Lundi 06 Septembre 1999

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Aujourd’hui, une nouvelle période importante de ma vie commence : mon premier jour au lycée.

Cet établissement, je ne l’ai pas vraiment choisi, il a juste un petit rapport avec une activité que j’apprécie : le dessin. Je n’ai jamais fait partie de ce qu’on appelle les « têtes » de la classe, sans pour autant en être le cancre. J'ai toujours considéré mon niveau scolaire comme moyen et c’est pour cette raison que les écoles que j’aurais pu espérer, comme les beaux-arts, ne m’étaient pas accessibles. Soit !

Mon estime de moi étant ce qu’elle est, je ne me voyais pas poursuivre une filière classique et me retrouver face à l’éventuelle impossibilité d’obtenir un baccalauréat littéraire. Un échec cuisant qui n’aurait fait que renforcer ce cruel manque de confiance que je me portais.

Ce matin, je stresse énormément. La rentrée scolaire a toujours été pour moi un moment particulièrement angoissant, et cette année, ce sentiment est décuplé. Je change d’établissement, de ville et je quitte toutes mes connaissances et mes amis d’école avec qui j’évolue depuis le cours préparatoire. Je me lance dans l’inconnu !

Tandis que je rassemble mes affaires, une seule chose me rassure un peu : je rentre au lycée. Ce dernier accueille des élèves de la seconde à la deuxième année de BTS, ce qui signifie pour moi, que je vais me retrouver avec des jeunes plus âgés, plus mûrs. Enfin, toutes les brimades que j’ai subies jusqu’ici vont pouvoir s’arrêter. Du haut de mes quinze ans, je me sens « adulte », tout du moins, en passe de l’être. Je me dis que forcément, il en est de même pour les élèves que je vais trouver là-bas. Quelle vaste fumisterie… Si j’avais su !

Pour ce premier jour, vêtu d’un jean noir, d’un tee-shirt rouge et d’une petite veste assortie à mon pantalon, je balance mon sac à dos sur l’épaule et rejoins ma mère. Elle est prête à partir au volant de son véhicule. Pour les jours prochains, je devrais prendre le bus pour me rendre au lycée, mais dans sa bienveillance, elle a préféré m’accompagner en voiture pour ce premier jour afin de m’éviter une angoisse inutile.

Au fur et à mesure des kilomètres parcourus, mon stress monte. J’ai l’estomac noué et j’imagine tout un tas de scénarios, tous aussi farfelus les uns que les autres sur l’avenir de ma scolarité. Décidément, la positivité n’est absolument pas mon truc ! Je ne dis rien de ce que je ressens à ma mère. Je reste mutique et nous roulons dans un silence lourd et pesant avec, en bruit de fond, le vrombissement du moteur de la Twingo.

Après un trajet bien trop court à mon goût, me voici devant l’enceinte de l’établissement. Je décroche un « au revoir » tout juste audible à ma mère qui s’est arrêtée au niveau de l’entrée. Elle s’éloigne tout de suite afin de ne pas déranger la seule voie de circulation qui accède au lycée et qui forme une boucle pour retourner sur l’axe principal.

À ce moment précis, je donnerai tout ce que j’ai pour repartir avec elle et ne plus jamais sortir de chez moi. J’entends, en un bruit de fond assourdissant, les conversations des élèves. Il y a beaucoup trop de monde pour moi. Tous ont l’air de se sentir bien, de maîtriser la situation et ce qu’ils ont à faire. Moi ? Moi j’ai l’impression d’être prostré, de ne pas savoir quoi faire de mon corps, de mes bras. Je sens déjà que mon visage rougit à la vitesse de la lumière et que les regards des autres élèves se font plus insistants. Plus j’imagine ma figure honteuse, plus j’ai l’impression que les ricanements et les messes basses que j’entends, sans en comprendre le moindre mot, me concernent. C’est ça ou je vire totalement parano !

Je dois vite me ressaisir. J’essaye de me concentrer, d’oublier tous les bruits qui me parasitent. Je dois trouver une liste d’affichage où quelque chose dans le genre pour savoir dans quelle classe je vais être. Je ne suis plus en sixième, je ne pense pas que l’on va avoir droit à une cérémonie d’accueil avec le proviseur et un appel en bonne et due forme. Je ne vois aucune liste affichée, aucune indication. Je n’ai pas encore pénétré dans l’enceinte, mais soudain je m’aperçois qu’il y a beaucoup moins d’élèves dans les parages. Je m’active.

Je rentre dans une cour qui longe un bâtiment avant de traverser un petit hall couvert et puis je me retrouve dans la grande cour. En son centre, se trouvent un vaste carré de verdure et quelques arbres, des saules pleureurs. Je prends deux secondes, montre en main, pour admirer leur beauté avant de m’avancer et d’apercevoir plusieurs panneaux autour desquels sont rassemblés des élèves. De nouveau, il y a beaucoup de monde. J’angoisse. Je comprends alors que chaque groupe se trouve être une classe différente. Rapidement, je commence à m’inquiéter au moment où je remarque qu’un de ces panneaux indicateurs semble abandonné. Aucun adolescent aux alentours.

Aussitôt, dans ma tête, s’enclenche mon raisonnement, toujours hyper-négatif « c’est forcément ma classe et il n’y a plus personne, ils sont tous déjà montés ! » Ça y est, je panique ! Je file tout droit sur le panneau esseulé et j’y vois une liste d’élèves. Mon cœur bat à cent à l’heure, si ma cage thoracique n’était pas aussi solide, je suis persuadé qu’il se sauverait à toute vitesse. Ce que j’aimerais faire également à l’instant où je trouve mon nom affiché presque au sommet du recensement. Ma crainte se matérialise, il s’agit effectivement de ma classe et, visiblement, ils sont déjà tous partis !

C’est une catastrophe, moi qui essaye d’être toujours le plus discret du monde pour passer inaperçu, c’est raté ! Je suis tétanisé et, dans ma tête, c’est l’explosion. Les questions affluent à une vitesse folle : « Comment vais-je retrouver ma classe ? Ils vont tous se moquer de moi, c’est le premier jour et je me fais déjà repérer ! Vais-je trouver le courage de parler à un adulte pour demander mon chemin ? » Je me suis même interrogé, dans ma grande folie, si finalement, il n’était pas plus judicieux de partir loin plutôt que d’affronter cette situation qui me terrifie. C’est bien sûr, forcément la bonne solution !

Piégé dans mes propres élucubrations, je ne m’aperçois pas qu’un autre garçon regarde le panneau duquel je me suis éloigné. Une voix me ramène à la raison.

— Tu es dans cette classe aussi ?

C’est à moi qu’il s’adresse ? Je prends quelques instants pour le remercier dans ma tête d’avoir fait le premier pas. Je n’aurais sans doute pas eu le courage de l’aborder le premier où alors en perdant encore une grosse demi-heure, le temps de me décider. Une fois ce constat établi dans mon complexe cerveau, je dois trouver quelque chose à répondre, et vite, sans quoi, je vais passer pour un parfait abruti aux yeux de ce garçon dont je vais suivre le chemin, au moins pendant une année scolaire. C’est donc après avoir paré mon visage d’un rouge pivoine, assorti à mon tee-shirt que je réponds enfin :

— Oui.

— Merde ! On est tous les deux à la bourre. Les autres doivent déjà être en classe. Il faut qu’on trouve où l’on doit aller.

Chouette ! Ce mec a l’air bien débrouillard. Je ne demande pas mon reste et je le suis. Dans la minute, il apostrophe un adulte auquel il explique notre déconvenue et ce dernier nous escorte jusqu’à notre salle de classe.

Les couloirs me paraissent glauques, les murs sont peints dans des couleurs assez moches, ternes et défraîchies. Une odeur est très présente aussi, elle me rappelle celle du ciment, ce qui me semble approprié dans un lycée technique où l’on enseigne, entre autres, les métiers du bâtiment. J’essaye de faire diversion, car plus on avance, plus l’angoisse s’empare à nouveau de mon être. Je vais devoir entrer dans une classe pleine d’élèves bien installés et d’un professeur, agacé d’être dérangé dans ses explications aux nouveaux venus. Je sens déjà sur moi les regards insistants, moqueurs et mécontents de la vingtaine de personnes que je vais bientôt rencontrer et avec qui je vais passer le reste de l’année scolaire. L’unique chose qui me réconforte un peu, c’est de ne pas être complètement seul. Cet élève, dont je ne connais pas encore le prénom est mon point de repère. Nous avons déjà partagé quelque chose ensemble, j’ai l’infime espoir que c’était écrit comme cela et que peut-être, ce garçon allait devenir mon premier nouvel ami au sein de ce lycée.

Ça y est, l’adulte qui nous accompagne frappe à la porte de la classe.

— Entrez ! clame un homme à l’intérieur de la pièce.

Nous pénétrons dans la salle de cours. Je reste le plus discret possible, derrière le garçon qui m’accompagne. Toute l’attention est à juste titre, portée sur nous, mais je les prends tous comme s’ils étaient sur moi, comme s’ils m’accablaient. Vite, pourvu qu’on nous dise rapidement de nous asseoir. Déjà, j’essaye discrètement de remarquer si deux places sont libres côtes à côte, mais je ne crois pas. Je ne vois pas bien. Les regards qui me fixent me gênent. Je sens les larmes affluer aux bords de mes yeux. Je me ressaisis aussitôt, je ne dois pas aggraver mon cas.

— Je t’amène deux élèves qui se sont perdus.

— Merci. Allez vous asseoir où vous trouverez de la place, ordonna à notre intention l’enseignant.

Mon sentiment de honte est tellement grand que je ne réponds rien, je ne regarde même pas mon professeur. J’emboîte le pas de mon camarade. Il s’installe dans la rangée du milieu, au deuxième banc à côté d’un autre élève. Je remarque que le siège juste derrière lui est libre, je prends place, sans même un regard ni un mot pour le garçon à côté duquel je me suis assis. Je m'impose, ni plus ni moins, et je déteste cela. Sûrement préfère-t-il rester seul? Et moi, je l'oblige à m'avoir pour compagnie. Encore une fois, c’est reparti, mon esprit vire parano. Ou pas ?

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