1. L'Empire Syntaxique

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- Quand vous dites que le premier portail est l’exact opposé de Chang, vous pouvez être plus précis ?

- Pour la faire courte, un Empereur mal tirebouchonné, voire complètement cintré, s’est dit tout gosse qu’il serait judicieux de resserrer les vis autour de la langue française. C’est le vecteur de l’économie et de la politique là-bas. On est aussi puissants que le tyran Bonaparte, mais complètement fumé au Bescherelle. Vous voulez y aller ?

- Ma foi… je vais pas vous mentir que ça me rend curieux.

- Comme vous voulez. Tenez prenez ça, épinglez-le sur votre buste sitôt que vous serez là-bas.

- C’est quoi ?

- Un badge d’identité syntaxique, ils appellent ça un EZE là-bas. C’est 1984 sur le buffet en permanence chez ces fous furieux. Ça vous géolocalise, sert de paiement, vous écoute, voit par la mini-caméra que vous voyez, là.

- Nom d’une pipe ! Et le K dessus, ça veut dire quoi ?

- C’est votre lettre interdite. N’utilisez aucun mot qui la contient. Sous aucun prétexte.

- Sinon ?

- Faites ce que je dis, c’est tout ou vous risquez de pas revenir.

- Bah, ça va. Des mots en K, il y en a pas lourd, sauf si vous m’envoyez en Bretagne.

- Non, vous serez sur Paris. Dernière chose, vous n’allez pas être bien perçu, ne le prenez pas mal. Ah et si vous voyez des voyelles, ne leur parlez pas. Ce sont des connards et ils essaieront à coup sûr de vous la faire à l’envers. Je me suis pris 135E de prunes comme ça.

- Des voyelles, vous dites ?

- Oui, vous êtes vraiment plus sourd qu’un pot-de-vin, vous. Maintenant allez-y.

- Non, mais attendez, vous pouvez pas m’en dire plus là ?

- Si, mais je vous réserve la surprise, parce que vous aimez les surprises n’est ce pas ?

- Bof…

- Merveilleux, Chang ! Purdagoo !

- Qu’est-ce que ça veut dire encore çaaaaaaa !

- Degdeg !

Il y a un pop, puis David n'est plus là.

A l’apogée du XXIème siècle, le reporter sans frontière inhale un coup et ouvre les yeux. Il est dans une ruelle moite, sur une benne à ordures. Il n’y a rien ni personne, à part du ciment et des traces de suie sur les murs crayeux. Devant lui, au bout, une avenue bruyante où circulent des voitures anguleuses et des passants réservés.

David s’avance, quitte la ruelle, pour regarder autour de lui. Le futur… c’est laid, vraiment laid. Tout en angles, en blanc, en verre, sous un ciel sillonné par des drones en tout genre. Ce monde transpire l’ordre et l’autorité déglinguée. Il descend la rue pour gagner la place Concorde. L’obélisque est toujours là, bienheureux, seul pan de roches authentiques dans une capitale ravagée par un Jørn Utzon enfiévré.

Nom d’un chien que c’est moche ! Déjà Paris de base, ce n’est pas le joyau de beauté qu’on lui prétend, mais là…

- Hé ! Vous !

David se tourne vers la voix. Un petit bonhomme attifé comme un Schutzstaffel qui aurait trop forcé sur le boudin, lui fonce dessus, télécommande au poing.

- Qu’est-ce que vous avez fait de votre EZE ? lui lance-t-il, une fois nez à épaule avec David.

- Mon EZE ? Ah merde ! J’avais oublié, répond le concerné, fébrile en épinglant vigoureusement le badge miroitant sur son torse.

- Votre appellation ?

- Pardon ?

- Ne vous fichez pas de… ! Vous vous appelez ?

- Ah, Manitou. David Manitou.

- Vous êtes un petit rigolo vous, hein ?

- Non, pas que je sache.

- Tendez votre EZE.

- Il est déjà épinglé…

- Baissez-vous ! Laissez-vous scanner !

David s’exécute, alors que la petite boule de nerfs balaie son badge avec sa télécommande. En tout cas, ça ressemble à une télécommande avec un unique bouton rouge sur le dessus. L’officier grogne en secouant la tête.

- Vous êtes un Kappa, hein ? Pas étonnant que vous soyez si indolent. Par ici, suivez. Il y a une erreur d’analyse.

Oh non, David ne va pas suivre ce type. Il a vu trop de vidéos et lu trop de bouquins pour savoir que quand un type habillé en SS prétend crier à l’erreur d’identification, il y a souvent des coups de gourdins à la clef.

- Je crains que non, déclare le reporter. Voyez-vous, j’ai un rendez-vous avec doc dans moins de cinq minutes maintenant et du coup, ce sera pour une prochaine fois. Mais soyez rassuré, je passerai demain au poste et…

- Ce n’était pas une question. Vous venez ou Zeta s’en chargera.

- Zeta ? C’est qui ça ?

- Vous me prenez pour un con ? Aïe ! lâche l’officier en plaquant une de ses pognes sur son badge.

En l’observant pour la première fois, David aperçoit dessus un M doré sur un drapeau rouge et noir. Il commence vaguement à comprendre la règle élémentaire de ce monde : tu ne prononceras point la lettre que l’on t’interdira à tes 12 ans.

En tout cas, le moment est venu de prendre congé. Sans attendre que le bonhomme se redonne une contenance, David bondit en arrière, manque de se faire percuter par une étrange moto en forme de capsule et retourne d’où il vient. L’officier reste un instant coi, avant de beugler à sa poursuite.

Pourquoi les choses tournent toujours de la sorte avec lui ? Il voulait juste voir une tranche du futur pas se faire pourchasser dans une France façon IV Reich. Quel enfer !

Il court plus vite qu’il ne l’a jamais fait. Aux abords de la ruelle, il se rend compte qu’il lui reste 2 minutes sonnantes, avant de pouvoir retraverser le portail. Une poignée de mètres derrière lui, il peut entendre les vociférations de son officier préféré, ainsi qu’un sinistre vrombissement. Rapide coup d’œil, grimace et fuite en avant de nouveau.

Dans son dos, l’homme halète, mais court toujours, épaulé maintenant par 2 drones à l’apparence de pigeons aux yeux rouges. David continue sa fuite, disperse des passants sans ménagement, cherche une cachette. Un bar, une trappe, un conteneur, n’importe quoi !

Alors qu’il tourne au coin de l’avenue, quelque chose atterrit devant lui. David s’immobilise. La chose se redresse, déplie ses articulations et le surplombe de toute sa hauteur. Un robot ! C’est un robot, ou plutôt un androïde, tout en acier au regard assassin ! Son crâne humanoïde, dénué de bouche, laisse échapper un grésillement suivi d’une diatribe peu amène :

- Citoyen du K, vous êtes sommé de vous arrêter et vous rendre auprès des autorités. Le Cabinet vous rappelle que tout oubli de votre EZE et tentative de dissimulation sont passibles de la peine de mort.

La peine de mort, carrément ! Mais qui est le givré qui a remis ça aux goûts du jour ? Et surtout, quel événement a pu créer un futur pareil ? Plutôt mourir que de rester ici ! Il en a assez vu : c’est horrible, pire que le Covid et en plus, les gens sont des cons.

Sa montre sonne. Les drones et l’androïde s’affaissent mollement sur l’asphalte. David se retourne, balance son badge au visage du proto-SS et repart en arrière. Un dernier sprint avant la liberté, ou du moins une réalité moins merdique.

10 secondes plus tard, montre en main, il est devant sa ruelle, fendue par le portail crépitant. Sans un dernier regard, il court au-travers, lors que l’officier déboule à son tour face à la venelle. David entend un indistinct « Qu’est ce que c’est que cette saloperie ?! » puis saute dans le passé.

Allez en 5. pour la conclusion

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