L'entraînement

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L’entraînement était encore plus impressionnant vu de près. À présent munis de longs bâtons, les élèves (mais pouvait-on vraiment parler d’élèves à ce niveau-là ?) se mouvaient avec une rapidité surhumaine. Ils bondissaient parfois à des hauteurs improbables, pivotaient en plein vol avec une agilité déconcertante et semblaient avoir développé un sixième sens leur indiquant d’où et quand venait une attaque. Tels des feux follets, ils dansaient et virevoltaient, maniant leurs bâtons comme s’ils étaient une extension de leurs avant-bras.

Leurs mouvements semblaient parfaits aux yeux de la jeune fille et pourtant, Héranel ne cessait de les corriger, voyant des failles dans leurs enchaînements là où elle-même ne voyait pour ainsi dire rien du tout tant leurs gestes étaient rapides. Comment pouvait-on se mouvoir aussi vite ?

Un léger doute traversa soudain son esprit. Des capacités qui semblaient transcender les limites humaines… se pouvait-il qu’elle se trouve en présence d’un groupe de sylves ? Non, elle chassa très rapidement cette idée improbable. D’une part, elle avait toujours entendu dire que la majorité des Sylves avaient les cheveux blancs ; c’était censé être un trait distinctif permettant de les repérer. Or, la seule chevelure un peu claire qu’elle voyait dans cette salle appartenait à une élève non loin d’elle sur sa droite et elle était blonde comme les blés. Et d’autre part, Coara s’était toujours représenté les pouvoirs des Sylves comme apparentés à de la magie ou de la sorcellerie, rien à voir avec ce à quoi elle assistait ici…

Plongée dans ses réflexions, la jeune fille ne remarqua pas tout de suite qu’une étrange sensation s’était emparée d’elle. Elle crut tout d’abord qu’elle avait simplement un peu froid, mais la salle était pourtant agréablement chauffée. Elle ne cessait d’être parcourue par de légers frissons comme si un fin courant d’air lui chatouillait le dos.

Lorsque la sensation s’accentua et s’étendit à son ventre, elle fronça les sourcils. Que lui arrivait-il ? Etait-elle malade ? Pourtant, elle se sentait plutôt bien. Son cœur battait un peu trop vite, mais c’était plus comme si… comme si elle était excitée. Impatiente même. Mais impatiente de quoi ?

Tout cela n’avait pas grand sens. Elle respira profondément et ferma les yeux quelques secondes pour se calmer.

Inspiration.

Expiration.

Pause.

Inspiration, encore.

L’air entrait et sortait de ses poumons, telle la marée de la mer, flux paisible emportant avec lui tension et agitation. Lorsqu’elle se sentit plus calme, elle rouvrit les yeux et s’intéressa à Syan qui, à quelques pas de là, avait pris part à l’entraînement.

Il était totalement absorbé par ses enchaînements, et la jeune fille avait tout le loisir de l’observer. Il était plutôt athlétique et fin, même si les muscles de ses bras bien dessinés saillaient sous l’effort. Les mèches brunes trempées de sueur qui s’étaient échappées de son chignon laissaient entrevoir des oreilles un rien décollées et percées chacune d’un petit anneau. Coara observa son visage plus en détail. Elle ne l’avait pas remarqué tout de suite, mais il avait les yeux étonnamment clairs malgré sa peau foncée.

L’entraînement touchait doucement à sa fin. En guise de dernier exercice, Héranel proposa à ses élèves une série d’enchaînements lents dans le vide, semblable à celle qu’elle l’avait vu effectuer avant leur arrivée. Alors qu’elle contemplait avec fascination la grâce et la maîtrise qui se dégageait de leurs mouvements, Coara fut cueillie par surprise par une nouvelle déferlante de sensations étranges.

Plus forte encore que la précédente, elle lui coupa le souffle comme si elle avait plongé dans de l’eau glacée. Interloquée, le cœur battant bien trop vite pour quelqu’un qui était assise sans effort sur un banc, Coara eut l’impression que ses entrailles s’étaient mises à danser dans son ventre, et la sensation de fébrilité qui s’emparait de ses muscles lui donnait une subite envie de bondir sur ses pieds pour, pour… pour quoi ? Être debout, les bras ballants, sans savoir quoi faire ? Si elle avait encore eu des ongles, elle les aurait rongés de frustrations.

Les enchaînements s’achevèrent finalement sans qu’elle ait esquissé le moindre geste, pétrifiée par l’intensité absurde de ce qu’elle ressentait. Les élèves saluèrent Héranel avant de partir vers ce qui devait être une salle d’eau et soudain, tous ces symptômes incompréhensibles s’évanouirent comme s’ils n’avaient jamais existé. Pendant quelques secondes, la jeune fille n’osa pas bouger, de crainte que ça ne recommence. Puis elle se rendit à l’évidence ; c’était bel et bien terminé. Mais que s’était-il donc passé ?

Inconscient de l’émoi qui l’habitait, Héranel lui fit signe de patienter là le temps qu’il se lave en vitesse. Elle s’attendit donc à se retrouver seule mais remarqua avec surprise que Syan avait décidé de s’attarder. Il avait enlevé sa blouse trempée de sueur et passé un essuie sur ses épaules, et il se dirigeait vers elle.

— Alors, l’aborda-t-il en souriant, qu’est-ce que tu en as pensé ?

Coara s’efforça à masquer son trouble derrière un maigre sourire :

— C’était incroyable…

Il perçut son hésitation :

— Mais ?

— Euh…

Pouvait-elle lui expliquer ce qui lui était arrivé sans passer pour une folle ?

— Ce n’est rien, je me suis juste sentie un peu bizarre à un moment, mais c’était sans doute un simple malaise à cause de la fatigue…

Ses paroles ne respiraient pas la conviction et Syan dût le percevoir car il demanda :

— Qu’est-ce que tu as ressenti ?

Elle haussa les épaules :

— Je ne sais pas, j’ai d’abord eu des frissons, puis mon cœur s’est mis à battre trop vite, et je ne respirais pas très bien… mais c’est passé au moment où l’entraînement s’est achevé. Ce n’était sûrement rien.

Finalement, en y songeant avec du recul, c’était en effet peut-être juste les premiers signes qu’elle était en train de couver quelque chose. Ce ne serait pas si étonnant après tout ce qu’elle avait traversé cette nuit…

Le jeune homme parut réfléchir.

— Je pense que tu devrais en parler à maître Héranel.

— Me parler de quoi ?

L’intéressé arrivait vers eux à grandes et fluides enjambées. Coara jeta un regard inquiet à Syan, se demandant si elle devait vraiment confier ses petits soucis à ce qui lui apparaissait maintenant être un grand maître, mais il prit les devants :

— Elle dit avoir ressenti une sorte de malaise pendant l’entraînement, expliqua-t-il avec une expression que la jeune fille ne sut comment interpréter.

— Tu peux me décrire ce que tu as ressenti ? lui demanda Héranel en la regardant avec le plus grand sérieux.

Gênée par la sollicitude dont tous deux faisaient preuve pour quelques symptômes sans importance, elle s’expliqua :

— Ce n’est rien, j’ai juste eu quelques frissons, le cœur qui battait trop vite et la respiration un peu un peu bloquée, mais je suis sûre que ce n’était rien de grave.

— Rien d’autre ?

— Non, à part que je me sentais un peu, euh, agitée.

Elle ne savait pas comment décrire d’autre ce sentiment d’impatience qui l’avait habitée.

Un court silence accueillit ses propos tandis qu’Héranel se caressait le menton, les yeux dans le vague.

— Ça ne semble effectivement être rien de grave, finit-il par dire. Avec tout ce qu’il t’est arrivée cette nuit, il n’y aurait rien de surprenant à ce que ton corps ait de petits accès de faiblesse. As-tu pu manger quelque chose depuis ton arrivée ?

— Juste quelques sablés au fromage.

Héranel hocha la tête :

— Tu dois sûrement manquer de sucre. Je vais vite te chercher un petit en-cas pour que tu tiennes et je reviens te chercher. Attends-moi là.

Sur ce, il tourna les talons et se dirigea d’une démarche souple et rapide vers une porte au fond de la salle qui devait donner sur le reste de l’école.

Coara se retrouva à nouveau seule avec Syan.

— Tu ne vas pas aller te laver ? lui demanda-t-elle tout en espérant qu’il lui tienne compagnie en attendant le retour d’Héranel.

Il haussa les épaules :

— Rien ne presse.

Il y eut quelques secondes de silence, puis Coara se décida à lui poser la question qui lui brûlait les lèvres :

— Je me demandais… comment est-ce que vous faisiez pour vous déplacer aussi vite pendant l’entraînement ? C’était vraiment impressionnant !

Syan sourit et se passa une main dans la nuque :

— Ah, ça… c’est grâce au souffle.

Encore cette histoire de souffle. Le souffle pour quoi, pour souffler dans un cor ?

Au regard perplexe qu’elle lui décerna, le jeune homme dut comprendre qu’elle ignorait de quoi il retournait car il expliqua :

— Tu sais sûrement que chaque chose sur terre possède et est traversée par une sorte d’essence ou d’énergie. C’est de cette essence que sont faits les esprits qui arpentent notre monde quand ils ne prennent pas possession de la matière.

Coara fit la moue. Selon le Lierce, les esprits étaient effectivement faits de l’énergie qu’Aumure avait insufflée aux premiers éléments, mais il n’était question nulle part d’une énergie qui circulait librement en toute chose.

Syan continua sans remarquer son hésitation :

— Ici, nous appelons aussi cette énergie Souffle du monde. Chaque être humain s’en sert inconsciemment pour vivre, mais certains d’entre nous sommes capables de la percevoir, et même de l’employer à notre guise. C’est cette capacité qu’on appelle maîtrise du souffle, ou plus communément juste le souffle.

Coara ouvrit la bouche pour demander plus de détails mais Lygrec Héranel surgit soudain à leurs côtés, manquant de lui arracher un cri de surprise. Elle ne l’avait pas entendu approcher. Syan, qui l’avait vue sursauter, tenta vainement de réprimer un sourire.

— Il est temps de partir, annonça Héranel après lui avoir tendu un morceau de pain et une mangeole bien mûre.

Un peu déçue de ne pas pouvoir poursuivre leur conversation, la jeune fille acquiesça et se tourna vers le jeune homme pour lui dire au revoir mais celui-ci prit les devant et lui tendit la main :

— À bientôt.

Elle doutaient qu’ils puissent se revoir un jour mais elle lui serra tout de même la main en lui rendant son sourire du mieux qu’elle put, puis elle s’empressa de remettre son manteau et de quitter la salle à la suite d’Héranel.

— Bonne chance, crut-elle entendre dans son dos alors qu’elle s’engouffrait au dehors.

Elle se retourna mais ne vit personne. Syan avait déjà disparu, probablement dans la salle d’eau. Tout en resserrant sa veste sur ses épaules, Coara songea avec une grimace que si elle se mettait à entendre des voix en plus d’avoir des symptômes bizarres, elle était peut-être encore plus proche de la folie que ce qu’elle avait toujours soupçonné.

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