Chat-pitre 18

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Dans le bureau du Maire, tout le monde s'installa autour d'une immense table ovale. Chaussette-rayée était très impressionné par le décor de la pièce. Il y avait de jolies moulures dorées au plafond, une cheminée ancienne aux marbres magnifiques, des sièges capitonnés de grenat et une bonne odeur de cire.

Les employés municipaux avaient un visage grave. Ils lançaient des coups d'œil suspicieux au petit animal chat-amboulé et emmitouflé qui, malgré lui, occasionnait tout ce chat-ambardement.

— Bien ! s'exclama le Maire en déboutonnant sa veste. Cher Pasteur, veuillez expliquer à mes collaborateurs de quoi il retourne, afin que nous puissions trouver un arrangement et régler au plus vite cette affaire qui ne fait pas les miennes.

Sur cette demande, le maître de Chaussette-rayée relaya toute l'histoire depuis le début. Il parla du handicap de son chat, des moqueries et des méchancetés subies au quotidien, de la pétition pour le soustraire aux regards aseptisés et intolérants des voisins, et la découverte fortuite de ses talents sportifs. Bien entendu, pour ne choquer personne et ne pas faire dériver le débat dans un mysticisme dérangeant, le Pasteur se garda de parler de l'ange et des paroles de Dieu reçues en Esprit. Dogmatique, il exposa simplement les faits et insista sur les compétences EXTRA-ORDINAIRES de son chat-thlète. Dans l'élan, il répéta ce qu'il avait soutenu aux employés du Service des sports. À savoir que Chaussette-rayée serait une énorme plus-value pour la commune et pourrait augmenter la renommée de leur belle cité par-delà les frontières. Il appuya sur le fait qu'un tel chat ne pouvait rester dans l'ombre et devait venir à la lumière. Il reconnut cependant que la décision n'était pas simple, car sans précédent, et que certaines personnes ou associations militantes seraient scandalisées et pourraient s'insurger, mais il rajouta que le prix à payer serait moindre en comparaison des retombées économiques et commerciales sur l'agglomération... surtout si Chaussette-rayée remportait le premier prix.

Engoncé dans son costume, chacun écoutait doctement la plaidoirie du Pasteur, mais au fur et à mesure des révélations, les figures se liquéfiaient, blêmissaient ou bien se contractaient. Peu de sourires en vérité. Plusieurs fois, le Maire se racla la gorge et se gratta le cuir chevelu. Sa gêne était audible et perfectible. Il faut dire que l'histoire racontée par le Pasteur était surprenante. Dans sa position d'autorité de la Ville, le Maire était en très mauvaise posture. Il savait que sa décision diviserait ses concitoyens, mais qu'il devrait néanmoins trancher et faire au mieux pour ne pas perdre trop de suffrages et ne pas devenir la risée nationale.

— Voilà ! dit le Pasteur en regardant son épouse qui approuvait ses dires en balançant la tête.

— Je n'ai rien de plus à ajouter, confia-t-elle en regardant chacun des collaborateurs assis. Mon époux vous a tout dit. La seule chose peut-être, serait de préciser que ce petit animal est un cadeau de Dieu destiné à bénir chacun d'entre vous.

Dieu !

Le mot était lâché.

Pourtant, autour de cette table de réunion où tout le monde était crispé, réfléchissait et pesait le pour et le contre en fonction des arguments développés, pas un n'avait envie d'entendre ce nom, banni de la sphère politique et sujet à controverse depuis des millénaires. Pas un ne souhaitait que Dieu s'introduise dans cet échange sérieux à la finalité des plus délicates. Certains fusillèrent l’intervenante du regard pour avoir osé mélanger Dieu et les affaires publiques, d'autres montrèrent leur mécontentement par un rictus négatif. Le Maire lui, se racla encore la gorge avant de dire :

— Bon... bon... Serait-il possible de distinguer davantage ce soi-disant champion qui se cache sous sa cape ?

La tension était palpable. Beaucoup n'étaient pas très joyeux de voir l'infirmité de Chaussette-rayée et fronçaient déjà le nez. Lentement, sa maîtresse se leva et se pencha sur lui. Elle déposa un doux baiser sur le haut du crâne, puis dénuda ses frêles épaules. Pas un bruit ne s'entendait. À la vue de ce tronc dépourvu de membres, tous se figèrent et restèrent bouches closes. Exposé comme une bête de foire, Chaussette-rayée baissa le museau. Discernant le malaise, sa maîtresse mit fin au calvaire en recouvrant son dos frissonnant de la rassurante cape noire.

Sans heurts ni chat-mailleries, les pourparlers s'engagèrent. Sous les prunelles embarrassées de Chaussette-rayée, les deux parties discoururent et objectèrent en essayant de trouver le meilleur compromis. De part et d'autre, les raisonnements étaient tout à fait défendables et parfaitement acceptables. La séance se déroula en bonne intelligence, chacun comprenant qu'il avait beaucoup à perdre, mais aussi à gagner. Au fil du débat, Chaussette-rayée s'étonna même qu'il y ait finalement peu de contestations et quasiment pas de refus catégoriques.

Dans le calme et le respect, la discussion s'éternisa sur plusieurs heures jusqu'à ce que le Maire estime posséder suffisamment d’éléments pour étudier le dossier et délibérer en comité municipal. Il donna congé aux époux et à leur chat-thlète, puis les raccompagna au bas des marches. Avant de les laisser partir, il leur demanda de ne pas s'éloigner de leur téléphone et s'engagea pour une réponse avant la fin de journée.

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