Interlude

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Loin de la rumeur continue du centre-ville, assez près du mur de diamant de l’enceinte circulaire, un vieillard fatigué rentrait chez lui en traînant les pieds. Il n’avait que cinquante-cinq ans, mais physiquement, il paraissait âgé en comparaison des hommes électroniquement modifiés, qui couraient désormais les rues. Il n’avait jamais voulu se payer la nanotechnologie capable de lui rendre la force d’un jeune homme, ni cette chirurgie onéreuse qui aurait permis de greffer un épiderme synthétique en lieu et place de sa peau ridée.

De fait, l’idée de devenir un homme électroniquement modifié lui déplaisait atrocement. Était-on encore humain quand le corps était devenu pour moitié synthétique ? Non, décidément, même s’il trouvait de plus en plus difficile de se mouvoir, de respirer, de marcher, il n’allait pas se laisser transformer de la sorte… Et ce, même si ses cousins par alliance, eux, n’avaient aucun problème avec l’idée de devenir des HEM.

Il tenait cette conviction de son père, qui lui-même le tenait de sa mère, qui elle-même la tenait de… Bref, ça remontait à assez loin dans la famille.

N’oublie jamais, Emrys(1), de ne pas te laisser modifier de quelque façon que ce soit. Si Imaginaria s'est retrouvée au bord du gouffre, il y a un siècle de cela, c'est à cause d’une opération réalisée sur chaque nouveau-né à l’insu de leurs parents. On leur insérait une puce qui leur permettait de voiler la réalité, de lui donner une autre apparence et plus personne ne se préoccupait d'entretenir les villes, les maisons et tout le reste. Alors, fais attention avec tout ça ! D'accord ?

Mais, Papa, avait-il alors demandé, depuis, les choses ont changé ! Les gens sont devenus libres, non ?

Quand même, méfie-toi ! Les tyrans avides de pouvoir, ça peut réapparaître à tout moment, tu sais. Rien n’est jamais acquis.

Ce n’était pas faux. D’ailleurs, les hommes électroniquement modifiés, qui étaient les gens les plus influents de la société, auraient bien aimé pouvoir écraser les autres ; ils cherchaient sans cesse un moyen de contourner les lois pour le faire… Sa fille, qui faisait des études de droits, le lui avait bien expliqué. Heureusement, ils n’y étaient pas parvenus, le Conseil Imaginarien à l’origine de ces textes ayant été très prévoyant.

Plongé dans ses pensées, le vieillard ne prêtait aucune attention à ce qui l’entourait. Il connaissait si bien le trajet qu’il aurait pu l'accomplir les yeux fermés. Ainsi donc, il ne voyait plus les rues étroites mais propres de ce quartier pauvre. Il ne voyait plus les immeubles de béton ni les maisons-arbres de taille modeste, à trois, quatre étages tout au plus, qui l’environnaient. Il ne voyait plus les ombres qui s’étendaient sous le ciel sans lune, que les rares réverbères solaires, à court d’énergie, ne parvenaient guère à chasser en cette heure avancée de la nuit.

Tout à coup, un léger bruit attira son attention. Curieux... il ne croisait jamais personne dans ses promenades nocturnes d’insomniaque ! Il frissonna. Son instinct lui dictait la méfiance, il fallait... L’auteur du bruit apparut, interrompant le fil de ses pensées. Ha ! Son instinct, vraiment ? C’étaient plutôt les peurs primordiales tapies tout au fond de chacun de nous qui lui avaient joué des tours. Il n’y avait rien d’effrayant chez une enfant…

— Tu es perdue ? demanda-t-il gentiment.

La petite, debout, tête baissée, un vieil ours en peluche à la main, ne répondit pas. Le vieil homme considéra avec sympathie cette petite silhouette aux vêtements froissés et aux couettes blondes dont s’échappaient quelques mèches rebelles. Enfin, il s’approcha d’elle et s’agenouilla à sa hauteur.

***

Le lendemain, on retrouva son cadavre atrocement mutilé. Sur son torse dénudé, on pouvait lire, gravé à même la chair, manifestement à l’aide d’un rasoir : « Vengeance ». Sur le front du mort, un « I » en chiffre romain avait été imprimé au fer rouge.

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1. Quelle ironie de s’appeler « immortel » (en gallois) quand on se refuse à le devenir !

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