Mortelle cachotterie

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À plusieurs centaines de mètres au-dessus, dans un bureau de surveillance encrassé, tandis que les réjouissances se déchaînent à l’extérieur, le smartphone de la présidente vibre. Trois pulsations, un brèves, trois pulsations, une brève…

Elle décroche.

- Madame la présidente ? dit une voix précautionneuse.

- J’écoute.

- C’est à propos d’Ouroboros.

Le peu de couleur qui subsistait jusqu’alors sur le visage de la PDG disparaît. Elle jette un regard à Andrex. L’ingénieur a le dos voûté vers ses moniteurs, mais les oreilles clairement dressées, à l’affût d’un filet d’informations. Elle ne va pas l’en blâmer. Elle fait donc quelques pas en arrière, laissant ses gorilles faire barrage.

- Allez-y, reprend-elle. Du mouvement ?

- Plus que ça…

- Développez.

- Nous pensons qu’il s’est réveillé.

La présidente reste un instant silencieuse. Instant qui se prolonge au point de pousser son craintif interlocuteur à demander :

- Madame la présidente ?

- Je suis toujours là, reprend-elle. Sédatez-le autant que possible. J’arrive.

Elle raccroche.

Avant de quitter la pièce, elle se tourne vers Andrex. Malgré la présence intimidante de ses gardes du corps, le responsable a tout de même eu le courage, ou plutôt l’audace de tordre le cou dans sa direction. Croisant le regard de la présidente, il se détourne, exsudant l’embarras et la peur.

Mieux ne vaut pas prendre de risque.

Elle dépasse ses protecteurs et approche Andrex, toujours retourné, n’osant plus cette fois faire un mouvement en sa direction. Parfait. Elle a horreur des souffrances superflues. Ses mains viennent plaquer les oreilles du responsable. Surpris, celui-ci ouvre la bouche… et s’affaisse tête en avant sur son panneau de contrôle.

D’un signe, les deux gorilles viennent débarrasser le corps sans vie. La présidente balaie ensuite la salle du regard, plongée, malgré le vacarme des hostilités qui secouent la Tour, dans un silence glacial. Aucun des dix autres employés présents ne se risquent à détacher les yeux de leurs écrans. Les plus peureux, que d’aucuns considèreront comme prudents, se sont même réfugiés dans la sécurité rassurante, quoique virtuelle, de leurs lunettes RV pour se connecter directement aux drones.

Comme la présidente continue de les observer pendant une longue minute, l’une d’entre eux, une jeune femme au visage marbrée de taches de rousseur, finit par craquer ou avoir la curiosité de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule. Ceux ardents de la présidente viennent se river sur elle.

- Toi ! tonne-t-elle en désignant en faisant signe à la jeune femme. Viens ici.

Inquiète, le regard fuyant, cherchant le réconfort que ses collègues ne lui ont jamais témoigné autrement qu’en moquant son minois, la jeune ingénieure s’avance timidement vers sa supérieure toute-puissante. Arrivée à hauteur de claque, la présidente la fait asseoir au bureau d’Andrex.

- Ton prénom ? demande-t-elle d’un ton sec.

- Aurore…

- Aurore, à partir de maintenant, tu es responsable du bureau de surveillance et contrôle de l’aile Sud. Tes collègues sont à tes ordres, quoi qu’ils puissent en penser. D’ailleurs, si l’un d’entre vous à quelque chose à y redire, qu’il se lève et m’en fasse part.

Personne ne bouge, piquant davantage une suée qu’un coup de sang. Tous recroquevillés autant que possible derrière leurs moniteurs. La présidente hoche la tête.

- Gère-moi cette crise mieux que cette incapable, conclut-elle. Au boulot !

- Bien madame la présidente, dit Aurore en pianotant aussi sec sur le tableau de contrôle, encore maculé des empreintes tièdes de son précédent propriétaire.

Sans ajouter mot, la présidente quitte la pièce, suivie par ses deux gardes du corps et gagne son ascenseur personnel. Direction le niveau -13bis, où l’avènement d’une nouvelle ère n’attend plus que son doigté.

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