Dollhouse - couloirs vers l'infirmerie

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« Oh, mon Dieu ! » s’exclama Tanya alors que la porte suivante s’ouvrait.
Les cadavres de trois fantassins Noplocks gisaient au milieu du couloir. Ils portaient les couleurs du clan de Kolom-Batur. Leur sang bleuté, déjà gélifié, tachait leurs tenues blanche et violette. La capitaine du Cabriolet se précipita. Elle identifia rapidement trois amis de son amant. Même s’ils étaient morts au combat, ce qui était la destinée des fantassins, elle savait que Kolom-Batur aurait de la peine.
« Qu’est-ce que tu fais ? s’insurgea-t-elle en voyant Brandy fouiller les cadavres.
— J’essaye de nous donner de meilleures chances de survie.
Sans aucun respect pour les morts, il jeta négligemment sur le côté tous les objets qui ne lui paraissaient pas utiles. Tanya grimaça en voyant les reliques du clan balancées comme de vulgaires déchets. Elle ramassa les plus importantes, pour les rapporter aux ancêtres, si jamais elle sortait vivante du Dollhouse.
— Tu ne devrais pas t’encombrer de ces…
Il s’arrêta devant le regard mauvais de la capitaine.
— Ahah ! Regarde ce que j’ai trouvé !
Il lui tendit une lame L’une, une arme de guerre Noplock.
— Tu sais t’en servir ?
— Ce n’est pas parce que je couche avec… Bon, OK, Kolom-Batur m’a appris. »
Elle savait que chaque arme était personnelle, créée spécifiquement pour le fantassin qui la maniait. S’en servir serait considéré comme une hérésie par les traditions Noplock, mais la criticité de la situation ne lui laissait que peu de choix. Elle attrapa l’arme et, sous le regard admiratif de Brandy, fit quelques moulinets rapides, après avoir activé l’accélérateur cinétique.
« Impressionnant !
— Tu ne dois en parler à personne ! Bon, direction l’infirmerie. »
Brandy se dirigea vers la porte, côté bâbord. Comme les précédentes, elle refusait de s’ouvrir. Il dut trafiquer le boîtier de contrôle. Les longs panneaux commencèrent à glisser, dans un grincement strident. Tanya tenait la poignée de l’arme tellement fort que ses articulations blanchirent. Les panneaux coulissèrent sur quarante centimètres, puis se bloquèrent. Les vérins crissèrent, puis abandonnèrent le combat.
« Tu passes ? demanda Brandy.
Tanya s’approcha de l’ouverture. L’autre couloir était plongé dans le noir total, même l’éclairage de secours était hors service.
— C’est pas bon signe… murmura-t-elle. Il y a un autre chemin ?
— Faudrait repasser par le Dock.
— Fais chier. »
Tanya laissa le temps à ses yeux de s’habituer aux ténèbres. Elle imposa le silence à Brandy en posant son index devant sa bouche. Elle était persuadée d’entendre une respiration, lourde, de l’autre côté. Ses muscles, crispés sur son arme, la faisaient terriblement souffrir. Elle appuya sur le bouton qui déclenchait l’accélérateur cinétique. Soudain, elle comprit. Ce n’était pas une respiration, qu’elle entendait, mais des pleurs.
« Qu’est-ce que c’est que ce bordel, encore ?
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Je ne sais pas. Éclaire-moi ? »
Elle lança à Brandy la lampe de poche qu’elle avait récupérée un peu plus tôt. Une douce lueur dorée balaya bientôt le couloir, révélant un véritable carnage. Des Vaisseaux étaient alignés contre le mur bâbord. Ils avaient été exécutés d’un tir de M-0 Flare à la tête. Ils étaient morts debout, encastrés dans le mur par la puissance de l’arme. Au milieu de la salle, l'un d'eux se tenait debout, devant tous les autres. Il était torse nu, et présentait de nombreuses coupures et brûlures récentes. En voyant le faisceau de lumière, il se tourna vers les deux humains. Ses joues étaient couvertes de larmes.
« Cicatrice ? s’étonna Tanya. Tu es encore en vie ? »
Le Vaisseau parut hésiter une demi-seconde. Puis, ses yeux se révulsèrent et sa bouche se déforma dans un rictus de haine. Tanya remarqua alors qu’il ne portait pas son collier de passivité. Cicatrice tenta de convertir sa main droite en lame de carbone monocellulaire, mais un défaut se produisit et sa main retrouva sa forme originelle. Il se jeta sur Tanya qui fit un pas de côté pour esquiver. Le Vaisseau continua sa course vers Brandy, qui poussa un cri de terreur. Il prit la fuite, devant cet homme augmenté, aux yeux injectés de sang. Il n’avait que quelques pas d’avance sur son poursuivant.
« Qu’est-ce que tu fais ? Reviens ! » ordonna Tanya.
Elle courut jusqu’à la porte. Cicatrice était bien plus rapide que Brandy. Il attrapa l’humain désemparé par sa veste et le propulsa contre le mur. Cicatrice s’approcha de sa victime, le saisit par son maillot. Il lui envoya un, puis deux, puis dix, puis vingt coups de poing, tous plus violents les uns que les autres. Devant ce spectacle terrifiant, Tanya était pétrifiée. Après avoir fini de s’amuser avec Brandy, Cicatrice le laissa retomber au sol. Brandy se redressa, malgré les faibles forces restantes dans ses bras. Le Vaisseau frappa l’arcade sourcilière du contrebandier d’un puissant coup de genou. Le corps de Brandy roula sur le côté et s’écrasa contre un mur. Cicatrice tourna enfin son attention vers Tanya. Elle vit dans les yeux de l’homme une rage pure, comme si toutes les émotions enfermées ces dernières années derrière le collier de passivité se libéraient d’un coup. Il fit un premier pas dans la direction de la capitaine.
« Oh ! » souffla-t-elle, reprenant soudain conscience de la réalité.
Elle se rua vers le panneau de contrôle de la porte, et déclencha la fermeture d’urgence.
« Allez ! Allez ! Allez ! » murmurait-elle alors que les vérins refermaient à une vitesse désespérément lente les panneaux.
Cicatrice prenait de la vitesse. Tanya fit quelques pas en arrière. Elle agrippait la lame L’une, prête à se battre jusqu’à la mort. Mais l’espace entre les panneaux était trop faible quand Cicatrice arriva au niveau de la porte.
« Je… Je vais te tuer ! Je vais te faire payer, pour ces années derrière ce putain de collier. Tu vas souffrir, pétasse. Tu vas hurler, tu vas me supplier, tu vas… »
Tanya lui envoya un estoc de L’une dans les côtes, ce qui lui arracha un cri de douleur. Il se recula pour se mettre hors de portée de la dangereuse lame Noplock. Il glissa un doigt sous sa gorge pour lui signifier clairement ses intentions. La porte se referma entièrement. Tanya était dans le noir complet, accompagné des cadavres d’une cinquantaine de Vaisseaux. Elle eut un frisson de terreur.

* * * * *

« Tu es une adulte. Tu es capitaine d’un vaisseau. Tu as voyagé dans l’espace. Tu n’as pas peur du noir. » se répétait Tanya en boucle.
Malheureusement, cela ne suffisait pas à la rassurer. Elle marchait à tâtons dans le couloir. L’obscurité totale exacerbait chacun de ces autres sens. Elle entendait chacun des grincements d’habitude imperceptibles du Dollhouse. Chaque petit bruit la faisait sursauter. Ses mains tremblaient et ses jambes flageolaient. Elle se mit à quatre pattes pour retrouver un peu de stabilité. Elle prit de lentes inspirations, puis, quand elle se sentit enfin le courage, fit un premier pas. Sa main droite entra alors en contact avec un liquide froid, mais poisseux. Elle poussa un petit cri de surprise.
« Reprends-toi, Tanya ! »
Elle fit un autre pas en avant. Sa main gauche entra à son tour en contact avec le sang à moitié sec. Elle grimaça, puis continua sa progression. Elle savait que certains vaisseaux avaient sur eux un petit sac d’outils. Elle espérait y trouver une lampe de poche. Elle continua sa progression. Elle sentait le sang froid monter par capillarité dans ses vêtements. Elle retenait difficilement ses haut-le-cœur. Elle ne trouva son bonheur qu’au huitième cadavre qu’elle fouilla. Elle se sentait salie, pas seulement physiquement, salie jusqu’au plus profond de son être, salie jusqu’au plus profond de son âme. Elle se releva. Après quelques hésitations, elle finit par activer l’ampoule. Le verre, couvert de sang, ne laissait échapper qu’une mince lumière rougeâtre. Elle l’essuya avec le revers de sa manche, sans résultat au regard de l’état de ses habits. Elle continua sa progression vers l’infirmerie. Elle arriva au niveau de la porte. Comme toutes les autres, elle était bloquée en position fermée. Elle s’approcha du panneau de contrôle, et le défonça à coup de marteau. Après un petit crépitement électrique, la porte s’ouvrit. Ce couloir-ci était fortement éclairé. Tanya plissa les yeux et mit sa main en visière, le temps de laisser sa vision s’adapter à ce nouvel environnement. Deux silhouettes émergèrent de la lumière et se dressèrent devant Tanya.
« Ca… Capitaine ! bégaya Clarinetta. Je suis tellement contente de vous retrouver ! » Tanya était soulagée d’entendre une voix amicale, après ces vingt terribles minutes dans le noir total. Elle fit un sourire un peu idiot, un peu niais, et s’écroula.

* * * * *

« Comment allez-vous, capitaine ? demanda Prish’ta.
— J’ai… J’ai soif.
Une quinte de toux sèche lui échappa.
— C’est normal, c’est un des effets secondaires de l’adrénaline que je viens de vous injecter.
L’Alash’tarien lui tendit un verre d’eau, qu’elle but d’un trait.
— De l’adrénaline ?
— Oui, votre corps a besoin de repos, mais nous n’avons pas le temps pour ça.
— On a perdu le couloir bâbord ! On a perdu le couloir bâbord ! s’exclama une voix lointaine. Les premiers claquements de M-0 Flare se firent entendre. Tanya réalisa soudain ce qu’il se passait et se redressa. Clarinetta, qui attendait à côté de Prish’ta aida sa capitaine à descendre de sa couche. Derrière eux se trouvaient Ed, un des hommes de Clothilde, et Dean. Elle sourit en voyant que son pilote avait fini par émerger du coma dans lequel il avait plongé suite à la sortie d'urgence du vaisseau.
— Tu peux marcher ? demanda Clarinetta.
Tanya hocha positivement la tête. Elle se rendit compte qu’elle n’avait plus sa tenue de capitaine, mais une des combinaisons bleu pâle standard de l’infirmerie. Deux Vaisseaux sortirent d’une porte éloignée. Ils se jetèrent ensemble sur un des gardes les plus proches qu’ils tranchèrent. D’autres coups de M-0 Flare résonnèrent dans la grande infirmerie.
— Vite, il faut que l’on parte d’ici. »
Tanya fit quelques pas, mais fut prise de vertige. Clarinetta passa la main de son capitaine au-dessus de son épaule pour la soutenir. Ils franchirent la porte la plus proche. Ils ne s’arrêtèrent que trois couloirs plus loin. Une fois à l’arrêt, le silence oppressant du Dollhouse les enveloppa. Soudain, un cri de terreur retentit, à leur droite. Ils reprirent leur course, animés seulement par la peur.

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