2. A la recherche du fun

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- J’ai un petit côté centriste, donc…

- Vous avez voté Bayrou et vous êtes fait enfler comme moi ?

- Qu-quoi ? Non, enfin si, mais c’est pas la question. Le deuxième portail… de quoi s’agit-il exactement ?

- Probablement l’avenir qui nous attend si on continue ce qu’on fait, c’est à dire : rien.

- A ce point-là ?

- Oui, c’est notre présent mais en plus merdique. La République est toujours debout, toujours avec le numéro 5, on a toujours les mêmes incapables ou leurs rejetons. En fait, c’est à peine si on peut percevoir la différence.

- Ça a l’air nul.

- C’est le cas, du coup vous voulez forcément y aller.

- Ben…

- Parfait ! Prenez ça. Les regardez pas comme si c’était du plutonium, ce ne sont que des billets, car oui, il y en a encore à la fin du XXIème siècle. Les cryptos, les systèmes plus éthiques, tout ça, on s’en contrefout. C’est du vent. On garde ce qui réussit aux plus aisés. Vous savez, ça devrait être le credo de notre oligarchie.

- Ça a vraiment l’air nul.

- Taisez-vous. Avancez, fermez les yeux et retenez votre respiration. Maintenant allez-y !

- Degdeg !

Il y a un pop, le mot « pourri » qui résonne, puis David n’est plus là.

A des dizaines d’années de là, le reporter temporel inhale un coup et ouvre les yeux. Il est dans une ruelle froide, sur un sac-poubelle. Il n’y a rien à part des briques et de la crasse sur les murs délavés. Devant lui, au bout, une rue tranquille où circulent autos, motos, vélos et traversent des parigots mégalos.

David s’avance, quitte la ruelle, pour regarder autour de lui. C’est ça le futur ? C’est pas très différent du présent ou même du passé, le professeur Sanchez marque au moins un point. Le premier d’un long bingo.

C’est d’un plat, d’un creux, d’un ennui, bref, c’est Paris, fidèle à lui-même, parcouru de ses fourmis travailleuses. S’il n’était pas sorti d’un portail temporel et un peu spatial, il se serait cru en route pour la rédaction.

Tiens, tiens la rédaction… C’est une idée, ça. Après tout, autant voir si Le Ricaneur a de l’avenir.

David descend la rue, débouche place Bastille. Champolion avait vécu. Sans doute ferait-il des loopings dans sa tombe en voyant l’état de l’obélisque, toute tagguée et laborieusement brossée par de vieux employés municipaux courbés.

Près de la Seine, trône une relique du passé, de toute évidence revenue à la mode : un kiosque. Vert, fer, sans verre, autour d’un kiosquaire aux portes du troisième âge, il présente, ô surprise, un amas de journaux faisant la part belle aux coups de com’ de l’Elysée. S’approchant, regardant sans trop le montrer, pour finalement ventiler le vendeur fripé d’un biffeton turquoise, David se procure Le Parisien, dont seul le logo semble avoir changé.

Samuel Micron repousse la retraite à 68 ans ! La CFGT veut sa peau !

Tiens, il y a pas que les gens qui ont fini fossilisés, les syndics aussi. Également les politiques, un Darmanin ministre du droit des femmes, la bonne blague et un rejeton de la famille Cazeneuve aux finances, mais où va le monde ?

Un instant, un instant… il est à peine arrivé qu’il commence déjà à s’encroûter dans le vent de manif qui secoue l’exécutif. La rédaction, voilà son objectif. Coup d’oeil sur sa montre, il a encore 7 bonnes minutes, largement le temps donc. Cap pour la Ceriseraie !

Sur le trajet, il ne croise aucun drôle de zouave, seulement des vieux balayant la chaussée, lavant des vitres ou attifés façon émissaires de l’URSSAF. Le chômage des jeunes devait être une belle saloperie, à l’instar du climat. Le ciel paraît si voilé, comme nappé d’une épaisse couche de monoxyde et niveau émission, l’électrique ou le dihydrogène n’ont pas gagné la bataille de l’énergie. Pire, les centrales à charbon n’ont jamais autant tourné, depuis que des scientifiques ont mis au point un composant artificiel à base de déjections.

Allez messieurs, mesdames aussi, oubliez la pudeur et baissez vos frocs. Les officiers de la voirie collecteront vos dons avec les doigts. Cela, David le vit au détour d’un bâtiment. Des milliers d’années d’évolution pour arriver à ça. Charmant.

Tout n’est pas à jeter, car Le Ricaneur vit toujours. Certes, il a troqué sa grandiloquence pour un côté saltimbanque, mais il est là, indéboulonnable. De l’autre côté de la rue, toujours pas de travail, d’ailleurs Espéranto France a disparu au profit d’un club d’aérobic. De l’aérobic, sérieusement ? Et puis du bien corsé, blindé de danseurs dégoulinant de sueur en tenue moulante. A part Le Ricaneur Saltimbanque, il y a tout qui déconne à cette époque.

David aurait bien tenté une expédition vers la Place des Vosges, sauf qu’il sait qu’il a déjà tout vu. Que c’est nul, le futur, pense-t-il en regardant sa montre. Plus que deux minutes. Deux minutes ! Qu’est ce qu’il pourrait bien faire dans ce monde de merde ?! Pour un peu, il déboulonnerait bien la statue flambant neuve du bon Maréchal, plantée près de la Banque de France. Splendide synthèse d’un avenir sans espoir.

En attendant que le portail ne se rouvre, il lit et relit la feuille de chou entre ses mains. Pompeux, lèche-cul, sans fioriture, même la presse a perdu ses burnes. Il n’y a rien, nada, seulement un pouvoir qui s’astique le poireau des libertés individuelles et a imprimé les valeurs de sa République sur du PQ.

Il baille. Sa montre sonne. Au fond de la ruelle, dans laquelle il compte presque les lézards, le portail fend l’air en arcs électriques verdâtres. Sans regret, il retourne vers le passé, au nez et à la barbe d’un balayeur, myope comme une taupe. Tout juste entend-il celui-ci dire tout haut, « C’est ben la première fois que j’vois une aurore boréale ici ».

Conclusion de cet avenir trépidant en 6.

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