Mon royaume pour un serum

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- Vous savez, ce type m’a rappelé quelqu’un.

Leone renifle, tâche d’ignorer la pique.

Voilà cinq minutes que l’agitation était retombée. Après une dernière pose emphatique sur la carcasse du monstre, le sabreur avait bondi par-dessus les toits, disparaissant aussi vite qu’il était miraculeusement intervenu. Aussi sec, sans même prendre la peine de débarrasser les gravats, éponger la raisiné corrosive fumant des plaies de la créature, voire tout simplement, d’hélitreuiller son corps loin d’ici, la plupart des stands avaient repopé comme des champignons et les passants, revenus faire leurs emplettes.

Rien de mieux que de grandes bouffées de capitalisme après un bon massacre !

Entourés ainsi d’individus babillants, l’écume du carnage encore aux lèvres, Leone et Sanchez s’étaient regardés, puis commencés enfin à évacuer l’avenue bourdonnante. À choisir, un mastodonte ravageur est plus fréquentable qu’une foule de consommateurs ahuris.

Sur le chemin, que Sanchez a rouvert la bouche pour faire un parallèle ambigu entre le sabreur anonyme et la Chouette de Novembre.

- Vous, les justiciers ténébreux, aimez vous mettre en scène. Une arrivée à s’éclater les rotules, des poses oiseuses pour les plumes du coin ou les écrans multiples et toujours un sens du massacre très détaillé.

Leone le laisse dire. Sa colère est retombée au moment où le samouraï de boulevard s’est fait la malle. Au-delà de ses courbettes finales, ce type avait fait montre d’une vitesse et d’une force invraisemblable. Était-ce le fruit des nano-implants dont leur avait parlé le trafiquant cybernétique ? Possible. À moins que ce ne soit lié à…

Il s’arrête. Sanchez continue d’avancer un instant avant de remarquer l’arrêt de son compagnon et interrompre sa logorrhée narquoise.

- Eh bien quoi, la Chouette ? interroge le scientifique. Je vous ai encore vexé ? Si c’est le cas, c’est juste une pl…

Leone ne lui prête aucune attention. Au milieu des promeneurs nocturnes, il sent une présence. Une présence différente. Froide, vaporeuse, papillonnant autour de lui. C’est étrange. Personne pourtant ne lui accorde vraiment d’attention, seulement des regards occasionnels sur son bras sémillant.

Ensuite, alors qu’il hausse les épaules et amorce un pas vers le professeur, quelque chose de glacée s’étale sur sa poitrine, en dessous de l’étoffe de sa veste. Le moment est bref. Leone a à peine le temps de tressaillir que la présence s’est retirée. Elle semble s’éloigner, droit vers son compagnon. Sans trop réfléchir, par une sorte de réflexe musculaire, il plonge sa main vers ce qui lui paraît être l’épicentre de l’aura indéfinissable.

Ses doigts se referment sur une épaule.

Leone cligne. Devant lui, se tient un jeune homme. Il mettrait sa main à couper, qu’il ne l’avait pas vu une seconde plus tôt. Pourtant, il est bien là, un quart de siècle, un blouson en cuir noir, légèrement trop large, sur les épaules, au-dessus d’un pantalon tout aussi foncé et de simili Dr Martens, qui mériteraient un bon coup de sopalin.

Surpris à la vue de cette “apparition” inattendue, il retire sa main aussi sec. Le jeune homme semble au moins autant interloqué.

- Je peux vous aider ? demande-t-il simplement.

- Non… Je suis désolé, je ne vous avais pas vu, enfin… j’ai eu une drôle de sensation et… Laissez tomber.

- Vous allez bien ?

- Oui, ne vous inquiétez pas, c’est juste que…

Leone laisse sa phrase en suspens. Dans la main gauche du jeune homme, légèrement camouflée derrière son dos, il distingue un objet oblong, luisant du même mélange de couleurs que…

Il fouille sa poche intérieure.

Disparu !

La fiole, la capsule qu’il avait ramassée n’est plus là. Leone relève la tête. Les yeux du pickpocket s'écarquillent. Se sachant grillé, il fourre son butin dans une poche de son blouson, repousse violemment Leone d’un coup de paume et bondit en arrière, avant de détaler hors de l’avenue, droit dans un enchevêtrement de ruelles.

- Arrêtez ce type ! tonne le cyborg à qui veut bien l’entendre.

- Pourquoi ? D’où est-ce qu’il sort ? demande Sanchez, surpris par la tournure des événements.

- On s’en fiche ! Aidez-moi à le rattraper ! Immobilisez-le avec un de vos gadgets, faites quelque chose ! Il vient de me voler… de me voler !

- Parfait. C’est l’occasion rêvée de tester mes petites améliorations pour…

- Je m’en fiche, courez !

Et ils courent. Leone devant, frôle les passants qui s’écartent maladroitement, bondit par-dessus les obstacles que le voleur renverse. Sanchez derrière, mouline son arme fétiche, puis ajuste le canon sur le dos de sa cible. Il tire.

Le mur le plus proche vole en éclats. Des blocs de béton sifflent sur le dallage et les vitres. Raté. Sanchez fait feu de nouveau. Cette fois, la décharge fait décoller leur spoliateur, qui va se réceptionner quelques mètres plus loin et reprend sa course sans marquer le moindre arrêt. Le tir suivant le rate en beauté, au contraire d’un couple bigarré qui tournait d’une rue adjacente.

- Eriko, arrêtez de tirer n’importe où avec votre arme ! s’exclame Leone, énervé, dépassant le couple étalé au sol.

- J’essaie de vous rendre service, je vous rappelle, réplique le professeur, envoyant bouler l’un des conjoints essayant, un bref instant, de l’arrêter.

- Et j’apprécie le geste ! Néanmoins, inutile de tirer sur tout ce qui passe, à commencer par des innocents. Attention !

Son bras métallique envoie valdinguer une poubelle en acier qui leur fonçait dessus contre la devanture d’une épicerie, heureusement fermée. Leone grimace. Il n’aime pas causer autant de dommages pour si peu.

Devant, il lui semble que son voleur prend du plaisir dans cette petite course-poursuite. Au coin d’une venelle sombre, il bondit au-dessus d’une palissade de bien deux mètres de hauteur et reprend sa course sitôt réceptionné. Leone se propulse d’un coup de grappin, gagne du terrain. Sanchez pour sa part, ne se donne pas cette peine et dégomme l’obstacle d’une nouvelle onde de choc.

Progressivement distancé, soufflant comme un vieux gnou, le savant fait pivoter la poignée de son arme. Changement de mode. Ces deux imbéciles vont voir s’ils feront toujours les malins après un tir de ce calibre.

Inconscient du magouillage de Sanchez, Leone accélère. Les pistons de son avant-bras s’affolent, puis sa main-grappin part se refermer autour du cou du fuyard. La réaction est immédiate. Inattendue aussi.

Le pickpocket s’immobilise, se retourne, attrape le câble du grappin et tire d’un coup brusque. Leone manque de s’effondrer en avant puis tente de tracter sa proie par le cou. C’est à peine si le jeune homme bouge. Sa main libre essaie de se libérer de l’étau des articulations blindées, avant que son corps entier ne soit projeté contre un mur proche. Ce coup-ci Sanchez l’a touché de plein fouet.

L’air autour du jeune homme semble, l’espace d’une demi-seconde se solidifier, avant de se compresser puis exploser dans une violente onde de choc. La violence du tir projette Leone et son adversaire contre le mur en brique d’une vieille boutique proche.

Le jeune homme laisse échapper un grognement, mais se relève aussi sec… avant de se baisser in extremis pour éviter le poing cuirassé de Leone, déjà rétabli, qui vient fracasser la maçonnerie. De son autre main, le cyborg plaque le jeune homme contre le mur. L’autre se libère d’une mornifle. Il frappe Leone au plexus, pour mieux se faire faucher d’un coup de rotule au menton et ricocher à nouveau contre le mur, à présent en ruine.

Loin d’abandonner toute résistance, il s’arrache à l’étreinte des briques et vient cogner de plus belle sur Leone. Après un rapide échange de torgnoles, sa paume parvient à stopper le poing métallique. Dommage qu’il en oublie la présence de Sanchez. Celui-ci l’envoie rebondir cinq bonnes fois sur le mur, puis dans la vieille arrière-boutique à présent pourvue d’une nouvelle ouverture.

Cette fois, Leone ne lui laisse aucun répit. Il le cloue au sol, écrasant son thorax du pied, compressant sa trachée de ses doigts métalliques.

- Bien, déclare-t-il. Maintenant que vous êtes calmé et immobile, vous allez nous rendre ce que vous m’avez volé.

- Je n’ai fait que reprendre ce qui m’appartenait, répond le jeune homme, tout sourire malgré sa condition.

- J’en doute. Qui êtes-vous ?

- Je devrais vous poser la question. Qui êtes-vous, vous ? Comment m’avez-vous vu ? Et qu’est-ce que vous comptez faire du serum ?

- Vous n’avez pas à le savoir. Maintenant rendez-nous la fiole !

- Vous vous attendez vraiment à ce que vous la tende ? Hé là !

Sanchez s’est avancé et, sans ménagement, a entrepris de détrousser leur détrousseur. D’une des poches, il extirpe une sorte d’injecteur, rempli d’une substance grenat, similaire à celle aperçu par Leone. Le savant le porte à sa vue, plissant les yeux.

- Qu’est-ce que c’est ? demande-t-il davantage pour lui que pour les deux autres.

- Pas ce que vous cherchez. Remettez ça où vous l’avez trouvé, répond le jeune homme, un bras tendu vers Sanchez.

- Non, ça m’intrigue. Je n’ai jamais vu une substance pareille, réplique-t-il en la fourrant dans une poche de sa blouse. Il faut que je l’analyse, désolé.

- Désolé ?

- Eriko, vous ferez ça plus tard. Essayez une autre poche, je l’ai vu glisser la fiole dans l’une d’elles avant de se barrer.

- Je ne crois pas non.

Sans prévenir, il frappe la jambe l’immobilisant. Leone tressaille, relâchant son emprise un bref instant. Il ne l’aurait pas cru capable d’une telle force, surtout bloqué dans cette position. Le jeune homme saisit l’ouverture pour se dégager et bondir sur ses pieds, repoussant Leone et Sanchez de chaque côté de la pièce ravagée. Temporairement.

Ce coup-ci, le bras mécanique va s’écraser sur le visage du jeune homme, projetant la tête sur le côté, dans un craquement sinistre. Sans attendre, Leone enchaîne les coups, matraquant le crâne de ses deux poings meurtriers. Sa patience a atteint ses limites de la soirée. Impitoyable, méthodique, ses phalanges de plus en plus rouge, viennent briser mâchoires, pommettes et cartilage. Ses genoux se plient et viennent s’écraser contre les côtes de sa victime qui se plie en deux, puis cueillir d’un uppercut.

D’un dernier coup de poing terrifiant dans la nuque, Leone envoie le jeune homme s’écraser face, enfin ce qu’il en reste, contre terre, où il ne bouge plus. Mort, de toute évidence.

Haletant, la respiration sifflante, Leone reste debout, immobile. Son cœur affolé, tambourine dans ses tympans. Le vacarme des engrenages étouffe le silence, lui vrille le crâne ; et son visage, d’ordinaire si calme et plaisant, est maintenant éclaboussé de raisiné, rendue sombre par l’obscurité de la pièce en ruine. Quelques gouttes ont pénétré sa rétine, l’aveuglant. Il porte une main visqueuse à son visage, avant d’être brutalement projeté à travers la pièce.

Sanchez, jusqu’alors impassible, vient de décharger son arme sur Leone. Il a déjà vu des hommes se faire passer à tabac, mais pas aussi violemment et surtout pas à mort. Une bonne secousse pour lui remettre les idées en place, voilà ce qu’il faut à cet emplumé.

Cela dit, il y a plus important : Comment se débarasser du corps ? Le laisser là ? Le balancer dans le tout-à-l’égout ? Y en a-t-il seulement un dans cette métropole crasseuse ? Et le sang ? Qui va passer la serpillière ?

Leone est moins versé dans le pragmatisme. Étendu sur le sol, le regard rivé sur le lambris, il fixe ses mains luisantes et poisseuses. Pas encore…

- Eriko… commence-t-il en se remettant à genoux. Je suis désolé… Je ne voulais pas…

- J’imagine, répond Sanchez en se tournant vers lui. Tant de violence pour un simple voleur à la tire, c’est un peu excessif. Même pour moi.

- Je… Je suis désolé. Je n’arrive pas à me contrôler. C’est… plus fort que moi, surtout quand je m’énerve…

- Rien d’étonnant vu le bazar qu’est votre corps, je suis surpris de ne pas avoir vu de séquelles psychologiques plus tôt. Enfin à l’avenir, tempérez vos ardeurs.

- Je suis désolé.

- J’ai compris, merci ! Et puis franchement Leone, en vérité, ce n’est pas bien grave. Si vous saviez le nombre “d’accidents” que mon passage à déclencher à certaines époques, vous êtes Zabadie du Manège enchanté en comparaison.

- … J’ignore si je dois me sentir rassuré ou inquiet.

- À choisir, soyez rassuré. Vous m’avez suffisamment fait chier ce soir avec vos montées d’inquiétudes. Maintenant, reprenez le machin que vous avez ramassé ou piqué, j’ai pas trop suivi l’affaire et débarrassons-nous de ce corps.

- Ce ne sera pas nécessaire.

Leone sursaute. Sanchez tique. Au sol, le corps remue, puis se relève. Le jeune homme soupire, fait craquer sa nuque, rajuste sa mâchoire et d’un geste débarbouille son visage maculé de sang et seulement de sang. Aucune contusion, fracture ou imperfection ne déforme son faciès. A dire le vrai, il semble davantage sortir d’une dégustation saignante que d’un passage à tabac.

Il s’étire à la manière d’un gros chat, les yeux posés sur les deux hommes, tout particulièrement Leone, en position défensive.

- Tu cognes sacrément fort, déclare-t-il. Même pour un mécananthrope. Vous êtes qui exactement ?

- Comment... Comment pouvez-vous vous tenir debout ? balbutie presque Leone. Personne ne peut survivre à ça.

- Ça, je te le confirme. D’ailleurs, tu m’as tué vilain garçon. Ça faisait un baille, mais je devrais presque te remercier de m’avoir épargné cette peine.

Leone l’observe. Tous ses muscles tendus, prêt à en découdre s’il prend à cet énergumène l’envie de chercher sa revanche. Il n’en est rien. À la place, le susnommé s’appuie nonchalamment contre le mur démoli, croisant les bras.

- Il faut qu’on parle, déclare l’homme avec un sourire maculé de sang déjà séché.

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