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    Il n'est pas huit heures que déjà le thermomètre affiche 22 degrés. Il fait un temps superbe sur Melbourne. Quelques cumulonimbus immaculés pavanent au ralenti sur un ciel azuré et la brise légère porte une odeur d'herbe sèche. C'est un de ces matins qui augurent d'une journée agréable comme seules les fins d'été savent en produire, quand l'air a perdu juste assez de chaleur pour devenir supportable.

A l'ombre des ormes une jeune femme remonte l’allée principale de la faculté des Sciences et Techniques jusqu'à une esplanade. Elle y fait une pause, le temps de fouiller dans la poche de sa jupe en coton. Elle en sort un ruban blanc qu'elle noue sur ses cheveux blonds en une queue de cheval très serrée. La nuque dégagée, elle reprend sa marche vers le laboratoire, un bâtiment avant-gardiste d'acier et de verre conçu pour « piéger la lumière et la restituer dans toute sa douceur et sa bienveillance » comme l’avait décrit l'architecte à la cérémonie d’inauguration. Elle reconnait volontiers qu'au-delà de cette description pompeuse se dégage de l’édifice une atmosphère propice au travail, malgré ses poutres blanches et ses sols crème qui lui confèrent des allures d'hôpital.

Les portes automatiques s’écartent à son approche. Elle pénètre dans l’atrium, le traverse et prend l'ascenseur jusqu'au sixième étage. Elle longe ensuite un corridor agréablement ombragé et s'arrête devant une double-porte de verre dépoli. Un écriteau lumineux flotte sur la porte de droite. Il indique :


C. Turner, PhD

M. McPyth, PhD

T. Wu, PhD


    Elle pose l’index et le majeur de sa main droite sur une plaque de verre fichée dans le mur. Une marque circulaire verte en rotation lente apparait alors sur la plaque. Une voix suave dit alors, à la suite d’un court tintement : « Bonjour, Mary McPyth ». La jeune femme pousse la poignée chromée et pénètre dans la pièce. La fraîcheur de la climatisation la saisit aussitôt.


« Salut Tsin! On est tombé du lit ce matin? »

Une jeune femme asiatique penchée sur son écran pianote dans la pénombre. La lumière pale de son écran se reflète sur son front et ses lunettes, et lui donne des allures de fantôme.

« Comme tu vois. C'est mon copain, il ne s'est pas encore fait opérer de la luette. » Elle juge l'effet de sa boutade au regard interloqué de son interlocutrice, puis précise en souriant : « Je plaisante, j'ai un article que je compte soumettre avant la fin de la session d'été au comité de lecture de Computers in Human Behavior. Chris m'a dit que j'avais une chance d'être publiée si je leur envoyais mon papier avant la fin de la semaine, alors je m'active.

— Quatre publications en un seul semestre, on dirait que tu tentes d'établir un record. Un café?

— S'il te plait oui. Tu peux augmenter la lumière si tu veux; je l’avais baissé pour mieux me concentrer. Je travaille mieux dans l’obscurité.

— Je sais bien, t’es un oiseau de nuit. »


    Depuis bientôt une décennie l'électronique avait intégré le verre. L'ensemble du design en avait été affecté. La transparence et la lumière avaient envahi l'architecture, le mobilier et l’informatique, entre autres. Le verre était désormais partout et le bureau des trois chercheurs n’y échappait pas. Trois des murs étaient tapissés de panneaux translucides couverts de symboles scientifiques sibyllins. Au centre, sous un puits de lumière à l'opacité modulable, quatre bureaux d'angle en verre dépoli formaient une croix. Chacun d'entre eux était surmonté de deux plaques vitrées inclinées à hauteur des yeux.

 

    La jeune femme qui répond au nom de Mary s'approche du mur et l'effleure du bout des doigts. De l'index, elle glisse vers le haut le curseur qui vient d’apparaître. L'opacité du puits lumineux diminue alors et une douce lumière envahit la pièce. Une légère touche fait surgir un second curseur qu'elle tourne entre son pouce et son index jusqu’à le régler sur 21. Elle s'approche ensuite d'un petit meuble semblable à une commode et presse un bouton sur le plateau supérieur. Deux tasses en sortent et commencent à se remplir de café fumant tandis qu'elle pose son sac contre le meuble et retire son gilet.

D'une note délicate le meuble indique que les boissons sont prêtes. Mary saisit les tasses et en dépose une sur le bureau de Tsin. Elle ne prend pas ombrage que sa collègue ne la remercie pas; les deux jeunes femmes se côtoient depuis des années et savent que les civilités ne pèsent rien face à une intense concentration.

Mary contourne sa chaise ergonomique et s'assoit en demi-lotus. Elle pose son café à sa gauche avant de retirer le ruban de ses cheveux d'un geste précis. Elle passe ensuite sa main droite au-dessus d'un carré lumineux de dix centimètres de côté. Un léger « ding » retentit et le plateau de verre s'anime comme un gigantesque écran. Des piles de documents apparaissent aux quatre coins du bureau: dossiers, photos et revues s'éparpillent. Les figures d’un jeu d’échecs retrouvent une à une leur position sur un échiquier virtuel. L'ordinateur reconnait Mary et lui souhaite la bienvenue. Des touches brillantes se dessinent sous ses mains tandis que les écrans s'éveillent. Elle observe Tsin pliée sur son écran et se demande si son café sera encore chaud quand elle le remarquera. Soudain un détail sur l'écran attire son regard. Elle bondit alors de sa chaise, décroise sa jambe et approche son visage de la surface diaphane.

Au milieu d'une fenêtre de commande, une courte ligne de texte se démarque du fond noir. Elle ne l'a pas encore lu que déjà elle sait que quelque chose ne tourne pas rond: la ligne s'affiche en rouge.

Et rouge n'est jamais bon signe.

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