Chapitre X – Révélation

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"La vengeance est un plat qui se mange froid."

(Proverbe français)

Perséphone n'en revenait pas. Même après avoir passé une bonne nuit de sommeil chez Dana Orbitane, même attablée devant un petit déjeuner alléchant en compagnie de cette dernière et d'Hélia, elle avait l'impression de rêver. Jamais la jeune femme n'aurait pu imaginer qu'elle reverrait sa tante un jour. En fait, le lui aurait-on dit qu'elle aurait ri haut et fort avant de se moquer de son interlocuteur.

Elle se souvenait des cris, des éclats de voix, des disputes incessantes entre Emrys et Dana. Elle se rappelait le ton froid du premier quand il était contraint de lui parler, la voix chaude et tendre de la seconde à son égard.

Indifférente à son environnement et à la conversation animée entre sa tante et sa sœur, Perséphone plongea plus profondément dans ses souvenirs. Il lui semblait entendre le coup de feu, le cri de sa mère, le bruit du vent sifflant à ses oreilles dans leur chute, l'impact de leurs deux corps sur le revêtement résineux de la rue.

D'une certaine façon, elle était morte ce jour-là. La petite fille du nom de Perséphone Orbitane était morte. Celle qui avait ouvert les yeux à sa place n'était plus vraiment une enfant, et surtout plus celle d'Emrys. Son accident, son abandon et son adoption en avaient fait une toute autre personne, une inconnue prisonnière d'un corps synthétique.

— Perséphone ! Hé ho ! On te parle, là !

La jeune femme sursauta et regarda sa sœur d'un air gêné.

— Pardon, j'étais perdue dans mes pensées.

— « Pardon » ? Mais... je m'attendais à ce que tu m'agresses avec une répartie cinglante ! s'étonna Hélia.

— Quoi, ça te manque ? Je peux trouver quelque chose de blessant à dire, si tu veux... répondit Perséphone en haussant un sourcil, pince-sans-rire.

— Ça suffit, les interrompit Dana. Persa, pendant que tu rêvassais, je proposais que nous allions au restaurant ensemble ce midi, rien que toutes les trois. Mais ta sœur a objecté que tu n'aimais pas beaucoup les réunions de famille. Alors ?

La jeune femme fit la grimace en entendant sa tante l'appeler Persa. Certes, elle détestait son prénom, mais elle aimait encore moins ce diminutif. Quant aux réunions de famille...

— J'apprécie les réunions de famille à peu près autant que cet horrible surnom que tu t'entêtes à m'infliger, tantine ! Mais... les dernières auxquelles j'ai assisté n'étaient agréables pour personne, n'est-ce pas ? Tes disputes avec Papa...

— C'est du passé, coupa Dana. Et puis, ce n'étaient pas vraiment des disputes. Nous discutions, c'est tout.

Seulement si discuter, c'est se hurler dessus en tapant du poing sur la table.

Mais mieux valait ne pas exprimer cette réplique à voix haute. Sa tante avait un caractère bien trempé. Perséphone garda donc sagement sa réflexion pour elle tandis que sa tante poursuivait :

— En plus, cette fois-ci, le contexte est différent. Mon frère n'est plus là pour me chercher noise et...

— Tata ! s'exclama Hélia, outrée. Un peu de respect pour les morts !

— Il n'est pas « les morts », il est un mort. Et respect ou pas, il n'arrêtait pas de me provoquer, c'est un fait. Reconnais que ton père était une vraie tête de mule : il rejetait en bloc les technologies sans voir leurs effets bénéfiques, alors que sans elles, tu n'aurais plus de sœur depuis des lustres !

— Mais...

— Suffit, Hélia. Laisse-moi finir. Alors, Perséphone ? Une réunion de famille sans dispute pour éradiquer le passé, ça te dirait ?

Perséphone marqua un temps de réflexion, puis céda.

— D'accord. Mais d'abord, j'aimerais pouvoir passer chez moi pour me laver et me changer.

— Pareil, renchérit sa sœur.

— Parfait ! De mon côté, je dois aller travailler. Alors, retrouvons-nous devant la Brasserie qui bulle vers midi.

Sans plus attendre, elle se leva pour aller se préparer. Après avoir échangé un regard, les jeunes femmes l'imitèrent. Elles quittèrent l'appartement de leur tante ensemble et se séparèrent avec un sourire hésitant. Cette bonne entente entre elles leur paraissait si nouvelle, si fragile, qu'elles ne savaient comment réagir. Elles se mirent d'accord pour que l'aînée passe rejoindre la cadette chez elle afin d'aller au restaurant ensemble. En ces temps troublés, mieux valait éviter de se déplacer seule, même en VAELS.

***

Midi cinq... Je suis en retard ! Pourvu qu'Hélia soit encore là...

En râlant intérieurement, Perséphone jaillit hors du VAELS qu'elle avait emprunté pour aller chez sa sœur. Cette maudite machine devait avoir un défaut, il lui avait fallu un temps fou pour arriver alors qu'en temps normal, trente secondes y auraient suffi. Et une fois la destination donnée au véhicule, pas moyen d'en descendre tant qu'il n'était pas arrivé.

Elle se précipita dans le hall d'entrée, sonna et attendit, le cœur battant, le sang pulsant sourdement à ses oreilles. Pas de réponse. Bon sang, elle ne l'avait pas attendue, à tous les coups !

Hélia ? Tu es partie déjà ?

Silence. Aucune réponse télépathique ne lui parvint.

Hélia ?

Rien.

Perséphone se détourna en soupirant. Tout à coup, un cri étouffé lui parvint de derrière le battant, suivi d'un choc sourd. Aussitôt, elle pensa à l'assassin. N'écoutant que son instinct, elle prit son élan et, d'un coup de pied, brisa le système de verrouillage de la porte. L'onde de choc la fit grimacer. Heureusement que ses jambes étaient électroniquement modifiées. Sans cela, elle s'en serait brisée une.

Sans perdre une seconde, elle se précipita à l'intérieur. Elle ne s'attendait pas du tout à la scène qui lui tomba sous les yeux. Elle sentit un liquide glacé lui couler dans l'estomac tandis que sa gorge se serrait douloureusement. C'était un cauchemar.

Sa sœur, visiblement prête à partir, peu auparavant, gisait au sol, le visage tuméfié sous ses cheveux blonds épars. Agenouillé près d'elle, Angus. Il se tourna vers Perséphone en se composant un visage inquiet, mais c'était trop tard : elle avait eu le temps d'entrevoir son expression avant qu'il ne la regarde, une expression déformée par la haine.

— Arrête cette comédie, cracha-t-elle. Qu'as-tu fait à ma sœur ?

Angus compris qu'elle l'avait perçu à jour. Abandonnant sa façade, il sourit d'un air dément.

— J'ai fait ce que je dois faire. J'accomplis ma vengeance, petit à petit. Et ton intervention va me permettre de finir le travail que j'avais commencé il y a des années de cela en tuant ta mère.

Incrédule, Perséphone eut un mouvement de recul.

— Mais... C'est impossible ! Tu as le même âge qu'Hélia ! À moins que...

Devant elle, Angus ricana et se releva. Ce faisant, les yeux du séduisant jeune homme se mirent à luire étrangement tandis qu'il changeait d'apparence. Sa haute silhouette rapetissa. Ses joues se remplirent. Ses cheveux s'allongèrent, venant encadrer de souples boucles dorées un visage enfantin. Ses vêtements rétrécirent, tout comme ses mains qui se couvrirent de gants de satin noir. Bientôt, la jeune femme se retrouvait face à une fillette au regard glacial et à l'expression figée de poupée.

Une fillette androïde, capable de changer d'apparence, comme Six. Un modèle d'avant l'ère Nova.

Une petite voix douce sortit d'entre ses lèvres fines, une voix mélodieuse qui détonnait avec son ton froid.

— Bonjour, Perséphone Orbitane. Mon nom est Coppélia. Coppélia Illu. Quand tes ancêtres ont mis fin à l'ère des Bulles-mondes, ils ont causé la chute et la mort de mon père, le président Mendaci Illu. Je suis ici pour le venger.

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