Le souffle

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Coara se réveilla en sursaut. Il faisait noir et elle ne voyait absolument rien. Elle avait froid.

Elle essaya de se remémorer les derniers évènements mais sa tête était lourde et son esprit embrumé. Elle avait suivi Héranel… oui, et ils étaient rentrés dans un souterrain. Clairement, elle s’y trouvait toujours. Elle avait descendu les escaliers, s’était orientée avec le bruit jusqu’à ce qu’elle perçoive… une sorte d’appel. La suite lui apparaissait comme un songe. Avait-elle fini par sombrer, par s’endormir ? Et si oui, où s’arrêtait la réalité et où démarrait le rêve ?

Un frisson la parcourut. Elle était allongée et le sol sous sa peau était rugueux et frais. Elle écarquilla grand les yeux et se redressa vivement en réalisant qu’elle était nue. Enfin presque, une sorte de couverture était étendue sur elle. Elle s’en saisit et comprit qu’il s’agissait de sa tunique. Elle s’empressa de l’enfiler, puis chercha à tâtons autour d’elle. Oui, le reste de ses vêtements se trouvait là aussi, elle avait dû les faire glisser en s’asseyant. Soulagée, elle se rhabilla en vitesse tout en songeant à ce qui avait pu l’amener là.

Elle se souvenait d’un grondement envoûtant, d’un pont, d’une chute dans le noir…

Oui, se rappela-t-elle avec un certain malaise, je me suis déshabillée et j’ai sauté du pont. Ses souvenirs flous s’arrêtaient là. Elle fit rapidement l’inventaire de son corps, vérifiant qu’elle n’avait rien de cassé, mais tout allait bien. Mais comment avait-elle pu se retrouver sur la terre ferme, avec ses vêtements près d’elle qui plus est ?

— Maître Héranel ? murmura-t-elle faiblement.

Elle toussota puis réessaya plus fort :

— Maître Héranel ?

Pas de réponse. Peut-être que le test n’était pas terminé ? Quelque chose pourtant lui disait que c’était le cas. Elle décida d’attendre un peu pour voir si quelque chose se produisait et en profita pour refaire sa tresse. Ses cheveux étaient secs, ce qui signifiait soit qu’elle n’était pas réellement tombée dans le lac, soit qu’elle était restée inconsciente suffisamment longtemps pour qu’ils sèchent. Cette pensée l’effraya, car cela voudrait sûrement dire que la matinée était déjà bien entamée.

En proie à une soudaine fatigue, elle ferma les yeux et se prit la tête dans les mains. Tout était tellement plus compliqué que prévu, jamais elle n’aurait cru qu’il lui arriverait autant de choses en une nuit.

Un léger bruit lui fit relever la tête et scruter les ténèbres. C’était inutile puisqu’elle n’y voyait rien, mais c’était un réflexe. Enfin, peut-être pas si inutile que ça ; il lui sembla entrevoir au loin une faible lueur, mais ce pouvait tout aussi bien être son esprit qui lui jouait des tours. Elle se frotta les yeux et secoua la tête avant de regarder à nouveau. Elle n’avait pas rêvé, c’était bien une lumière douce comme celle d’un globe de pharme et elle semblait se rapprocher.

La jeune fille sentit soudain une main sur son épaule et poussa un hurlement de surprise qui fit tressaillir celui à qui celle-ci appartenait.

— Tout va bien, c’est moi.

Elle reconnut immédiatement la voix d’Héranel.

— Vous m’avez fait peur, souffla-t-elle.

— Désolé, j’aurais dû te prévenir que j’étais là.

Elle fronça les sourcils. Quand était-il arrivé ? Etait-il là depuis un moment, ou était-il juste capable de se déplacer sans un bruit malgré le noir total qui les entourait ?

— Vous êtes là depuis longtemps ? ne put-elle s’empêcher de demander.

— Non, je viens d’arriver. Eyra ne va pas tarder à nous rejoindre.

— Eyra ?

— Eyra Eolène, une autre gardienne. Comment te sens-tu ?

Coara haussa les épaules :

— Je vais bien… je crois. Que s’est-il passé ? Je me souviens vaguement être tombée d’un pont (elle ne pouvait se résoudre à admettre qu’elle en avait volontairement sauté, et nue qui plus est), et puis plus rien.

La lumière se rapprochait, et elle put distinguer Héranel se caresser une fois de plus le menton, pensif. Elle se demanda brièvement s’il avait eu l’habitude de porter la barbe. Il la regarda quelques secondes avec un air qu’elle ne sut comment interpréter puis déclara :

— Tu as passé le test du Souffle et l’as réussi avec succès.

La jeune fille resta interdite.

— Le souffle ? Vous voulez dire… cette espèce d’énergie qui vous permet de vous déplacer si vite comme pendant l’entraînement ? Syan m’en a brièvement parlé mais je ne…

Elle s’interrompit un instant et fronça les sourcils :

— Mais… hésita-t-elle, comment serait-il possible que je possède cette capacité ? Ça n’a aucun sens.

— Et pourtant, c’est indéniable. Le test ne ment jamais. Tu as le souffle.

La jeune fille en resta bouche-bée. Littéralement, aussi s’empressa-t-elle de la refermer devant le sourire visiblement contenu d’Héranel. Décidément, il fallait qu’elle se surveille. C’était la deuxième fois que ça lui arrivait en moins de douze heures…

— Je… j’ai le souffle ? parvint-elle finalement à répéter. Vous en êtes sûr ?

— Oui.

C’était tellement incroyable. Et en même temps, ça expliquait sûrement tous les phénomènes bizarres qui s’étaient produits depuis qu’elle était entrée dans ces souterrains. Même si elle ne voyait pas en quoi se jeter d’un pont avait prouvé quoique ce soit. Milles et unes questions se bousculaient dans sa tête mais tout ce qui sortit fût :

— Pourquoi ?

Puis elle se ravisa :

— Enfin… comment ?

Mais Eyra Eolène était arrivée, et Héranel insista pour qu’elle vérifie que Coara allait bien avant de lui donner plus d’explication. C’était une femme d’une quarantaine d’années à la peau foncée et aux longs cheveux noirs, vêtue de la même tenue mouchetée qu’Héranel si ce n’était sa cape qui semblait faite d’un majestueux velours rouge. En fait, à bien y regarder maintenant qu’il y avait plus de lumière, Héranel arborait exactement la même. Il avait dû se changer après que la jeune fille soit entrée dans les souterrains.

Après l’avoir saluée avec un sourire bienveillant, Eyra se mit à l’examiner d’une curieuse façon. Au lieu de vérifier son pouls ou ses pupilles comme le ferait un soigneur normal, elle se contenta de poser sa paume ou le bout de ses doigts en divers endroits de son corps sans que Coara ne sache pourquoi un point plutôt qu’un autre.

Le cœur de la jeune fille s’accéléra soudain. Se pouvait-il qu’Eyra soit un de ces mystérieux guérisseurs ?

Héranel intercepta son regard et hocha la tête comme s’il avait deviné ce qu’elle pensait. Pleine d’espoir, Coara prit une bonne inspiration pour enfin déverser le flot de question qu’elle retenait mais il lui fit comprendre d’un mouvement de tête que ce n’était pas encore le moment. Elle dut se résigner à patienter.

Quand Eyra eut enfin fini de l’examiner, Héranel lui fit signe de se relever. Elle obtempéra et ouvrit à nouveau la bouche mais il lui fit une fois de plus signe d’attendre. Elle ravala donc ses interrogations et son impatience, sans pouvoir néanmoins s’empêcher de croiser les bras et pincer les lèvres, ce qui le fit sourire.

— Je sais que tu as plein de questions à me poser. Mais, même si tu n’as pas vraiment passé le test du Souffle de manière officielle comme les autres, il me semble important d’au moins achever la cérémonie dans les règles.

Coara tiqua :

— Une cérémonie ?

S’il était aussi tard que ce qu’elle pensait, ce n’était pas vraiment le moment.

— Mais, euh… quelle heure est-il ?

Héranel lui sourit :

— Ne t’inquiète pas pour ça. Maintenant que nous savons que tu as le Souffle, nous nous arrangerons de toute façon pour que ton retour ne pose pas de problèmes. Commence par remettre tes bottines (elle s’aperçut alors qu’elles étaient posées derrière elle), puis nous allons quitter ces souterrains, mais pas par là où nous sommes entrés. Nous allons prendre le couloir par lequel est arrivée Eyra, il mène directement à la salle où aura lieu la cérémonie. Je vais marcher en tête, tu vas me suivre en tenant le globe de pharme et Eyra fermera la marche.

La femme lui tendit son globe lumineux et ils se mirent en route, s’engageant dans le long couloir de roche. Le sol montait en pente douce. Ils marchaient en silence, bercés par le bruit de leurs pas qui résonnaient dans la semi-obscurité. Enfin, plutôt par le bruit de ses pas à elle, parce que ni Eyra ni Héranel n’émettaient le moindre son. Gênée d’être la seule à être bruyante, Coara tenta de marcher plus légèrement. Evidemment, il lui était impossible d’être aussi silencieuse qu’eux, mais elle parvint néanmoins à une discrétion qu’elle jugea satisfaisante. Au bout d’une dizaine de minutes, Héranel s’arrêta et elle crut distinguer une grande porte à une quelques mètres devant eux.

— Nous sommes arrivés, annonça-t-il d’une voix si basse qu’elle aurait cru avoir rêvé s’il ne s’était pas tourné vers elle. Derrière cette porte se trouve le roi, ainsi que tous les gardiens présents à Alycir ou presque.

La jeune fille sentit son estomac tressauter comme si elle avait à nouveau sauté dans le vide à cette idée mais tenta de faire semblant de rien.

— Le but officiel de la cérémonie est de t’accueillir parmi nous, lui expliqua Eyra d’une voix douce. Mais il s’agit également de vérifier si tu es intra ou extraversée.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Ce sont deux façons différentes d’utiliser le souffle. Nous t’expliquerons cela plus en détail plus tard.

— Et on ne peut pas utiliser les deux ? ne put s’empêcher de demander la jeune fille.

Ce fut Héranel qui répondit :

— Disons que ce sont deux formes de maîtrise aussi opposées que complémentaires, et il est très rare que quelqu’un soit capable de les employer toutes les deux. Bien, reprit-il d’un ton qui signifiait qu’il était temps de passer aux choses sérieuses, quand nous entrerons dans la salle, Eyra et moi devrons te laisser seule pour rejoindre nos places. Tu devras t’arrêter devant le petit piédestal qui trônera au milieu et y poser ton globe de pharme. Ensuite, tu n’auras qu’à faire ce que te demandera la sage Lyena.

— Une sage ? s’étonna Coara.

— Oui. Les sages sont les plus vieux d’entre nous à maîtriser le Souffle, qu’ils aient été extra ou intraversés.

— Quel âge ont-ils ? demanda la jeune fille avant de se mordre la lèvre, consciente qu’elle avait peut-être posé une question de trop.

Mais Héranel lui répondit tout de même :

— Il faut avoir au moins soixante ans pour en faire partie, mais beaucoup sont bien plus vieux que ça. Lyena Hogle, qui est la plus âgée, vient de fêter ses cent-et-trois ans.

Coara siffla entre ses dents. Centenaire, rien que ça !

— Bon, maintenant ça suffit avec les questions, déclara Héranel d’un air sévère, les bras croisés. Il est temps d’y aller.

La jeune fille opina comme un enfant qu’on vient de réprimander.

Lorsqu’ils s’approchèrent de la porte, elle constata avec surprise que celle-ci était non seulement immense mais également bien décorée, à l’instar de sa jumelle plus petite par laquelle elle avait pénétré dans ces souterrains. C’était une entrée digne de la plus grande salle d’un château.

Héranel frappa trois fois sur une plaque de métal en forme de lune qui se trouvait là où il y avait généralement une poignée, et le son résonna dans tous les souterrains. Le cœur de la jeune fille s’accéléra soudain lorsqu’elle appréhenda ce qui se passerait une fois dans la salle. Elle allait se retrouver seule face à tous les possesseurs du souffle de la ville ainsi que le roi d’un pays entier pour être testée quant à la nature de sa maîtrise du souffle. Rien que ça.

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