L’école des gardiens

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Encerclée par une large portion de terrain délimité par de hautes haies, l’école des gardiens était beaucoup plus vaste que ce à quoi elle s’était attendue.

Plus étendue en superficie qu’en hauteur, elle était constituée d’un bâtiment principal en pierres claires, flanqué de plusieurs ailes asymétriques et hétéroclites qui n’étaient parfois reliées entre elles que par une petite portion de mur ou un étroit couloir. La partie centrale qui comptait d’innombrables colonnes soutenant des arches brisées rappelait vaguement l’architecture d’un temple. Le tout, quoique très disparate, dégageait une certaine impression de majesté.

Coara observa les alentours et remarqua un pin imposant, un chaune, dont les larges branches pourvues de bouquets d’aiguilles longues et souples feraient un poste d’observation idéal. Elle s’approcha de son pied et posa la main sur sa branche la plus basse. Celle-ci était ferme, rugueuse et une force paisible et tranquille semblait s’en dégager. La suivant du bout des doigts, la jeune fille alla poser son front contre le tronc et ferma les yeux. Elle ignorait si c’était un effet de son imagination, mais elle avait toujours trouvé que le contact des arbres avait un effet apaisant sur elle.

Se redressant, elle raffermit sa prise sur la branche, coinça les doigts de son autre main dans une aspérité de l’écorce, prit appui avec un pied sur le tronc et se propulsa vers le haut. Son second pied rencontra la branche qu’elle tenait, libérant sa main qui put trouver une prise plus élevée. Petit à petit, elle se faufila à travers les branchages, virevoltant toujours plus haut comme elle l’avait déjà si souvent fait, jusqu’à ce qu’elle trouve son bonheur : une branche courbe particulièrement épaisse d’où elle pourrait voir les environs en restant discrète. Elle s’y installa et scruta le paysage.

Située près d’un mur d’enceinte intérieur qui devait séparer la ville des cultures, l’école des gardiens était un peu à l’écart des habitations dont on distinguait les lumières à une trentaine de mètres de là. On y accédait par un petit chemin pavé qui serpentait entre de petits potagers. Au loin, Coara pouvait entrevoir un imposant château, sans doute le lieu d’habitation du roi d’Ecorne. Tout était paisible. Un léger vent s’était levé, apportant sons et odeurs en provenance des habitations. Elle ferma les yeux pour écouter la nuit. Il lui semblait entendre une houbie hululer au loin.

Un bruit sourd attira soudain son attention. Elle rouvrit les yeux pour en identifier la source et remarqua alors que les lumières d’une des ailes de l’école s’étaient allumées, à quelques pas seulement de son poste d’observation. Cette partie-ci de l’établissement était semblable à un grand pavillon rectangulaire d’un seul étage mais haut comme deux, aux murs de pierres claires entrecoupés de grosses poutres en bois. À intervalle régulier se découpaient d’imposantes fenêtres surmontées de vitraux colorés en arc-de-cercle.

À travers les carreaux, Coara devina qu’un feu brûlait dans ce qui devait être une très grande cheminée. Une silhouette apparut dans son champ de vision et elle reconnut Lygrec Héranel.

Etant en avance pour leur rendez-vous, Coara s’étonna de le voir déjà là. Elle se demanda brièvement si elle ne devait pas aller lui signaler sa présence, mais elle remarqua qu’il avait entamé une séance d’étirements devant l’âtre et se dit qu’il valait sans doute mieux ne pas le déranger.

Après avoir terminé sa série par un grand écart parfait, Héranel entama un enchaînement de mouvements dans le vide, à mi-chemin entre une danse et un combat contre un ennemi invisible. Certains étaient tellement rapides que les yeux de la jeune fille ne parvenaient pas à les suivre, tandis que d’autres, tout en puissance contenue, lui évoquaient un long souffle, mince répit avant de repartir encore plus vite.

Coara se sentit un peu gênée de l’épier ainsi mais c’était plus fort qu’elle, elle était incapable de détourner le regard. Des gestes de l’homme se dégageait une force incroyable, cependant dépourvue de violence, une force calme, puissante, qui lui rappelait d’une certaine façon l’arbre dans lequel elle se trouvait.

Soudain, Héranel tourna la tête dans sa direction et se dirigea vers une porte qui se trouvait à une poignée de mètres de sa cachette. Pendant un fol instant, elle crut être repérée. Puis elle entendit des voix qui se rapprochaient et repéra un groupe d’une dizaine de personnes qui se dirigeait vers eux. Héranel avait ouvert la porte et semblait les attendre. Coara se demanda avec un certain étonnement comment il avait pu savoir qu’ils arrivaient à cet instant précis. Une fois à sa hauteur, tous le saluèrent chaleureusement et entrèrent.

Au moment où il allait refermer la porte derrière eux, Héranel jeta un bref coup d’œil en direction de la jeune fille. Celle-ci retint sa respiration. L’avait-il vue ? Cette situation lui rappela étrangement l’épisode où, petite, elle s’était faite repérée par un homme d’Alayésa dans le mélène du jardin, exactement comme aujourd’hui. Ses yeux s’arrondirent. Voilà pourquoi il lui semblait familier. C’était lui ! Mais comment pouvait-il savoir qu’elle était là ? Il faisait jour quand il l’avait débusquée, il y a des années de ça. Mais là, il faisait nuit, et elle était dissimulée par les touffes d’aiguilles… Il ne pouvait normalement pas la voir. Normalement.

Et pourtant, il avait regardé dans sa direction. Etait-ce possible ? L’avait-il entendue ? Quoi qu’il en fut, il acheva de refermer la porte comme si de rien n’était, avec cependant un léger sourire aux lèvres qui laissa planer le doute.

Coara resta un moment immobile, indécise, à observer ce qui se passait dans la salle. Il s’agissait à n’en pas douter d’un entraînement de haut niveau au combat. Héranel venait de montrer plusieurs techniques complexes avec partenaire et les autres les reproduisaient maintenant par groupes de deux. Et ce que la jeune fille en distinguait semblait trop extraordinaire pour être vrai. Elle brûlait d’envie de se rapprocher pour mieux voir, persuadée que ses yeux lui jouaient des tours à cause de la distance.

Elle résista quelques minutes, puis, n’y tenant plus, elle quitta la branche sur laquelle elle se trouvait. Elle descendit rapidement les quelques mètres la séparant du sol et sauta lestement sur la terre ferme. À pas de loup, et le plus lentement possible afin de ne pas se faire repérer, elle s’approcha du bord d’une des grandes fenêtres pour regarder discrètement à l’intérieur.

Ses yeux ne l’avaient pas trompée. Se mouvant à une vitesse sidérante et inhumaine, les combattants virevoltaient en tous sens, bien trop rapides pour qu’elle comprenne quoique ce soit à leurs enchainements. Ce qui était sûr, c’est qu’ils étaient suffisamment occupés pour ne pas regarder dans sa direction. Héranel, en revanche, circulait lentement à travers la salle pour donner ci et là une nouvelle instruction et pouvait à tout instant se tourner vers elle et la repérer.

Ne souhaitant pas courir ce risque, Coara avisa un buisson à quelques mètres d’elle qui était pour ainsi dire contre une fenêtre et décida de s’y cacher. Les grandes vitres démarraient à cinquante centimètres du sol ; elle fut donc obligée de ramper pour l’atteindre. Ignorant la petite voix dans sa tête qui lui soufflait que son comportement était ridicule, elle se faufila à travers le feuillage du buisson en espérant qu’Héranel n’avait pas une ouïe surdéveloppée et n’entendrait pas les craquements de petites branches qu’elle cassait malgré elle. Une fois contre le carreau, elle écarta deux feuilles devant ses yeux pour avoir une vue dégagée sur la salle.

— Bien installée ?

Coara sursauta violemment et voulut se retourner d’un bond, mais tout ce qu’elle obtint fut de se cogner à une branche épaisse qui se trouvait derrière elle. Retenant un juron, elle se retourna plus lentement pour voir qui avait parlé, espérant s’être leurrée en ayant cru reconnaître la voix.

Elle avait malheureusement raison. Un sourcil levé et un sourire mi amusé mi moqueur sur les lèvres, le jeune homme qui était venu lui apporter le message de Lygrec Héranel quelques heures plus tôt se tenait campé devant elle, les mains sur les hanches. Il semblait attendre une explication. Gênée de s’être fait surprendre en train d’espionner un entraînement de haut niveau comme une voleuse, Coara décida de commencer par sortir du buisson avant de répondre, histoire de se sentir un peu moins risible.

À son grand dépit, elle s’en extirpa avec difficulté, une branche s’étant coincée dans sa tresse devenue trop lâche après toutes ses aventures de la nuit. Enfin debout dans une position décente, la jeune fille se mordilla brièvement la lèvre avant de bredouiller :

— Je, euh…

— Oui ?

Le sourire de son interlocuteur s’était élargi, mais il avait croisé les bras et attendait, visiblement bien décidé à recevoir ses explications. Coara se jeta à l’eau :

— Je suis désolée, j’étais un peu en avance pour repérer le lieu de rendez-vous et j’ai vu Lygrec Héranel commencer cette séance d’entraînement et je n’ai pas pu m’empêcher de vouloir voir de plus près parce que ça avait l’air vraiment impressionnant et…

— Woh, respire, intervint le jeune homme.

Elle avait tout déballé d’une traite.

— À ce que je sache, personne ne t’a accusée de quoi que ce soit, poursuivit-il.

Elle le regarda avec étonnement, notant au passage qu’il ne la vouvoyait plus, ce qu’elle appréciait.

— Mais, euh… Cet entraînement n’est pas confidentiel ?

— Confidentiel ?

Il rit :

— Pourquoi serait-il confidentiel ? Personne ne pourrait en tirer quoique ce soit juste en le regardant, ces techniques ne sont accessibles qu’à ceux qui ont le souffle.

Coara se demanda vaguement en quoi le fait d’avoir un bon souffle avait un rapport avec la possibilité de suivre un tel entraînement et lança un regard en biais vers la salle.

— Si tu veux, suggéra le jeune homme, je suis certain que maître Héranel accepterait que tu entres pour regarder.

Pleine d’espoir, Coara se tourna vers lui :

— Vraiment ?

— Mais oui, à moins bien sûr que tu ne préfères retourner dans ton buisson…

Elle rit malgré elle :

— Ça ira, merci bien.

— Alors suis-moi.

Il se dirigea vers l’entrée de la salle puis se retourna :

— Au fait, je m’appelle Syan, Syan Jeckyn.

— Et moi Coara Lore.

Elle marqua une pause, puis ajouta en faisant un signe vers la salle :

— Merci.

— Pas de quoi, sourit Syan.

Il ouvrit la porte et entra, la jeune fille sur ses talons.

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