Où l’on apprend que l’union ne fait pas toujours la force

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Dire qu’Aisaan n’apprécie pas Chang, relèverait de l’euphémisme. De facto, Aisaan n’apprécie pas grand monde. Manichéen sur les bords, le jeune homme doit estimer en tout et pour tout, trois personnes dans la vie. Sa demi-sœur, son ami d’enfance Calwin et lui-même. Davantage par précaution que par prétention.

Depuis l’arrivée des voyageurs du passé et leur délirante gabegie familiale, il n’a cessé de ronger son frein et contenir à grand-peine, la somme de bien des dérouillées. Se voir tantôt propulsé en première ligne, tantôt réduit en qualité de deuxième poche de biniou, est en passe de le faire exploser.

Alors oui, il n’aime pas Chang. Il le déteste même. Un petit homme babillant un franlish abscons, infichu d’obéir, voire suivre des directives, les siennes surtout, le fait bouillir.

Sitôt le binôme formé, Aisaan a tenté de prendre les devants. Ses yeux enfin, allaient montrer sa supériorité de toute évidence manifeste, les mener en deux coups les gros, droit sur le spécimen zéro. La carte mémorisée, ils se sont engouffrés dans le labyrinthe de couloirs du complexe.

Cependant, il y a un hic.

Dès la première fourche, la réalité s’est imposée d’elle-même : ils sont incapables de s’entendre, ni même de s’écouter. La faute déjà à l’absence d’une langue commune digne de ce nom. Ensuite à un conflit d’égos, que l’intime promiscuité établie dans l’ombre de leurs commandeurs, a sévèrement gonflé.

Par frictions, plus que collusion, ils ont avancé un moment. D’abord Aisaan a quand même essayé de se rapprocher, de faire preuve d’un minimum de convenance, selon ses critères à lui bien entendu. Devant les regards obliques et le jargon de Chang, il a rapidement abandonné. Finalement, entre un escalier et un couloir frigorifié, repeint avec les pieds, le jeune homme explose :

- Par là, je vous dis, crétin ! On descend et après ! J’dis bien, après on continue vers l’ouest, pour…

- Non, non… Pas bonne idée. Gerb woof em, rétorque l’assistant en pointant un panneau coloré. Chibna benzi looble…

- Je ne bite rien à ton bordel ! Regarde-moi bien, demeuré ! Je. Ne. Comprends. Rien. Personne ne comprend tes conneries !

- Pff. Imo, oui, renifle Chang, en levant les yeux au plafond.

Ce simple patronyme suffit à Aisaan pour s’emporter et Chang, en retour, de soupirer.

Ils perdent du temps. Voilà ce qu’ils font. Lui n’avait rien contre faire cavalier seul. Faute d’allié digne de ce nom, il aurait à la limite emboiter les pas d’Imo. La roulette a voulu qu’il se retrouve avec le bigleux sanguin, infichu de se repérer convenablement.

Ce n’est quand même pas compliqué de suivre un couloir, débouler dans le département de “exozoochorie”, prendre un monte-charge, tourner vers le sud-ouest, puis l’ouest, traverser deux-trois labos et parvenir enfin, au réacteur. Rien de sorcier, ni de bien mathématique, sauf pour les imbéciles.

Car Chang non plus, n’aime pas Aisaan. Depuis la première fois qu’il l’avait envoyé bouler dans le verger du Sanchez potentiel. Pardon, Andersen. Pour ce que cela changeait, change ou changerait. En l’état, il est obligé de s’infliger la compagnie d’un chien-fou enclin au ramponneau dès le premier clampin croisé. Il ne lui reste plus qu’à le tenir à l’œil, sans mauvais jeu de mot. Dans le cas contraire, qui sait dans quelle folie cet allumé serait prêt à verser une fois seul.

Aisaan défoulé, Chang lève les mains et, dans un salut involontairement burlesque, invite son compatriote à prendre ses chers escaliers. Autant le laisser se fatiguer un peu, ce n'est pas comme si ce monde compte sur eux. Non qu’il en ait quelque chose à cirer.

Triomphant, figure altiers, Aisaan descend royalement les marches. Néanmoins, un étage en dessous, nouvelle prise de bec.

- À droite, je dis ! À droite ! Vous comprenez rien ! s’énerve Aisaan, la fierté déjà troqué pour des nuances rouges courroucées, sur ses joues gonflées d’humeur. C’est moi qui vois tout ! Pas vous, qu’je sache !? Non ?

- Kabuna… Shamoo ralla poo, répond Chang, déjà parti dans la direction opposée.

- J’rêve ! Attends voir…

Aisaan s’élance à sa suite, l’attrape par les épaules.

- On s’sépare pas, merdeux ! Et on doit être discret ! Z’avez pas compris c’qui s’passe ?!

Alors survient l’irréparable, l’inqualifiable acte. Les commissures des lèvres de Chang s’étire, creusant ses joues d’un sourire quasi simiesque, avant de se transmuter en un rire jabotant, dont les échos railleurs se répercutent sur les murs aseptisés.

Un instant Aisaan demeure coi, impassible, avant que le peu de fils qui lui restent dans son crâne ne fassent l’amour. En clair : il voit rouge.

- Tu t’fous d’ma gueule ?! s’exclame-t-il en le soulevant par la blouse.

Chang hoquète. De rire, non de peur. Que ce bigleux lui donne des leçons d’orientation est une chose. Qu’il se mette en tête de lui faire la leçon est trop. Tout simplement. Maintenant…

Son pied droit vient compresser le bassin d’Aisaan.

- Yaaaah ! beugle le jeune homme, ses mains préférant soudainement l’étreinte des joyaux à celle, plus rêche, du col de Chang.

Celui-ci a maintenant cessé de rire. Rien n’est plus tragique que le pilage de la masculinité. Néanmoins, il profite de l’occasion pour surplomber, Aisaan, perdu lui, dans un déluge d’innommables imprécations. Un miracle que personne n’ait débaroulé ici…

- Eh ! Qu’est-ce qui se passe ici ? tonne une voix au détour du plus proche corridor.

Évidemment ! Il suffit d’affleurer cette réflexion pour que Finagle vienne mettre son grain de sel.

Le nouveau-venu à peine apparut, qu’il va emboutir le mur le plus proche. Il ne se relève pas. D’un mouliné, Chang recharge son arme. Au diable la discrétion !

- Partir, nyt ! Depla Blah ! Quick ! exprime-t-il, une main tendue vers Aisaan.

Le bougre est cependant rancunier. Loin de s’en saisir, il tente à son tour un coup bas. Chang s’écarte et Aisaan s’affale en avant, comme un flan.

- Tu crois quand même pas que j’vais t’laisser t’barrer comme ça ?! s’exclame-t-il en se relevant, jambes en croix. J’me fous qu’le monde s’barre en boudin ! J’vais te dégommer la gueule, après ça !

Poing en avant, il charge. Loin de céder à la violence (pas encore), Chang bondit en arrière et… prend la poudre d’escampette. Indifférent à la nouvelle avalanche d’imprécations, il fonce à travers le dédale de carboradium. L’occasion est trop belle ! Ainsi animé d’une vendetta puérile, Aisaan n’a d’autre choix que de s’élancer à sa poursuite. Et tant pis, s’il n’est plus maître des opérations. Les bourses d’abord, le sort du monde après !

Étiré sur sept niveaux, le treizième sous-sol est un hallucinant labyrinthe de sciences décadentes et de transhumanisme en roue libre. Son architecture sophistiquée, sinon carrément fantaisistes, fruit de plusieurs cerveaux enfiévrés, s’égare dans des couloirs à n’en plus finir et une signalétique confuse.

Malgré tout, Chang sait exactement où il va et pour ce faire, est prêt à tout. Quitte à sacrifier la discrétion, non que les rares têtes d’ampoule croisées montrent un quelconque intérêt à son passage. À se demander s’ils savent seulement les événements qui secouent la surface. Probablement que oui, dans le cas contraire, il y a un manque flagrant de personnel. Tout juste ceux présents, lèvent-ils les yeux de leurs travaux au passage, plus bruyant, de son poursuivant.

Loin de s’être calmé, Aisaan a changé de technique, attrapant et jetant tout ce que le complexe lui offrait sous la main vers son guide improvisé.

- Attend que j’t’attrape, braille-t-il, un extincteur à la main. T’vas voir ce que c’est qu’un vrai Extent en rogne, ‘foiré !

- Boobasnot ma bum bum, chantonne Chang, se baissant de justesse alors que la bombonne lui passe au-dessus des épaules.

- La ferme !

Ce que Chang fait, laissant tout le loisir à Aisaan de combler le silence. Occasionnellement, ils traversent des salles de repos ou de détente, plus évasées, quoique loin d’être fréquentés. Malgré le vacarme de leur passage, aucune alarme ne résonne ; ou plutôt, aucune nouvelle. Dans les profondeurs du complexe, seul le ronronnement des machines berce les cœurs.

Finalement, devant une pancarte, Chang finit par hésiter. Mal lui en prit. Dans la seconde, Aisaan lui a sauté dessus. Les deux hommes roulent sur le sol, terminent leur course aux abords d’une rangée de laboratoires vitrifiées, en apparence déserts.

- J’te tiens, raclure ! s’écrie Aisaan, tentant de matraquer de ses poings l’assistant.

Chang se dégage non sans mal. Il y a longtemps qu’il ne s’est fatigué à faire parler ses phalanges. Pourtant, quand il écrase les joues d’Aisaan avec, l’envoyant tamponner une vitre, son instinct combatif reprend du service.

Ici une baffe, par là un coup de genoux, ensuite une parade. L’échange est vif entre les deux hommes. Aisaan, le premier, en est surpris. Il s’attendait à tout sauf à se faire molester par un type d’une tête de moins ; alors, il tente un Mirage.

Voyant la capsule, Chang se récrie. À sa manière, donc au flingue. Aussi, la capsule à peine extirpée des poches d’Aisaan, celui-ci passe à travers le mur d’un labo proche. Un nouveau tir vaporise le mobilier et le catapulte au fond de la pièce.

La suite, eh bien, dépend d’une anicroche et d’une rencontre malencontreuse…

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