Chapitre I – Perséphone

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« Pour se protéger de la pollution et permettre à l’atmosphère terrestre de se purifier à son rythme, des ingénieurs conçurent les plans de vastes coupoles qui, construites autour des villes, étaient équipées d’un système de production d’un air respirable et renouvelable. Fut un temps où il existait suffisamment d’arbres sur Imaginaria pour ne pas avoir besoin d’une telle invention. Malheureusement, l’ère des Bulles-Mondes entraîna la quasi-disparition de la végétation, à l’exception de lieux privilégiés tels que la Vieille-Australie, un temps surnommée la Réserve. »

(Janus de Courtizel, Histoire d’Imaginaria – Un monde sous verre)

Perséphone. Tu parles d’un nom ! Pourquoi diable ses parents l’avaient-ils appelée ainsi ? Peu lui importait qu’il s’agît d’une héroïne de la mythologie grecque ou quelque chose du genre : elle détestait ce prénom. Il était lourdingue, pompeux. Et il lui donnait l’impression désagréable d’être promise à un destin tragique.

La jeune femme, pensive, était assise sur le toit plat de la demeure familiale – une maison-arbre semblable à tant d'autres dans cette capitale démesurée où l'on cherchait à préserver l'environnement. Enfin, "maison-arbre", c'était une appellation peu appropriée ; rien à voir avec les vrais arbres, sauf pour le traitement de l’atmosphère. Il s'agissait d'une demeure haut perchée dotée d'un formidable système d'absorption du dioxyde de carbone. Ce dernier était ensuite converti en dioxygène. Ainsi, un bâtiment sur deux de cette fichue cité participait à l’entretien de l’atmosphère locale.

Bref. Elle s'égarait. Où en était-elle, déjà ? Ah, oui, à son prénom. Comme à chaque fois qu'elle avait le cafard, elle ruminait à son sujet.

Perséphone. Mariée à l’enfer. À l’instar de son homologue antique, à peu de choses près. Sans doute sa vie aurait-elle été différente sans ce nom. Malheureusement, elle devait composer avec… Alors, elle avait décidé de ne pas le subir mais d’en faire une source de fierté.

Installée sous les branches métalliques du convertisseur d’air, elle regardait la voûte étoilée sans la voir. Pourtant, le ciel était particulièrement resplendissant ce soir-là, et la vaste coupole de diamant qui recouvrait la capitale n’altérait en rien la beauté de son velours bleu-noir paré de ses plus beaux joyaux. Seulement, elle l’avait trop vu. Elle s’en était lassée.

Perséphone. Elle s’était le plus possible affranchie des contraintes de la vie en société pour rester libre de ses actes et de ses pensées. Malgré tout, à cet instant précis, elle se sentait esclave de son passé, de ses choix et de ceux de ses ancêtres. Par conséquent, à cet instant précis, elle les détestait.

Elle détestait ses arrières grands-parents.

Elle détestait Eldar et Morrigan Orbitane.

Elle détestait leurs amis d’antan, tous, aussi bien Koll que les de Courtizel et que cette femme froide, là, que tout le monde avait érigée en martyre après sa mort au service de la vérité ; comment s’appelait-elle, déjà ? Lucie ? Non. Ah, ça y est, elle y était : Lucille Alexanne.

Elle leur en voulait pour leurs choix, pour l’influence qu’ils avaient eu sur le monde quand, devenus des héros en abattant une dictature, ils avaient créé un autre régime totalitaire sans le vouloir.

Oh, d'accord, les choses allaient bien mieux, sous certains aspects. Les Imaginariens ne vivaient plus dans l’illusion d’un monde parfait : plus aucune puce implantée dans leur cerveau pour leur offrir de projeter un beau décor sur une civilisation en ruines. Cependant, leurs maudits androïdes, leurs Serpentrucs et compagnie, là, avaient eu tellement de succès que… eh bien, des savants avaient émis l’idée saugrenue d’employer les plans de ces choses pour créer des prothèses de pointe au service de la médecine. Ces plans avaient malencontreusement échappé à l’oncle et à la tante de son arrière grand-mère, les Mogeto... Enfin, "échappé", tu parles ! Ils les avaient vendus, oui, ces rapaces…

Et les braves gens si heureux d’être sortis d’une addiction – celle des bulles-mondes – ne l’avaient fait que pour sombrer dans une autre – celle des greffes électroniques. Volontairement.

Perséphone aurait bien voulu mener une vie normale et rester en dehors des délires de ces imbéciles. Malheureusement, c’était impossible : elle les croisait à chaque coin de rue, sans compter qu'une branche de sa famille, influente, faisait partie de la caste des HEM : les Humains Électroniquement Modifiés. Parce qu’ils avaient une image à préserver, voyez-vous… Oh, elle ne parlait pas du cercle familial proche ! Son père, par exemple...

— Perséphone !

Et flûte, un appel télépathique… Avait-elle pensé que les humains étaient débarrassés des puces électroniques implantées dans la tête ? Ce n’était pas tout à fait vrai : il y avait le module de télépathie, le remplaçant des bons vieux bandeaux d’antan dont elle avait pu admirer un exemplaire au Musée des Bulles-Mondes.

— Perséphone ! Ne fais pas la morte, réponds-moi ! C’est Young !

Oh non, pas lui ! Kyklos Young portait le patronyme le plus menteur qui fût. Il était terriblement vieux jeu. C’était son collègue : tous deux bossaient pour la Société des Innovations Environnementales. C’était un des rares domaines où elle était bien obligée de s’intégrer à la société : sans travail, comment gagner sa vie ?

— Oui, Young ? Qu’y a-t-il ?

— Ah, enfin, tu me réponds ! Il y a que tu es attendue au bureau. Réunion d’urgence. On a repéré une faille dans la coupole.

— C’est pas vrai ! Ras-le-bol des problèmes avec le « Bocal » ! Sérieux, on ne pouvait pas faire quelque chose d’un peu moins joli et d’un peu plus solide ? C’est à se demander si c’est bien du diamant !

— Tu sais comme moi qu’il ne sert à rien de refaire le monde, Perséphone. Amène-toi, et vite.

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