Carpe Diem (1/2)

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L’air se fissure d’un seul coup. Une déchirure blanche au milieu du chaos, de laquelle la foudre se déverse, forant sans distinction bois, béton et organismes vivants. Le Banshee en fait partie. Il n’a même pas le temps de réagir qu’un éclair lui emporte le visage. Aucune effusion de sang. Plus de cri. Une brève flagrance de mazout se dégage du corps, qui s’effondre mollement dans les débris, en compagnie d’Extens fauchés au vol.

Trois silhouettes jaillissent hors du portail, sous l’assistance médusée. À genoux, l’épaule en sang, Martha reconnait Imo. Les deux autres lui sont totalement inconnus. Un grand type poivre et sel vêtu d’une blouse mal taillée, tenant une sorte de pompe à bécane ; accompagné d’un mécananthrope large d’épaules, pourvu d’un bras métallique comme elle n’en a jamais vu jusqu’à présent.

Alors que la fissure se résorbe et que le rideau d’obscurité retombe, les trois arrivants saisissent la situation d’un coup d’oeil. Imo plus que les autres.

D’un bond, l’immortel saute aux côtés de Martha et, sans même laisser le temps à celle-ci de l’invectiver ou lui coller une baffe en partie méritée, il lui injecte sa capsule. L’effet du Mirage est immédiat. La blessure de la doyenne se referme presqu’aussitôt, son corps recommence à produire la chaleur qui la caractérise. Elle sourit, roulant des mécaniques… littéralement.

- Adieu, bande d’enfoirés, déclare-t-elle avant de frapper dans ses mains.

La vague ardente purifie les ruines de l’infirmerie et une partie de la pièce dans laquelle elle se tient. Une odeur de brûlé envahie les lieux. Elrin reprend du service aussi, fonçant entre les combattants restants, comprimant les pommes d’Adam, avant de bondir à l’étage en compagnie d’Imo. Moins d’une seconde plus tard, c’est un Samouraï, la face en vrac, qui passe à travers le toit.

Leone aussi a compris les enjeux. Un pied à peine pausé dans le XXIIe siècle, le pédant de minuit a accroché son champ de vision. L’épée levée, le dos cambré dans une pose escherienne, même pour donner la mort, ce snobinard plastronne à n’en plus finir. Ensuite, son regard s’est posé sur sa victime et là…

Sa main a intercepté, serré, et brisé la lame net. Surpris, le Samouraï a tourné la tête et expérimenté une bugne sur la truffe, avant de se faire agripper, sonné, par le col de son kimono couleur nuit puis balancé, tournoyant, à travers la charpente branlante. Sous les nues, personne ne l’a entendu rugir. Seul un marquis de la manchette aviné tente de lui faire les poches à l’arrivée, une rue plus loin, où sa colonne a fini émiettée avec le trottoir.

Cette formalité accomplie, Leone se tourne vers Keaya, toujours étalée dans les décombres, un œil maintenant entrouvert du fait de la lenteur impromptue du rasoir national.

- Vous allez bien mademoiselle ?

Elle ne répond pas. Ses yeux clignent, le dévisagent autant qu’ils le dépiedissent. Toujours engourdie, elle parvient à balbutier d’une langue rendue visqueuse par l’hémoglobine :

- Vous êtes le type du marché.

À son tour, Leone reste un moment silencieux, pensif. Il a déjà croisé cette… ? Mais oui ! Ça lui revient. La boulevardière pressée et son amoureux ! Celle-là même qui a fait tomber le sérum. Ah, le monde est vraiment petit. Cruel aussi. En la regardant, ainsi pourvue d’un deuxième nombril, le bras découpé, il pressent qu’elle doit vraiment passer la pire nuitée de sa vie. Davantage agréable que celle de son promis cela dit, observe Leone à la vue du corps inerte d’Aisaan. Presqu’inerte. Le jeune homme reprend connaissance et se met à quatre pattes, les traits tordus de douleur.

- Oui, nous nous sommes croisés là-bas, reprend Leone, un sourcil haussé. Vous pouvez vous lever ?

- C’est vous qui nous avez volé la fiole.

- Non, répond-il après une pause. Je l’ai simplement ramassé, pour vous…

- Putain, ça fait mal ! s’écrie-t-elle d’un coup en tentant de se rasseoir.

- Allez-y doucement, alors. Tenez, prenez ma main, laissez-moi vous aid…

- Où est passé c’t’enfoiré ?! braille d’un coup Aisaan, de nouveau sur pieds, avant d’aviser la présence de Leone. Vous êtes qui, vous ? Attendez, vous êtes pas l’aut’connard qui nous a fauché la fiole ? Kesk’vous foutez ici ?!

- Tu veux rejoindre le Samouraï ? réplique Leone, qui commence à s’agacer.

- Vous l’avez tué ?

- Seulement envoyé lustrer les nues.

- Comment… Vous êtes qui ?

- À couvert ! gueule Martha.

La chaleur augmente subitement. Leone pousse Aisaan vers Keaya, se protège de son bras et encaisse l’onde ardente irradiant du corps de la doyenne. À quoi rime cet imbroglio ?

En périphérie de son champ de vision, il note que Sanchez s’est abrité derrière une table à demi-fondue, renversée sur le sol. La chaleur générée par cette folle est invraisemblable. La seule chose qui retient Leone de l’envoyer dans le sirop, tient au fait qu’il a vu Imo foncer vers elle pour lui injecter le contenu de son boost. C’est une alliée. Reste qu’elle est complètement maboule. Pour un peu, il se serait cru dans le four de la pizzeria.

Des Extens en combinaison d’assaut tombent en pâmoison autour de lui, essayant en vain, d’endurer la morsure du sirocco. Puis, alors que la température commence à produire des mirages, Leone entreprend de transmuter l’énergie thermique. C’est l’avantage d’avoir une turbine en plus du cœur, tant pour lui, que pour les autres. Une légère brise fraiche émane de son corps, équilibrant progressivement le microclimat naissant, dans cette cave à ciel ouvert.

Martha cille. De toute façon, elle a terminé. Les rares personnes encore debout, sont dans son camp. Elle présuppose que ces deux types bizarres ne sont pas des ennemis. Tout particulièrement l’étrange mécananthrope, qui s’est débarrassé du SuperZ, affaibli certes, en un tour de main. D’où est-ce qu’ils sortent ?

A l’étage, soit le rez-de-chaussée, c’est un pugilat. L’effet de surprise disparu, les assaillants se font repousser manu militari hors de l’ex-pizzeria, contre les parois blindées de leur transporteur ailé. Hors de question cependant pour Imo et Elrin de les laisser partir. D’un regard entendu, ils ont commencé à déchirer les entrailles du véhicule, enroulant plusieurs Extens dans les câbles, envoyant certains d’entre eux rejoindre Claude François parmi les étoiles.

Devant pareil spectacle, les agents d’AstraCorp sonnent la retraite. Temporaire. Nulle doute, que d’autres vont se pointer d’ici cinq minutes. Il faut partir. Vite.

- Il faut que vous partiez, déclare Imo, en sautant dans le Caveau, insensible à la fournaise.

- Évidemment, réplique Martha. Les recrues, dispersez-vous dans la ville. Semez ces chiabrenas dans les banlieues est et ouest. On va tâcher de vous faire gagner du temps. Imo ! j’attends tes explications !

- C’est long et compliqué.

- Essaie quand même.

- Eh bien, je suis parti dans le passé au XXIe siècle où j’ai rencontré…

- Laisse tomber. Explique-moi simplement qui sont ces mecs.

- De l’aide ?

- Ça me va. Le sérum ?

- Le professeur l’a sur lui.

- Augmenté ?

- Non.

- Alors qu’il décampe, conclut Martha, se tournant vers Sanchez, hors de sa cachette, et Leone. Vous décampez. Pas toi, Imo. Keaya et Aisaan, vous reprenez votre mission. Conduisez ces deux masos chez la Taupe. Vous en profiterez pour vous refaire une santé.

- Non... conteste Keaya, debout, son seul bras valide autour des épaules d’Aisaan. Je ne veux pas… Il doit y av…

- Ferme-là, braille Martha d’une montée de chaleur soudaine. Tu y vas, point barre. J’ai tout sauf envie d’avoir un boulet dans mes pattes. Cassez-vous, par la murale.

- Oui, cassez-vous, les enfants, ajoute Imo, gratifiant Leone d’un sourire narquois. Papa et maman ont du boulot.

- Fais gaffe à ce que tu m’sors toi, si tu veux pas finir la tête comme une gaufre, rétorque la “maman” en sautant hors de la cave d’un bond, non sans avoir fait un crochet vers Keaya pour cautériser le trou béant de ses tripes, ainsi que lui filer une trempe, pour avoir osé pousser un cri circonstancié.

Restés seuls, les quatre compagnons par intérim se regardent un moment, indécis. Trois d’entre eux, seulement. Sanchez, déjà tourné vers l’avenir, se racle la gorge.

- Qu’est-ce qu’on attend exactement ? On y va ou on mesure nos engins ?

- Vous êtes qui à la fin ?! interroge Aisaan.

- Bien, je prends les devants. Leone, trouvez donc cette “murale” dont parlait la vieille turbine.

- Hé ! Changez de ton ! s’exclame Aisaan.

- Aisaan… marmonne Keaya. La ferme. On n’a pas le temps. Dis-leur où est la porte avant qu’AstraCorp ne redéboule ici.

Un bref instant, Sanchez se demande s’il ne va pas avoir besoin d’envoyer voler ce merdeux, davantage enclin à passer ses nerfs sur eux, qu’à les aider à fuir. Ledit finit par grommeler deux-trois imprécations fleuries, puis les dépasser pour pénétrer dans les restes brûlants de l’infirmerie. Il presse ses paumes sur la paroi du fond, qui coulisse, révélant un passage jouxtant le conduit d’égout proche. Aisaan, à l’instar de la plupart des Pandas, déteste passer par là. Ses vêtements et sa peau empestent les eaux grises, même après se les être récurés au karcher. Mais cette nuit, pas le choix.

D’une remarque acide, il interdit les lampes et confie Keaya à l’épaule de Leone puis s’engouffre le premier. Ses yeux seuls, pouvant percer les ténèbres. La procession farfelue marche silencieusement pendant plusieurs minutes. L’humidité pestiférée de la voûte arrondie vient s’écraser dans leur nuque par goutte odorante, ponctuant l’écoulement des eaux usées de “ploc” dispensables. Par deux fois, Sanchez tente de prendre la parole, mais Aisaan l’envoie paître. Silence, tant qu’on n’est pas en lieu sûr, qu’il zonzonne.

Pourtant, un coude plus loin, c’est lui le premier qui déchire le silence.

- Vous pouvez quand même me dire, qui vous êtes. S’il vous plaît, ajoute-t-il après une brève pause.

Personne ne lui répond. Le jeune homme s’en agace de suite.

- Dites, vous pouvez répondre !

- C’est vous-même, andouille, qui nous avez dit de rester silencieux, rétorque Sanchez, un sourire dans la voix.

- J’ai changé d’avis ! J’aime pas marcher avec des inconnus. Surtout dans les égouts.

- Parce que ça vous arrive souvent ?

- Fermez-là !

- Dites, faudrait savoir !

- Mais fermez vos gueules ! intervient Keaya. Lâchez-moi, vous le balourd ! Je peux marcher, je vais bien !

Leone s’exécute, haussant les épaules dans l’obscurité. La jeune femme boitille en tête de cortège, bousculant Aisaan contre une grille poisseuse, qui finit le séant dans l’eau.

- C’est merci qu’on dit, princesse ! lui crie-t-il, bondissant sur ses pieds, manquant de s’étaler sur le sol glissant.

Leone le dépasse, concerné par l’état de la jeune femme. Il ne peut s’en empêcher. La lame du Samouraï lui avait paru anormalement affuté. Savoir qu’elle a foré les entrailles de Keaya et que celle-ci arrive à marcher malgré le sang perdu, lui indique qu’elle a eu droit au fameux Constituant Zeta. Reste qu’elle demeure humaine, donc mortelle.

Inconsciente de l’attention de Leone, la jeune femme continue d’avancer. Ses blessures lui font un mal de chien, mais commencent déjà à cicatriser. Elle sent ses vaisseaux se reconstituer et les acouphènes disparaître. Aux abords de la porte, ou tout du moins, l’orifice de sortie, elle peut à nouveau marcher sans accroc.

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