LE PERCEPTEUR ou la descente aux enfers... (6)

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Où l’on voit que les rats peuvent s’attaquer à un animal encore vigoureux.

Le premier signe avant coureur de l’orage fut ce faux jeton de Franck. Franck, il le connaît depuis près de dix ans. Un copain de promo, enfin un copain, plutôt un collègue. Un de ces types qui sont imposés par le destin, toujours là où on n’a pas besoin de les rencontrer. Les oreilles traînant autour des groupes de copains (les vrais). On le supposait mouchard, sans preuves. Peut être à cause de sa physionomie de fouine, de son maintien équivoque du type qui enregistre, pour le cas où.

 Jamais une idée personnelle, jamais la moindre opinion, jamais de discussion, un type opaque et sans consistance. Mais on pouvait pas le laisser seul, le tenir à l’écart. On allait quand même pas instituer un délit de sale gueule ! Alors il était là en permanence, mettant tout le monde mal à l’aise par sa seule présence.

Bref, Franck était là, devant lui dans son bureau. Depuis combien de temps il ne l’avait pas vu ? Peut être depuis la distribution des diplômes. Franck, classé moyen, plutôt fin de promo. Ça ne l’avait pas empêché d’intégrer la fonction. Au centre régional de plus. Pas chef de service, non quand même pas, mais il devait être peinard. C’est pas lui qui avait les clients sur le dos. D’un autre côté, c’était mieux pour tout le monde, pour les contribuables comme pour l’état. « Franck ! Ça fait une paye ! Qu’est-ce qui t’amène ? » « Rien de spécial, juste un petit bonjour. » « Me fais pas croire que tu viens voir la mer pendant le service. » « Non, en fait, on t’a contrôlé. RAS. Ça rentre plutôt bien chez toi. Pas d’histoires vis à vis des contribuables. T’es bien sous cet angle. » « C’est le principal non. L’argent rentre, les clients sont contents. Bon, qu’est ce qu’y t’amène ? » « C’est à dire...Ben...T’es dans le collimateur. » « Comment ça ? » « Je viens voir, mais c’est officieux, si par hasard tu voudrais pas être muté. Mais avec promotion évidement. » « Ah ! J’ai rien demandé ! » « Justement, c’est le moment. Je vais être franc, depuis le temps qu’on se connaît, si tu demande une mutation, par exemple au centre régional, on te fait dire que c’est OK. » « Ou une perception dans un chef lieu voire une préfecture, je dis pas non. » « C’est pas de ça qu’on a parlé. Ce qu’on te propose c’est plutôt un poste de second d’un service important. Par la quantité de personnel. Dans un premier temps. Moi, une proposition comme ça, je saute dessus. Qu’est ce que t’en dis.» « Rien, j’en dis rien. » « Dans ton bled, là où tu as ta famille, ça serait bien ? » Le silence s’installe entre les deux ex faux copains. Franck se tortille sur sa chaise, Guy sent qu’il crachera le morceau si on le pousse un peu. Il se souvient qu’à l’école c’était un bavard qui se retient, de peur d’en dire trop, de se faire mal voir. « Allez, Franck, déboutonne-toi, raconte. » « T’es chiant, bon d’accord, mais ça restera entre nous ? » Tu parle, il est venu rien que pour ça, pense Guy Lamotte, qui se demande quand même ce qu’on lui veut. Franck respire un grand coup. « T’es plus en odeur de sainteté... Tes bons résultats... Tout le monde s’en fout... C’est le Maire... Voilà... Tu le fais chier... Il en a mare de ta tronche... T’as pas le choix... Si t’as le choix, en réalité... Ou t’accepte la promotion comme sous-chef de service, ou tu coule. »

Manque pas de culot le Franck. Qu’est ce qu’il fait là ce merdeux, cette fouine puante. Il a de la chance qu’on n’exécute plus les messagers apportant de mauvaises nouvelles. Et pourquoi lui ? Il est passé flic ? Ou mouchard en chef, à l’ancienneté. Et l’Amiral ? Un fonctionnaire, même le plus petit, n’a pas à se plier devant les caprices d’un potentat local, même légitimé par le vote de la population. La colère monte en Guy comme un soufflé. Elle retombe dans la seconde. Il faut être plus malin. Franck lui sort par les yeux, mais Franck c’est rien qu’une merde, qu’un pantin, une boite à lettres qui attend la réponse pour courir au rapport. « Franck, tu m’étonnes, le maire, il peut gueuler, je m’en fous. On déplace pas un type qui fait son boulot, j’ai des documents, si on laisse aller à ce que ça se sache, c’est pas moi qui en pâtirais, j’ai ma conscience pour moi. » « T’as pas inventé Zorro. Pour la direction ces histoires c’est du pipeau. Le maire il dit que ton penchant pour la bouteille fait tache. T’es pas présentable quand tu t’exhibe zigzaguant sur ton vélo les jours où t’as du vent dans les voiles. On peut pas éjecter tous les poivrots de la fonction publique, c’est ça le problème, d’un autre côté c’est difficile de lui donner tort. Guy, soit raisonnable, accepte. » « Et si je refuse ? » « On en a pas parlé, on a pensé que tu comprendrais qu’on ne se bat pas contre des moulins à vent. Je suis venu parce qu’ils ont vu qu’on était tous les deux des anciens de l’école. Que ça serait franc entre nous. Moi, pour être honnête, je m’en fous. Que tu plonges ou que tu surnages, c’est ton affaire... J’ai fait la commission... Mon boulot est terminé... J’avais pas obligation de résultat. »

« Mon boulot à moi, il est pas fini. Alors tchao ! » Guy se lève, prend Franck par un bras et le pousse fermement vers la porte. Le duo traverse d’un pas rapide l’accueil devant les petites qui n’ont rien perdu de la conversation et qui plongent leur nez dans leur ouvrage respectif. Ça va mal ! Pas de vagues ! C’est pas le moment de se faire remarquer par ce type qu’en plus, ni l’une, ni l’autre n’a jamais vu auparavant.

Quand la porte se referme, Paulette risque un œil. La physionomie de Guy Lamotte ne laisse aucun doute. Ça barde pour son matricule. Elle courbe instinctivement le dos et rentre la tête dans le cou.

La porte du bureau du chef claque. Le silence retombe. Dans un quart d’heure on ferme. Le temps passe lentement... Lentement... Rien... Pas de bruit dans la pièce à côté. « Allez Virginie... On lève le camp ! »

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