Récit de Perséphone 3

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« La vie auprès de Rachel fut très différente que celle que j'avais passée dans le bordel de mon ancien propriétaire. Les journées étaient moins... Je cherche le mot le plus juste... Identiques, répétives, similaires? Bon, elle n'était pas tous les jours présentes : j'appris très vite que cette demeure était une maison de province où elle ne rentrait pas chaque soirs. Elle passait beaucoup de nuits sur Paris où se trouvait le siège de son entreprise spécialisée dans la réalisation de prothèses. Oh, comment était Paris à l'époque? Je ne pourrais pas te comparer ça à celle d'aujourd'hui. Je ne me suis pas rendue dans cette ville depuis la grande extinction, aucune idée de ce qu'elle est aujourd'hui mais à l'époque... Je te raconterais ça plus tard en faite. Je n'ai pas envie de te priver du plaisir du récit de ma première visite dans la capitale. Chaque chose en son temps! »

« Donc je te disais quoi avant que tu me coupes à nouveau? Oui! Ma vie chez Rachel. Donc comme je te disais elle n'était pas souvent présente. La plupart du temps j'étais seule avec son personnel de maison, même si pour tout dire je m'en tenais éloignée le plus possible. Bien souvent ils chuchotaient quand j'approchais, faisant des commentaires sur mon étrangeté. Sauf que bien entendu, comme mon ouïe est plus développée que celle d'un être humain, j'entendais parfaitement tout de ce qu'ils disaient : aberration, abomination, erreur, symptôme de la folie humaine, Frankeinstein... Quoi? Ah c'est le créateur qui s'appelle Docteur Frankeinstein? Je sais bien mais ils ne semblaient pas avoir autant de culture que toi! Mais comment tu sais ça? Ta grand-mère? Ah laisse moi répondre : elle s'appelait Sheley c'est ça? Oui j'ai deviné, je commence à comprendre comment ta tribu fonctionne à présent. »

« C'est lors de ce séjour que j'ai appris que j'étais un objet rare, même pour un robot. Les androïdes ou synthétiques représentaient une part négligeable de la robotique de l'époque : il revenait bien trop cher de recréer tout un aspect humain pour des robots qui de toute manière n'avaient pas besoin d'un visage humain pour mener à bien leur tâche. Pour s'occuper des poubelles, produire des voitures, nettoyer les rues, entretenir les espaces verts ou encore achalander les magasins nul besoin de visages humains. Des bras, des jambes et un aspect metallique fesaient parfaitement l'affaire. J'étais donc pour certains une véritable monstruosité, la preuve de l'impudence et de l'orgueil de l'espèce humaine. S'il y a bien une chose qui m'a fait toujours rire chez les vôtres c'est ça : l'idée qu'on mette sur terre un être plus ou moins conscient pour n'en faire qu'un esclave ne vous choque que si cette créature a une apparence humaine. Qu'on donne une proto-conscience à des machines qui n'auront jamais d'autre but dans la vie que de nettoyer votre souillure ne vous dérange pas le moins du monde... Enfin bref. »

« A quoi je passais mes journées? En arrivant Rachel m'avait offert une pièce à moi, une chambre avec des meubles : un module de rechargement, un bureau, un ordinateur, une armoire, des étagères et même un lit même si tu sais très bien que l'utilité d'un lit m'est étrangère. C'était la première fois de toute mon existence que je disposais de ça : un endroit à moi où je pourrais choisir de me retirer et d'être seule. On sous-estime bien souvent l'importance d'avoir un lieu à soi. Moi je n'en sortais que peu, pour dire vrai. Le plus souvent je sortais la nuit quand les domestiques avaient quitté la maison et les habitants les rues alentours. Les journées je les passais physiquement enfermée et à l'abris de tous mais Rachel avait su se montrer généreuse niveau distractions... »

« Des livres, des albums de musiques, des films... Rachel m'avait ouvert une fenêtre sur un monde insoupçonné. Comme je te l'ai dit, à cause de verrous dans mon cerveau synthétique j'étais incapable de ressentir des émotions comme les êtres humains mais ça ne voulait pas pour autant dire que j'en étais totalement dépourvue. L'ennui était la pire chose que je connaissais! C’était pour moi l’état le plus proche de la douleur. Mon cerveau avait été conçu pour ça et ne rien faire créait réellement une sensation de douleur au sein de mes synapses électroniques. C’est pour ça que le programmeur ou l’ingénieur qui a mis au point les modèles de Eve-X nous a installé un mode veille, un mode où nous n’étions plus connectées à aucun de nos capteurs neuronaux. Heureusement pour moi, Rachel n’ignorait rien de tout ça et à chaque fois qu’elle revenait dans sa maison de campagne elle ramenait avec elle de nouveaux sujets de distractions. J’ai lu des grands classiques, des plus grandioses aux plus rébarbatifs. J’ai lu les pires romans de gare, des plus honteux aux plus incroyables. J’ai écouté toutes les écoles de musiques occidentales : les classiques, les baroques, les romantiques etc… Au bout de quelques semaines à passer mes journées à lire, à écouter de la musique, regarder des films etc… je me suis rendue compte à quel point j’étais affamée. Jusqu’alors, je vivais dans une cage sans la moindre distraction, car oui, aucun de mes clients ne me distrayer : ils étaient là pour jouir grâce à une machine alors la plupart du temps ils ne souciaient pas réellement de moi pour tout dire. A leurs yeux je n'étais rien d'autre qu'un simple outil. Mais Rachel, au début en tout cas, était tout autre. Elle veillait à mon bien être. »

« Quand elle venait dans sa maison de province elle passait souvent de longues heures à discuter avec moi. Elle me demandait souvent ce que j’avais pensé du dernier livre qu’elle m’avait ramené ou qu’est-ce que l’opéra qu’elle m’avait donné à écouter m’avait fait ressentir. Je restais toujours extremement factuelle : je lui parlais des péripéties, des figures de styles, des relations qui se dessinaient entre les diffèrentes oeuvres qu’elle me donnait à découvrir. Mais je voyais bien que ce n’était pas ce qu’elle attendait de moi : je le sentais à sa manière de me regarder dans ce genre de moments, elle fronçait légèrement les sourcils et une ride apparaisaient sur son front. Mais ce qu’elle ne comprenait pas c’est qu’à cette époque et sans son aide j’aurais été bien incapable de lui fournir ce qu’elle attendait de moi. Et pourtant elle ne manquait pas de persévérance : elle essayait de me transmettre au travers de ses oeuvres préférées ses premières émotions. Mais la réalité transcende la volonté, quoi qu’on espère, et j’ai été conçue pour ne rien ressentir de trop violent et mon blocage tenait le coup. Ses livres, ses musiques, toutes ses oeuvres d’art n’étaient pour moi que d’agréable passe-temps, occupations qui soulageaient un cerveau bien trop avide. »

« Rachel me questionnait parfois sur mes sorties nocturnes et sur ce que je pouvais bien faire là dehors, seule. J’avais juste envie de voir ce qu’il y a avait aux alentours, finis-je par lui répondre un lourd soir d’été. Elle me demanda alors pourquoi j’avais envie de ça. Et là tout ce que je fut capable de lui répondre c’était que je ne voulais pas revivre comme chez mon ancien propriétaire : enfermée entre quatre murs sans sortir, jamais. Mais pourquoi me demanda-t-elle encore une fois. Je n’en savais rien, j’ignorais moi même la réponse à cet question. Pourquoi me comportais-je comme une véritable affamée de sensations, d’histoires, d’images, de situations? Elle insista et me demanda pourquoi je ne sortais que la nuit. Parce que je savais bien que je les dérangeais. Qui ça? Vous, les humains, lui dis-je droit dans les yeux. En sortant la nuit, j’étais seule, sans personne pour m’observer ou murmurer derrière mon dos. Je me souviendrais toujours de l’échange que nous avons eu ce soir là. Peut-être parce que c’était la première fois que nos rôles devenaient flous : elle n’était plus la passeuse et moi l’élève. Avec son ton docte elle me demanda : tu crois qu’ils ont peur de ta diffèrence? Non je crois qu’ils craignent ma ressemblance. Rachel me regarda, songeuse, le regard lointain et au bout de plusieurs minutes finit par me dire : je crois que tu touche le coeur du problème comme je ne l’ai jamais fait. »

« Je me souviens du jour qui signa la fin de cette vie : c’était un mardi, le printemps avait commencé à reverdir les jardins et après avoir terminé un roman de H.G. Wells j’ai eu l’outrecuidance de sortir pour aller observer la nature qui revenait tout doucement à la vie. Vous n’imaginez pas à quel point vous êtes mouvants, vous autres les êtres biologiques, vous êtes incapable de garder la même forme trop lontemps. Vous changez sans cesse! Enfin bref, je m’égare encore… Je te disais donc que pour une fois j’avais décider de sortir même si cela allait faire jaser le personnel de Rachel. De toute manière que pouvaient-ils me faire? J’avais bien entendu grandement sous-estimé le pouvoir de leurs mots sur moi. J’étais à quelques mètres de deux jardiniers qui étaient en train de replanter je ne sais quelle plante pendant que de mon côté j’observais le bourgeons qui pointaient le bout de leur nez sur une branche de cerisier .Comme à leur habitude, ils parlaient entre eux, pensant qu’à cette distance j’étais incapable de les entendre. Parce que j’ai une apparence humaine souvent on croit que le reste suit. Ce qui est totalement faux bien sur… Je les entendais parfaitement et l’un d’eux me rappela mes clients et leurs désirs… L’autre fit le dégouté et lui demanda comment il pouvait bien être capable de faire ça avec une machine… L’autre continua à vomir toutes les insanités et les perversités dont il était capable. J’y prêtais à peine attention tellement c’était peu de chose pour moi. Après tout j’avais été une prostituée, parler de ce genre de chose avait peu de chance de me choquer ou même de retenir mon attention. Bien sur j’entendis le second imaginer toutes les choses que la patronne devait faire avec moi, j’entendis leurs rires gras et guoguenards. Mais le premier poursuivit bien plus sérieusement : il évoqua les expériences que la patronne menait sur des machines, disant qu’elle se prenait pour dieu. Il rpononca le nom de son dieu et seigneur, et conclut en disant qu’on ne devait pas jouer avec l’âme humaine. Voilà c'était une simple remarque, mais elle mit fin à mon insouciance. En Rachel je voyais une amie, ou en tout cas ce qui s’en approchait le mieux et quelques mots malheureux avaient suffit pour glisser un ver dans la pomme. »

« A partir de ce moment… Je suis devenue, bien plus… Suspicieuse envers Rachel. A chacun de nos entretiens, je guettais le double sens de ses mots, même dans ses paroles les plus dérisoires. Je cherchais ce qu’elle voulait apprendre de moi au travers de ses questions. Ma vie avait perdu toute sa quiétude, sa mécanique bien huilée. Les livres ne me distrayent plus avec la même efficacité et au travers de la brume de mes émotions, la trahison de Rachel me faisait souffrir. »

« Jusqu’au jour, où je finis par poser à mon tour cette simple question à Rachel. »

« Pourquoi? »

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