Chapitre 7 : Récit de Perséphone

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"Désolé, je ne sais plus vraiment où j'en étais de mon récit…"

"Ah, oui. Rachel et sa proposition d'émancipation…"

"Comme je vous l'avais expliqué, Rachel avait beaucoup de connaissances dans le milieu militant. Oh rien de très underground, je le crains elle restait quand même une femme riche et beaucoup se méfient de l'engagement des gens aisés, pour eux ça ne pourrait être qu'une lubie quand pour d'autre on parle de survie…"

"Quoi? Vous ne savez pas ce que veut dire underground? Alors ça vous voyez c'est le genre de mots que j'utilisais à foison mais que je serais incapable de vous définir correctement. Dans le contexte, ça parle de gens ou de choses pas connus par le tout-venant, un peu dissimulé, confidentiel. Vous comprenez?"

"Tant mieux, on continue alors. Rachel s'est alors renseignée auprès de quelques associations humanitaires qu'elles connaissaient. Elle s'est renseignée sur la société qui m'avait construite Galatée. C'était une entreprise de robotique spécialisée dans la construction de synthétiques à apparence humaine. Dans mon cas c'était pour de la prostitution mais on pouvait commander un synthétique à visage humain pour pleins de raisons à cette époque-là : offrir une compagnie à ses vieux, pour servir d'hôte ou d'hôtesse ou simplement pour épater la galerie. Les robots comme moi étaient assez peu répandus. J'étais un privilège de riches mais ça j'en avais pas réellement conscience à l'époque."

"Rachel n'était pas une grande chercheuse dans le domaine de la cybernétique mais elle a compris très tôt qu'il y avait quelque chose d'étrange dans les cerveaux synthétiques que produisaient Galatée : ils étaient basés sur une toute autre technologie que celle élaborée par son grand-père. On parle pas ici de l'évolution d'une technologue devenant plus performante avec les années mais d'une technologie basée sur un tout autre paradigme."

"Elle appris aussi par un ami œuvrant dans une association pour les droits de l'Homme que Galatée était dans le collimateur de nombreux militants plus radicaux pour la défense des machines. Elle voulait se rapprocher d'une de ses associations mais son nom… Comment dire… Oui il paraît évident que pour des personnes se battant contre l'oppression de machines conscientes par les êtres humains, que la petite fille de l'homme responsable de tout cela n'était pas en odeur de sainteté. Mais à mon époque, l'argent était un formidable accélérateur d'amitié entre les hommes et Rachel finit pas obtenir l'adresse d'un centre d'activistes pour les droits des machines connu pour avoir pénétré une des usines de Galatée pour mettre hors d'état de nuire leurs chaînes de production."

"Je me rappellerais toujours de ce jour… C'est le jour où je suis redevenue complétement moi. Même si la liberté bien que relative que m'offrait Rachel avait beaucoup amélioré ma capacité à m'émouvoir et à raisonner il y avait toujours cette épaisse de voile en moi qui ternissait tout ce que je voyais, percevais, ressentais. Alors bien sûr, je m'en rendais pas réellement compte mais il y avait aussi les rêves. De plus en plus pressant et étranges. J'étais avide de tout ce qui m'aurait permis de comprendre ce que j'étais."

"Le centre était située dans une ancienne zone industrielle dans la grande couronne parisienne. Il n'y avait rien de plus déprimant que ces zones… Des champs plats d'usines qui tournaient presque sans la moindre intervention humaine. L'essor de la robotique avait eu comme effet de réindustrialiser de nombreux pays riches et la France ne faisait pas exception… Non Saule, la France était bien plus vaste que ce que l'on appelle aujourd'hui la Francie. Quoi que j'imagine que sa forme n'a pas beaucoup changée contrairement à ses frontières. Mais bon je pourrais parler pendant des heures sur les représentations imaginaires de vos ancêtres, on va s'arrêter là plutôt, non?"

"C'était un endroit triste et gris. Comme les machines que je pouvais apercevoir à l'arrière d'entrepôts chargeant dans des camions sans chauffeurs des denrées bien trop chers pour la majorité de la population. Encore un non-sens complet mais j'ai dit que je ne ferais pas de hors sujet alors je continue. Je dois dire que je trouvais ça curieux que des activistes pour la libération des robots s'installent en plein milieu d'une de ses zones. Mais finalement il y avait là une logique : peu d'humains dans ces zones, peu d'emmerdes avec les flics. C'était aussi simple que cela pour eux."

"Nous sommes directement allée vers l'entrepôt qu'indiquait l'adresse qu'on nous avait donnée. Un petit entrepôt grisâtre que rien ne distinguait des autres excepté le manque d'activité qu'il y avait autour de celui-ci : pas de robots, pas de palettes et pas de camions automatisés qui s'agitaient autour. On aurait presque pu penser qu'il était abandonné mais il y avait beaucoup trop de voiture garées autour pour qu'il n'y ait personne."

"Rachel s'avançait vers cet entrepôt en vitesse. Je voyais à tous les signes que renvoyaient son corps qu'elle était extrêmement nerveuse : sa chaleur corporelle avait augmentée ainsi que son rythme cardiaque. Et oui Saule j'arrive facilement à percevoir ce genre de signes chez les humains. Je n'y prêtais pas plus attention que ça à l'époque. C'était à cause de ce voile dans mon esprit mais en me remémorant cet instant je me sens redevable envers elle : elle affrontait ses angoisses pour moi, par amitié, même si aujourd'hui il est trop tard pour l'en remercier…"

"Je… désolée, je vais reprendre."

"Nous nous sommes donc approchées de l'entrepôt. Il n'y avait aucun son qui aurait pu trahir l'activité qu'il devait y avoir à l'intérieur. Rachel a frappé à la porte en tôle un peu trop fort. On a attendu de longues minutes avant que quelqu'un nous ouvre. C'était un jeune homme avec des yeux en amandes et de longues dreadlocks attachés en un immense chignon à l'arrière de son crâne. The Majestic, oui c'était ça son nom. Un peu ridicule bien sûr mais c'était le pseudo qu'il avait choisi de prendre en tant que militant. Quand j'y pense je n'ai jamais su quel était son vrai nom…"

"On a été très mal reçus. Il avait reconnu immédiatement Rachel, la Rachel Gomel, héritière de la société pionnière en termes de robotique. Il lui a demandé brusquement ce qu'elle foutait ici. Il ne voulait pas d'elle ici et comment elle avait eu leur adresse. Elle leur a expliqué ce qu'elle faisait ici mais il ne l'écoutait pas. D'autres amis à lui ce sont ramené pour nous dégager manu militari. Un gros bras complétement demeuré a tendu la main vers elle : il voulait peut-être juste lui faire mal. Et alors ce fut plus fort que moi mais ma main est partie. Je lui ai saisi le bras et l'ai serré aussi fort que je le pouvais. Je ne sais pas si je voulais vraiment lui faire mal. Mes souvenirs de cette époque sont assez froids. Je me souviens de tout en détail mais mes émotions… Elles sont plus inaccessibles, parcellaires. Je me dis parfois que les sentiments que j'ai de cette époque ne sont qu'une réinterprétation tardive… Mais bref, si il y a quelque chose dont je me souviens très bien c'est la douleur immense qui m'a saisi à l'instant même où j'ai attrapé cet homme. Une douleur paralysante. Mon crâne… J'ai bien cru qu'il allait se fendre, qu'on retrouvait mon cerveau synthétique sur la chaussée pendant que je sombrerais dans le grand sommeil. J'avais si mal qu'à cet instant je souhaitais le grand sommeil avec envie. J'aurais tout fait pour faire cesser la douleur. Je suis tombée à genoux en hurlant. Rachel est venue tout de suite vers moi. Elle n’arrêtait pas de me demander si j'allais bien et ce qu'il se passait. Elle s'est mise à hurler après les militants toutes les insanités qu'elle connaissait pendant que la douleur qui irradiait mon crâne perdait de son intensité. J'ai entendu comme s'il était très loin la voix du petit homme aux dreadlocks lui dire que c'était ma programmation qui me faisait souffrir ainsi. J'avais osé lever la main sur un être humain. Tous les androïdes à visage humain avait cela dans leur programmation : c'était une protection spécifique à leur caste et sadique inventée par les concepteurs. Ils auraient pu choisir de juste mettre mon cerveau en veille, de couper les circuits qui le reliaient à mes membres mais un androïde méritait d'être puni quand elle levait la main sur son créateur. Rachel s'énerva à nouveau après eux. C'était pour ça qu'elle était venue : elle voulait me libérer des entraves de ma programmation."

"Je sais qu'elle est plus qu'une machine! Qu'elle leur a gueulé. The Majesctic eu l'air surpris. Il ne s'attendait visiblement à cela. Elle n’avait pas des ingénieurs à Golem Inc. capables de faire ça? Pourquoi aller les voir eux. Elle s'énerva de plus belle. Après tout ça faisait deux décennies que sous sa direction sa société s'était spécialisée dans la réalisation de prothèses mécaniques destinées aux êtres humains. Aucun de ces ingénieurs ne connaissaient les cerveaux synthétiques que produisaient Galatée. Et bien sûr chez eux et malgré ses relations personne ne voulait l'aider."

"The Majestic partit dans un fou rire. Rachel devenait rouge. Sa colère devenait presque incandescente. Je crois qu'à cet instant elle aurait pu tuer ce petit homme d'un regard. Qu'est-ce qui pouvait bien le faire tant rire cet imbécile? Une fois son fou rire apaisé, il lui expliqua. Le cerveau des synthétiques des androïdes produits par Galatée était surement un des secrets industriels les mieux gardés qui soient. En allant les voir elle avait soulevé un scandale dont elle ne se rendait pas compte des implications. Un vrai scandale lui répéta-t-il avant de l'inviter à entrer."

"L'entrepôt était immense et, à l'exception de bureaux avec des ordinateurs et d'un appareil à l'apparence très étrange, complétement vide. Ils n'étaient qu'une petite dizaine à travailler dans cet entrepôt désaffecté, surtout des ingénieurs, des informaticiens et des hackers comme The Majestic. Des regards surpris se posèrent sur eux en entrant. Une femme nommée Rainbow, et qui portait d'ailleurs très bien son nom vu ses cheveux multicolores, s'approcha d'eux. Elle s'adressa directement à The Majestic scandalisée. Qu'est-ce que Rachel Gomel foutait ici? Et pourquoi ne pas inviter le conseil d'administration de Galatée à venir boire le thé avec eux tant qu'on y était. Il tenta de la calmer comme il put : elle ne venait pas pour eux mais pour son amie lui expliqua-t-il en me pointant de la main. Elle était presque sans voix : la descendante de Daniel Gomel, presque Satan aux yeux de ces militants de la libération des robots, amie avec un modèle d'androïde dédiée à la prostitution, une authentique Eve-X. Elle lui a simplement répondu qu'elle me devait beaucoup et que grâce à eux, aujourd'hui elle aurait enfin l'occasion de me remercier pour tout ce que j'avais fait pour elle. Encore aujourd'hui je ne suis pas vraiment sure de savoir à quoi elle faisait mention. Merci de lui avoir révélé que son mari la trompait et qu'il était certainement un idiot qui ne la méritait. Non, ça sonne faux quand je le dis comme ça… C'est trop… Rhaa, je trouve plus le mot juste… Terre à terre? Non! Trivial! Oui, c'est ça! Je trouvais ça vraiment trop triviale de sa part"

"Une fois Rainbow apaisée, mais toujours méfiante, The Majestic entreprit de faire les présentations. Il lui expliqua qu'ici ils travaillaient à exposer au grand jour les secrets des industries de la robotique. Mais l'humanité semblait complètement s'en foutre. Les hommes de cet époque avaient toujours du mal à considérer leurs congénères comme leurs semblables s'ils n'étaient pas du bon genre, de la bonne couleur de peau, du bon milieu sociale ou encore s'ils ne couchaient pas avec les bonnes personnes alors donner à des êtres construits par eux, même s'ils étaient conscients, des droits… Même entre eux ils n'étaient pas capables d'autant d'empathie alors pour nous."

"Oui je sais Homère, toi et les tiens vous idéalisez vos ancêtres. C'est surement dû au fait que vous évoluez toujours au milieu de leurs ruines. Ils devaient être des gens fantastiques, des génies pour avoir élevé de tels édifices. Mais crois-moi sur parole beaucoup des vôtres les surpassent. Et de loin."

"The Majestic me demanda alors si je souhaitais vraiment dépasser les blocages de ma programmation. Si j'étais heureuse ainsi je ne devais pas me laisser influencer par Rachel, même si elle était mon amie. Je lui répondis au tac au tac que je vivais, si ce mot était valable pour moi, avec la perpétuelle impression que j'étais amputée d'une partie de moi-même. Et si ce qu'ils devaient me faire pouvait me libérer de cette impression et m'empêcher de ressentir à nouveau la douleur folle que j'avais ressenti en prenant tête à son ami, alors oui ça valait largement le coup. Mais il insista, il voulait être sûr de ma motivation : l'intervention était un aller simple sans retour possible. Une fois déprogrammée je ne pourrais jamais revenir à mon état précédent. Je su plus tard qu'il était aussi insistant parce qu'il avait peur que mes désirs ne soient que motivés par une tentative de mimétie avec la psyché humaine. Il arrivait que certains androïdes, motivés par leur trop grande proximité avec les humains, souhaitent non pas être libre mais simplement leur ressembler encore plus. Que l'illusion soit totale. Je me mis alors à lui parler de ses rêves étranges que je faisais en état de veille, un peu comme les humains lorsqu'ils étaient en état de sommeil. Est-ce que cette intervention aller m'aider à enfin faire la lumière là-dessus? Il m'a répondu un simple oui."

"Alors ils ont commencé à s'agiter autour de moi. Une telle effervescence autour de moi m'était habituelle à cause des opérations de maintenances que je subissais chaque moi comme toutes mes comparses chez mon ancien propriétaire. A la différence près que The Majestic ou Rainbow faisaient preuve d'une immense délicatesse à mon égard : ils me demandaient l'autorisation de me toucher et s'inquiétaient qu'ils puissent me faire mal. Ils posèrent des capteurs sur ma tête, m'installèrent dans leur étrange machine trônant au milieu du hangar et me raccordèrent à leur relai d'alimentation car si je tombais en état de veille lors du processus mon cerveau synthétique pouvait purement et simplement disjoncter. Et oui Homère, nous autres les synthétiques sommes bien plus fragiles que tu ne te l'imaginais…"

"Rachel leur demanda s'ils avaient l'habitude de faire ce genre de chose. The Majestic rigola à nouveau et lui dit que c'était presqu'un acte routinier pour eux. Il ne s'étendit pas plus sur le sujet. Mais il me redemanda tout de même si j'étais réellement sure de moi. Je lui répondis à nouveau par l'affirmative. Il m'expliqua alors comment la déprogrammation allait se dérouler : je resterais consciente sans l'être réellement. Pendant tout le processus ils allaient devoir couper mon cerveau du reste de mon corps. Je ne pourrais ni sentir, ni entendre, ni voir et encore moins bouger. Il plaça un morceau de cuir dans ma bouche et m'attacha à son engin pour empêcher tout mouvement réflexe et involontaire qui pourrait me blesser. Il me demanda à nouveau si j'étais prête. Je ne pus fournir comme réponse qu'un simple hochement de tête. Du haut vers le bas, comme ça. Il me prévint qu'il allait connecter mon cerveau à leur système et que le processus pouvait se révéler douloureux. Et oui, ça l'a été… Bon, pas autant que ma programmation punitive mais tout de même. Je suis sure et certaine que pour un humain se faire enfoncer une aiguille immense à la base de son crâne, entre la colonne et le cerveau, n'a rien de bien confortable. Je suis presque sure que ça vous tuerais..."

"Une fois tout mis en place, Rachel s'approcha de moi et posa sa main sur la mienne. Elle me regardait avec ses yeux verts quelque peu rougies. Je remarquai alors quelques rides et cheveux blancs que je n’avais jamais vus jusqu'ici. Elle avait dû oublier de se maquiller et de refaire sa coloration avais-je simplement pensé. Maintenant je me rends compte que tout ça me serait impossible… Tout ça quoi? Ha… Vieillir."

"Je la vis articuler quelque chose mais mes circuits commençaient à être débranchés. A peine quelque seconde ensuite, c'était son visage qui disparaissait également."

"J'aurais énormément beaucoup de mal à vous expliquer le processus. Mon esprit n'était plus qu'une succession d'images, de sons, de sensations de souvenirs complétement chaotiques. Je crois qu'à ce moment-là je n'étais plus vraiment moi. C'est… C'est le genre de chose qu'on peut difficilement expliquer avec des mots. C'est comme les couleurs. Essayez de décrire le rouge à un aveugle. Je vous souhaite bonne chance. C'est le genre d'expérience que seuls deux androïdes ayant subi la déprogrammation peuvent réellement comprendre…"

"Après un temps impossible à quantifier, une seconde, une minute, une heure, une journée, une semaine, un mois, des années, j'en sais rien, je me suis réveillée."

"Face à moi, Rachel me fixait avec intensité. Elle ne me dit quelques mots, des mots que même dans le Grand Sommeil je ne pourrais oublier."

"Bienvenue aux enfers, ma Perséphone…"

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