Oniromancie des arbres

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LiꙈrᲑï suivait les traces d’Om, comme Om suivait celles de la mort. Depuis un moment déjà. Combien de temps ? Ni l’un ni l’autre n’auraient été à même de l’estimer ; néanmoins suffisamment pour s’estimer l’un et l’autre.

Le guerrier, au flegme plus immuable que les feuillages safranés, scrutait le moindre branchage un peu trop sec dans les rémanents, la moindre feuille en décomposition plus avancée, la moindre carcasse d’animal légèrement gâtée. Le boiteux ne saisissait pas le sens de ce manège. Il se contentait d’aduler cette compagnie ni importune ni ennuyeuse, seulement essentielle.

L’estomac dans les talons, le duo marqua une halte près d’une mare, où la canopée, plus éparse, graciait la surface de l’eau de reflets mouchetés. Om avait déployé une ligne de pêche maladroitement bricolée. Cela n’empêchait pas les poissons voraces de se jeter sur le ver hameçonné.

Le pêcheur en herbe dénouait ses jambes ; en appui contre un tronc, une brindille entre les dents. LiꙈrᲑï s’adonna à son jeu préféré : imiter son idole. Avachi sur l’arbre voisin, il lâcha un soupir contenté.

— Je pourrais passer l’éternité dans ces contrées !

Et Om en rit. Moquerie ou nonchalance ? Le simplet ne faisait pas la différence. Béat, il buvait l’air figé, comme si le rythme de ses respirations suffisait à animer le temps.

Parfois, la conscience aigüe qu’ils étaient peut-être les deux derniers humains peuplant ce monde frappait son esprit linéaire. Puis, il posait les yeux sur le sourire apaisé d’Om.

Om qui le protégeait de tout.
Om qui dénichait solution à tout.
Om qui le ravissait en tout.

Parfois, LiꙈrᲑï rêverait de sentir son compagnon outrepasser ses propres peurs ; de sentir son corps se blottir pendant le répit et échanger davantage que de la chaleur ; de sentir ses gestes puissants et experts se vouer à son service. Mais, s’il ne rejetait pas, Om n’esquissait jamais un pas en ce sens ; alors LiꙈrᲑï non plus.

Perdu dans les ramures, le passereau chantait à nouveau.

À nos acolytes
Éprouvés au fil de luttes stériles
Nous vous léguons l’espoir du renouveau
Et du beau

À nos frères
Amers d’en avoir oublié l’hiver
Nous cédons mieux que des histoires vaines
Mais nouvelle aubaine

Tant que les sentiments fertiles
Peuvent croître depuis broutilles
Ne fermons pas les écoutilles
À nos gazouillis volatils

Loué soit l’Oméga
Lui qui ramènera
Le chaos et le glas
Une nuit sans éclat

— Ta breloque. Elle scintille encore.

À la remarque d’Om, LiꙈrᲑï ramassa le pendentif au creux de sa paume. Il arrivait que le cuivre du grigri d’A₥akᲬ intensifie sa brillance ; que le bois de l’armature rougeoie comme les braises. De plus en plus souvent, de plus en plus fort, la lueur macabre perçait le voile de sa conscience et couvrait son champ de stries noires.

Au cycle de repos suivant, elles gobèrent sa vision et ses songes.

Le rouge avait pris l’ascendant
Enveloppée du crépuscule rubescent
La forêt criait sa souffrance
Un râle d’agonie ; striant en permanence

Le rêveur bouchait ses tympans
N’en pouvant plus de ce boucan
Martelé dans les bris du vent
S'accordant à son palpitant

Cendres maculait l’atmosphère
Des cendres ? Hélas, ces poussières
Comme des rubis coruscants
Irradiaient le malveillant

Un arbre. Jeune baliveau au fier aubier
Houppier garni d’un feuillage gorgé d’été
Un vert. Frétillant de vitalité
Sur ce tronc, posa mains émerveillées

L’arbre vibra, les secousses jaillirent
Ébranla ses veines, empoisonna la sève
Les ramures craquèrent, les feuilles jaunirent
L’arbre vivotait la fin de son rêve

Au lieu de tournoyer-valser,
Les caduques s’évaporèrent
Se mêlèrent à la cendre en volée
L’automne se muait en nouvelle ère

LiꙈrᲑï recula trois pas et tomba à la renverse. Il avait crié dans la nuée assourdissante, sans réaliser que le silence avait repris ses droits.

Oya, kidda ! Qu’est-ce que tu fatrigues ?

La forêt avait retrouvé son manteau couleur d’automne, la cendre de braise s’était volatilisée, mais l’arbre suranné se dressait toujours face à lui ; totem macabre ; amas de branches desséchées. Mort. Complètement mort.

Fasciné par ce prodige qui ne devrait pas exister, Om posa une main sur le tronc flétri. Pas de secousse en réplique ; relique sans dynamique n’obliquerait plus vers la vie. Ce constat anima Om d’une alacrité désinhibée.

— C’est le signe ! Nous avons enfin trouvé la mort !

Il sautilla vers un LiꙈrᲑï déboussolé et serra dans sa poigne d’acier celui qui ne comprenait pas la raison de cette réjouissance.

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