avant, le regard sévère.

 

***

 

- Putain d'merde...

Il n'avait pas pu se contenir en voyant le corps. Recroquevillé sur lui-même, ce qu'il restait du cadavre semblait encore hurler de douleur. Le légiste et son assistant effectuaient déjà les premiers prélèvements. Le capitaine Gabriel Thorn, lui, restait là à scruter cet amas de cendres et de chair calcinée. Le paquet rouge de cigarettes posé dans la bouche noircie n'était qu'une confirmation de ce que Thorn avait déjà deviné. Le message "Fumer tue" entouré et souligné avec insistance au feutre noir, la marque de cigarettes préférée de son ami Nigel, tout collait. Le Bourreau était derrière ce meurtre aussi cruel que terrifiant.

Gabriel, jusque-là accroupi, se redressa et sentit alors tout le poids de l'affaire s'écraser sur ses épaules. Il remonta les marches de la cave et s'échappa de la bâtisse par la porte de derrière. Il n'avait pas vraiment envie de croiser ces corbeaux de journalistes, toujours là pour le sensationnel. Gabriel errait dans la rue, ses pensées encore plus égarées que lui. Second de Nigel sur l'affaire du Bourreau, on allait en toute logique lui refiler le poisson pourri. Il cracha au sol, déjà blasé par ce scénario si prévisible. L'affaire piétinait depuis des semaines. Pas le moindre indice, pas le moindre faux pas de ce type. Rien. Il espérait encore que les analystes trouvent quelque chose autour du corps de Nigel ou même dans le reste du bâtiment, sait-on jamais. Mais Gabriel ne se faisait guère d'illusions. Le tueur était plus malin qu'eux, il fallait l'avouer.

Toutefois, le capitaine Thorn n'était pas comme feu son ami, qui avait presque fini par vouer une certaine fascination envers le Bourreau. Non, Gabriel restait plus distant et il n'avait surtout aucune envie de finir comme Adam : toujours au bureau à lire et relire des dizaines de pages de compte-rendu, de dossiers, de rapports sur les victimes ou de témoignages aussi divers qu'inutiles. À y repenser, apparaître à la télévision avait été comme signer son propre arrêt de mort. Le Bourreau n'avait plus qu'à faire quelques recherches et il avait trouvé sa nouvelle proie.

Pour sûr, Gabriel ne ferait pas cette erreur. Mais il mettrait ce malade derrière des barreaux et vengerait son ami.

 

***

 

Le reportage n'avait pas été très long mais il y avait l'essentiel. Enfin l'essentiel pour le public, les détails étaient sans doute réservés aux seuls enquêteurs. David comprenait parfaitement cette manière de procéder, il était inutile de faire paniquer toute la région. Et pourtant, on commençait à en parler un peu partout, à la télévision, sur internet, à la radio. Le Bourreau semblait se faire petit à petit une place dans l'esprit de tout un chacun.

- Ce nom, toujours ce fameux nom... pensa David pour lui-même.

Le jeune homme se leva pour aller mettre sa tasse dans l'évier puis se dirigea vers sa chambre où un tapis de sol était disposé. Il s'approcha de son tourne-disque et abaissa la tête de lecture sur le vinyle déjà installé. Il retira ensuite son t-shirt et ses pantoufles pour faire quelques séries d'abdominaux, de pompes et d'étirements. Il se devait d'être à la hauteur du Bourreau et pour cela, il fallait s'entraîner sans relâche dans tous les domaines. Pendant une demi-heure, il sua de tout son corps, se donnant totalement dans ce qu'il faisait sur fond de Vivaldi et de Bach.

C'est alors qu'on sonna à la porte. David alla rapidement ouvrir, sans prendre la peine de se rhabiller. Il déverrouilla la serrure pour découvrir Mme Brandt, sa vieille voisine de palier, un plateau en main et le sourire aux lèvres.

- Bonsoir madame Brandt, que me vaut cette agréable visite ?

- Oh David ! Je ne vous dérange pas, j'espère ? Vous êtes tout essoufflé...

- Rien qu'un peu d'exercice pour me maintenir en forme, ne soyez pas gênée madame Brandt. Entrez donc.

- Non, non ! dit-elle tout en tendant ses bras vers David. Je venais juste vous apporter quelques gâteries ! Vous aimez toujours les cookies, j'espère ?

- Toujours autant qu'hier, c'est certain. Merci, vous me gâtez trop.

David se saisit de quelques gâteaux avec un grand sourire dont il était spécialiste et qui faisait chavirer tant de cœurs.

Ils se dirent bonne nuit puis il referma de nouveau sa porte, avant de tourner à nouveau la clef deux fois dans la serrure. Il dévora les cookies de la vieille Brandt avec appétit. Elle était excellente cuisinière.

Marmonnant un air de classique, il alla prendre une douche amplement méritée. Tandis que la télévision demeurait allumée.

 

***

 

- Alors ?

Le jeune brigadier Astain n'avait pas pu s'empêcher d'accueillir Gabriel à son retour au poste avec cette question toute simple. Mais Thorn ne savait trop quoi lui répondre, quoique tous au commissariat avaient déjà deviné ce qu'il allait dire. Ce tueur ne laissait aucune place au doute.

- C'est sûrement lui, oui, lâcha-t-il avant de soupirer longuement en s'écrasant dans son fauteuil en cuir.

Astain s'assit en face de lui. Ils restèrent un moment silencieux, la mort probable du commissaire affectait tout le monde. Le Bourreau n'avait pas peur de s'attaquer à du gros poisson. Personne n'était à l'abri. Mais personne n'était véritablement sa proie, il était un prédateur tuant celui ou celle à sa portée, tout simplement. Mais lui, tuait pour nourrir sa folie et non son estomac.

- Les gars du labo verront peut-être que ce n’est pas…

- Arrête, tu veux ? Pas besoin d'analyse, je suis sûr que c'était Adam. Ce connard l'a fait brûler vif !

Les papiers volèrent dans tous les sens, Gabriel jeta sa boite de stylos contre le mur et quitta en trombe le commissariat, laissant tous ses collègues muets. Ils connaissaient tous l'amitié qui le liait à Adam, personne n'osa se mettre sur sa route.

Dehors, la nuit avait pris sa place quotidienne, Gabriel releva le col de son caban avant de commencer sa marche vers son appartement.

Il ne dormirait pas cette nuit. Demain, il reprendrait la chasse.

 

***

 

Le bulletin d'information de vingt-deux heures venait de se terminer. David l'avait regardé avec attention. Bien que plus court que le journal du soir, celui-ci était bien plus concis et axé sur l'essentiel, sur les vraies informations. Il avait pu en apprendre davantage sur les avancées de la police à propos de l'affaire avec ce commissaire et le Bourreau. En clair, ils faisaient du sur-place.

D'un geste sec et excité, il éteignit le poste de télévision avant de jeter la télécommande à côté de lui. David resta un moment immobile, enfoncé dans son fauteuil, les mains resserrées autour des accoudoirs. Sa respiration se fit plus forte et plus profonde.

Cela recommençait. Encore.

En un instant, il fut debout. Il se chaussa, enfila un blouson de cuir ainsi qu'un bonnet à doublure. Puis ses yeux se posèrent sur le badge de police. Il le ramassa sur la table basse et le scruta avec attention. Il n'avait nul besoin de le prendre avec lui.

Un sourire vînt alors se dessiner sur ses lèvres, changeant ses traits comme jamais.

- Vous resterez ici… monsieur Nigel.

Et il reposa le badge sur la table avant de quitter son appartement.

À côté de l’emblème de la police se trouvait la photo du commissaire Adam Nigel.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Denis Vergnaud ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0