Carpe Diem (2/2)

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Dehors, l’air est plus pur, moins fétide, sans être plaisant. La rocade passe, il faut dire, juste au-dessus. Aux frontières de la banlieue nord, les poids lourds viennent vidanger leur moteur dans les eaux fluviales, en contrebas. Cette pratique ne dérange pas le maire, pire, elle fait les affaires de son principal supporter : AstraCorp. Une aubaine pour la société pharmaceutique et ses produits prétendument sains pour le corps, vendus à prix d’or. L’odeur reste donc insupportable. La pollution hydrique aussi.

Les autres sortent enfin. La lueur vacillante, jaunâtre de l’éclairage éclaire pour la première fois les traits de ses nouveaux compagnons. Le mécananthrope lui tape dans l’œil. Son visage fait tâche en comparaison de son corps musclé. Une jolie tâche cela dit. Quant au “professeur” d’Imo… juste un quinquagénaire taillé à la serpe, aux antipodes de son compagnon. Elle reste cependant un moment à contempler ses yeux vert-de-gris, au point que celui-ci fasse claquer ses doigts devant les siens.

- Bon, on y va ? lâche-t-il, la perforant de son regard abrasif. Ou vous avez déjà plus de force dans les guiboles ?

- Non, c’est… par là ? répond Keaya, un brin perplexe.

- Me dîtes pas que de tous les péquins disponibles, votre vieille folle a remis le sort de ce sérum entre les pattes de deux incapables pas foutus de se repérer ?

- Eriko, allez-y doucement, intervient Leone, puis se tournant vers Keaya : Par où est-ce, mademoiselle ?

Celle-ci se reprend enfin, stoppant l’élan batailleur d’Aisaan, sur le point de revenir à la charge.

- C’est à deux pâtés de maison d’ici. Suivez-moi. On passe par les ruelles adjacentes. J’ai tout sauf envie qu’on se fasse griller par votre faute.

Sur ces mots, elle marche aussi vite que possible vers la ruelle proche, nimbée d’obscurité, au grand dam de Leone et d’Aisaan.

- On y va, dit ce dernier. On suit la princesse. Allez, remuez-vous.

Ils évoluent ainsi entre les ombres, contournant les nappes de lumières des réverbères fatigués. L’air est frais, moite. Au loin, un orage gronde, masquant les constellations de son aura rugissante, à moins que ce ne soient les échos de l’échauffourée toujours en cours. Peu importe. Le sérum passe avant.

Au hasard d’une venelle, encadrée d’habitations boisées, ils tombent brièvement sur un groupe de jeunes gens jouant du surin à la lumière diffuse d’un néon inconstant. Keaya montre ses mains, laissant croire, comme Aisaan, qu’elle n’est pas une menace. Les jeunes sourient, l’un d’eux passe une lame devant sa gorge avant de déchanter à la vue de Leone, puis de finir la tête dans une benne à bouteilles, après un tir au jugé de Sanchez. Le reste du groupe se disperse sans demander son reste.

- Ne refaites plus jamais ça, lui chuchote Keaya, une fois qu’ils ont tourné l’angle.

- Je ne fais qu’appliquer le souhait d’un de nos anciens dirigeants, réplique Sanchez de vive voix. Vous devriez un peu honorer les mémoires des anciens, vous aussi.

La jeune femme ne répond rien, bien qu’une bonne douzaine noms d’oiseau lui titille son palais, désormais débarbouillé. À la place, elle chemine à ses côtés sans un mot, tâchant de l’observer le plus discrètement possible. Raté.

- J’ai un furoncle sur la gueule ? tonne le savant.

- Non, pardon… C’est juste que… Vous ne vous êtes pas présenté. Aucun de vous deux, vous pourriez peut-être…

- Je m’appelle Eriko Sanchez, bientôt le plus grand scientifique de mon temps au vu de ce qui m’attend ici.

- Rien que ça ? demande-t-elle confuse.

- Et plus encore. À gauche ou à droite, maintenant ?

Ils viennent d’arriver devant une intersection. La rue enfante d’une nouvelle ruelle sombre et immonde d’un côté, moins crasseuse et plus aérée de l’autre. Aisaan les double, optant pour une touche de lumière. Sanchez lui emboîte le pas, les deux autres suivent.

- Et vous ? questionne Keaya, à l’intention de Leone. Vous êtes ?

- Leone, répond-il simplement. Accessoirement, celui qui vous a sauvé la vie, au cas où vous l’auriez oublié.

- Et je vous en remercie. Et arrêtez de m’appeler “mademoiselle”. Keaya suffira.

Leone hoche la tête, silencieux. Ils marchent, contournent une patrouille d’uniformes d’un nouveau détour. Keaya devance le malaise naissant et reprend.

- C’est votre père ?

- Non...

Keaya le fixe. Sa réponse était tout sauf péremptoire. Trop allongée, ponctuée d’une suspension bizarre.

- Adoptif ?

- C’est compliqué. Pourquoi ces questions ?

- Pour la conversation. Vous faites un duo vraiment zarbi.

- C’est pour cela que vous le dévisagez depuis tout à l’heure ?

- Pardon ?

- De nous quatre, vous et votre amoureux faites aussi pas mal la paire.

- Ce… Aisaan n’est pas mon petit-ami !

Elle a prononcé ses mots plus fort qu’elle ne le pensait. Le dénommé se retourne, surpris. Pivoine, Keaya le court-circuite.

- Tu te tais.

- Mais j’ai rien dit !

- C’est déjà trop. Tu la fermes.

- Pourquoi ? T’es gênée, princesse ?

- Dites, Roméo et Juliette, vous fricoterez plus tard, les interrompt Sanchez, en se plaçant entre eux. J’aimerais, s’il vous plaît, livrer le barda que vous avez égaré, à votre fouisseur. C’est encore loin ?

Aisaan ouvre la bouche, mais se la fait obstruer par la main métallique de Leone, qui le plaque, lui et Keaya entre deux conteneurs dégoulinant de pourriture. Il fait signe à Sanchez de venir les rejoindre. Urgence.

- Non, mais vous êtes pas bien ? s’exclame la jeune femme, qui finit museler comme son possible Roméo.

- Silence, murmure Leone. Plus un son, plus un bruit. Regardez. Discrètement.

Une ombre se dessine dans la ruelle qu’ils viennent d’abandonner en catastrophe. Quelques secondes plus tard, une silhouette dodelinante, craquant des articulations, la descend, droit vers l’opacité des bas-quartiers. Une silhouette familière. Les deux jeunes gens écarquillent les yeux à sa vue. Une main plaquée sur ses côtes, probablement fêlées, le Samouraï de Minuit continue sa chasse. Il a toutes les peines du monde à évoluer d’équerre, mais avance à cadence rapide, un nouveau sabre dans le dos. Heureusement, il ne les remarque pas. Ses yeux explosés, trop occupés à scruter les ténèbres droit devant.

La petite troupe attend qu’il ait disparu. Une minute passe. Ils se remettent en route. Dans la direction opposée du SuperZ.

- Il a d’jà récupéré… Comment vous avez su que c’taré nous fonçait dessus ? demande Aisaan, jetant des regards inquiets derrière lui.

- Je ne le savais pas. Je l’ai juste senti. Il n’est pas très discret. Il vaudrait mieux cela dit que nous arrivions à destination rapidement. Il y a un certain nombre de présences néfastes dans les environs.

- On est plus très loin, dit Keaya. Par-là. Encore une centaine de mètres et nous y sommes.

La jeune femme s’engouffre dans une nouvelle voie. Suivie des autres, elle serpente à travers un dédale mal-famé, pour finalement déboucher dans une impasse plus tranquille. Au bout, en partie dissimulée par une rangée de cerisiers des collines, se trouve une maisonnette haute et étroite, tirant sur le Parme, entourée d’une pelouse émeraude, agrémentée d’arbres fruitiers.

Tout est silencieux. La fine brise nocturne berce les branches d’une harmonie sylvestre bienvenue après tant d'agitation. S’approchant, les nouveaux-venus (Leone et Sanchez) aperçoivent un mince cours d’eau louvoyer entre les arbres et venir caresser les roues à aubes, arrimées sur les faces de la maison. Sanchez remarque en plus la présence de batteries occultées dans des abris suspendus, raccordées au dispositif. Ingénieux, lui-même n’aurait pas fait mieux.

- Qui est cette Taupe, exactement ? interroge le savant.

- Ça, vous allez vite le savoir, répond Keaya, en montant les marches du petit perron en calcaire, menant à un petit sas cossu.

Elle sonne à l’interphone. Une caméra descend d’une trappe, les zieute de son œil de verre, puis remonte, aussi vite qu’elle est sortie. Quelques instants plus tard, le temps pour Aisaan de poser son derrière trempé sur un pouf rayé, la porte d’entrée coulisse.

Leone sourcille. Sanchez plisse une paire de paupières. Un homme se tient dans l’embrasure. La quarantaine tout au plus, vêtements casuels, dont une chemise à fleurs d’un autre âge, des cheveux grisonnant, noués maladroitement en catogan, autour d’un visage anguleux bronzé, étonnement familier. Leone ne peut s’empêcher de regarder Sanchez, puis l’homme à nouveau. Celui-ci leur rend leur surprise, puis avise la présence des deux jeunes gens, épuisés.

- Keaya, Aisaan ? demande-t-il. Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui vous est arrivés ?

- Bonsoir papa, répond Keaya. On peut entrer ? C’est important.

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