Chapitre II – Incarcérée

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 « Maintenant je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en prison dans une idée. »

(Victor Hugo, Le Dernier jour d'un condamné)


La prison d'Imaginaria n'était pas très pleine. Après la chute des bulles-mondes, lors de la remise en état de la capitale dévastée par des siècles de négligence, le Conseil dirigeant s'était même demandé s'il était vraiment nécessaire de la conserver. Le seul criminel de ce temps-là, l'ex-président Mendaci Illu, venait en effet d'être exécuté pour tentative de génocide. Après un exemple pareil, qui aurait eu envie de recommencer ?

Mais parmi les héros qui avaient contribué à le démasquer, il y avait un historien patenté : le duc François-Savinien de Courtizel. Grâce à son érudition, cet homme avait fait comprendre aux conseillers imaginariens qu'un nouveau tyran ou un nouveau criminel pourrait très bien émerger plus tard. Selon lui, en effet, l'être humain n'apprenait pas de ses erreurs : il se disait que promis, ça ne recommencerait plus et quelques siècles, voire à peine quelques décennies plus tard, l'Histoire se répétait.

Convaincus par son raisonnement, les dirigeants d'alors avaient donc voté pour la création d'une nouvelle prison.

Et voilà que quelques générations plus tard, les meurtres en série visant les descendants des Héros d'Imaginaria donnaient raison au vieil aristocrate visionnaire.

Les architectes de la Grande Rénovation avaient choisi de placer les locaux pénitentiaires en plein centre de la capitale, dans les sous-sols du Pilier. Il fallait dire qu'on manquait de place à la surface. Pour l'anecdote, en creusant les fondations de l'immense tour centrale, les ouvriers affectés à ce chantier avaient redécouvert les antiques catacombes qui parcouraient en tous sens les sous-sols du centre-ville historique. Ils avaient aussi eu la surprise de tomber sur d'antiques rames de métro rouillées à l'arrêt sur les rails d'un réseau souterrain millénaire. Les travaux avaient dû être interrompus le temps que des archéologues vinssent expertiser et dater leurs trouvailles.

C'était ainsi que, sous le Pilier, deux infrastructures différentes avaient été créées : d'une part, un musée du métro parisien, certes intéressant mais complètement hors-sujet ; d'autre part, la prison d'Imaginaria, un sous-sol plus bas.

Quand Perséphone y fut amenée, son goût pour l'art et d'histoire, enterré depuis la fin de ses études, ressurgit de façon irrésistible. Oubliant sa situation désespérée, elle parcourut avec admiration les murs de pierre tapissés d'ossements bien rangés. L'éclairage, qui mettait en relief la macabre décoration, était plutôt faible à cette profondeur : des miroirs-relais ingénieusement disposés dans des puits communiquant avec la surface permettaient à la lumière du jour de parvenir jusque-là. Les rayons finissaient leur course sur des panneaux solaires équipés d'un dispositif de stockage de l'électricité. Mais ceux-ci ayant une faible capacité, les jours de mauvais temps, la prison se retrouvait privée d'énergie assez tôt dans la soirée.

La voix poussive du directeur de la prison mit un terme à sa contemplation.

— Une cliente ! Eh ben, si j'm'attendais à ça...

Une cliente ? En voilà une façon de qualifier une détenue ! Perséphone regarda de travers le petit homme maigrichon qui lui faisait face.

— Oh, pas la peine de faire cette tête-là, mam'zelle, ricana l'homme. Vous croyez qu'vous allez m'impressionner quand je vis entouré d'macchabées au quotidien ? Nan, ça marche pas avec moi.

Il se tourna ensuite vers les guetteurs qui l'escortaient.

— Alors, les gars, pourquoi m'amenez-vous cette jeune femme ? Qu'est-ce qu'elle a bien pu faire de mal, à part gâcher son joli visage en fronçant les sourcils ?

Perséphone tiqua. Non mais, elle rêvait ou quoi ? Vu la répugnante mentalité du personnage, pas étonnant qu'il eût été relégué tout au fond de ce trou.

Les hommes de l'Oculus émirent un petit rire forcé, gênés par la plaisanterie de mauvais goût du gardien. Puis l'un d'eux répondit :

— Elle a commis des meurtres, Oscar. Je te présente la tueuse dérangée qui grave « vengeance » sur les corps de ses victimes.

Le sourire égrillard qui déformait la bouche du maître des lieux s'évanouit comme par magie. Dans ses petits yeux porcins, Perséphone distingua une lueur de peur. Souriant à son tour, elle commenta :

— Alors comme ça, on a peur de rejoindre ses petits copains squelettes au mur de ce charmant endroit ? Remarquez, on peut déjà vous confondre avec eux...

Les guetteurs, choqués, protestèrent. Le directeur de la prison, furibond, fonça sur elle et ne s'arrêta qu'à quelques centimètres.

— Écoute, ma belle, si tu veux qu'ton séjour ici s'passe bien en attendant ton procès, t'as tout intérêt à faire profil bas. Passque t'as beau n'être qu'une femme, j'te garantis que c'est pas la galanterie qui m'étouffera face à une saloperie d'tueuse dans ton genre. Par conséquent...

— Tu pues la peur, l'interrompit Perséphone, dédaigneuse. Et tu peux rien faire de plus que ton travail. Il y a des règles à respecter et je les connais : ma sœur achève ses études juridiques. Alors, n'essaie pas de bafouer mes droits ou tu peux être sûr que ça se saura et que tu ne conserveras pas ton poste ici.

La colère rendait Perséphone plus agressive qu'elle ne l'aurait voulu. Elle ne se reconnaissait pas dans ce qu'elle venait de dire : depuis quand elle passait au tutoiement sous l'effet de l'émotion ? Et puis... elle, menacer quelqu'un de mort ? Elle devenait folle. De tels propos allaient alimenter les accusations de meurtres proférées à son encontre.

Elle ne fut pas surprise quand Oscar s'étrangla. Il jeta un coup d'œil en coin aux guetteurs mais ils ne semblaient pas prêts à le soutenir. Après tout, elle avait raison, il n'avait pas intérêt à bafouer la loi sous prétexte qu'il ne pouvait pas supporter sa nouvelle pensionnaire. Il le savait, même si cet état de fait le faisait enrager.

— Emmenez-la dans la cellule n°1. De toute façon, en ce moment, elles sont toutes vides. Après, vous reviendrez remplir les papiers d'entrée. D'accord ?

***

La cellule de Perséphone alliait confort moderne et décoration macabre. Le contraste entre le mobilier épuré et les murs d'ossements était saisissant.

Et voilà, je me retrouve sous terre, parmi les morts, pour un temps indéterminé... Je n'ai jamais été aussi près de ressembler à la Perséphone du mythe grec.

Jusqu'au directeur de la prison qui se fondait parfaitement dans ce décor chtonien et qui aurait pu en être le roi. Quoique... non. Elle poussait la comparaison trop loin. Ce petit macho de bas étage n'avait certes pas la majesté du dieu des Enfers ; il n'était même pas intimidant. Juste répugnant. C'était le genre d'individu dont elle avait envie de se débarrasser d'une pichenette. Comment appelait-on ces petites choses agaçantes qui vous bourdonnaient dans les oreilles avant la Troisième Guerre Mondiale, si l'on en croyait les tomes les plus anciens de l'Histoire d'Imaginaria ? Ah, oui, des insectes.

Si les insectes n'avaient pas disparu, il en serait à coup sûr le pire des spécimens. Une sorte de seigneur des mouches, sans la classe démoniaque qu'imposait un tel titre.

Avec un soupir, la jeune femme s'assit à l'envers sur l'unique chaise de sa cellule. Les mains sur le dossier et le menton appuyé sur celles-ci, elle tenta sans grade conviction une communication télépathique. Évidemment, ça ne fonctionna pas. Elle s'y attendait un peu mais elle avait espéré... quelle idiote. Perséphone se leva et se mit à arpenter la petite pièce.

Elle était dans un sacré pétrin. Comment pouvait-elle espérer quelque secours que ce fût, de toute façon ? Sa sœur la détestait, son collègue la détestait et elle n'avait pas d'amis. Tout ça parce qu'elle disait toujours franchement ce qu'elle pensait au lieu de jouer les hypocrites... Pardon, les diplomates.

Et dire qu'elle n'avait même pas pris le temps d'ouvrir le journal de son père ! Avec un peu de chance, elle aurait pu y trouver de quoi aiguiller l'enquêteur Derco sur la bonne piste, pourtant...

Hélas, ce n'était pas le cas. Alors, à quoi bon refaire le monde en pensée ? ça n'avait pas trop réussi aux aficionados des bulles-mondes. À plus forte raison ça ne fonctionnerait pas pour elle. Oui, mais elle ne parvenait pas à se détacher de l'idée qu'elle aurait pu éviter cette fâcheuse situation en collaborant avec Andercius... même si ce pauvre homme n'avait clairement pas l'envergure d'un bon enquêteur.

Oh, tais-toi ! se tança-t-elle intérieurement. C'était le bazar, dans sa tête. Plus que d'habitude. Elle ferait mieux de se reposer, histoire de retrouver une relative lucidité. Épuisée par les imprévus de la journée, elle s'allongea sur sa couchette et enfouit la tête dans l'oreiller.

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