Chat-pitre 2

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Bien que nullement attardé, les ignorants et les moqueurs le traitaient de crétin ou d'idiot. C'en était trop ! À force d'être la risée de tous, ses maîtres cessèrent de le sortir afin de le protéger des quolibets, de la bêtise humaine et de la méchanceté environnante. Ce fut double-peine pour Chaussette-rayée qui supplia le Dieu de ses maîtres de lui faire pousser des pattes. Mais rien… Le miracle n'arriva pas. Et celui qui d'ordinaire était un chaton plutôt gai et plein d'entrain, devint un matou renfrogné. Et puisque la vie lui était contraire et que Dieu le destinait à une existence triste et limitée entre les murs de sa maison natale, Chaussette-rayée se demanda à quoi bon vivre. Il prit alors la décision de se laisser mourir.

Ainsi, les jours suivants, il refusa sa pâtée et bouda son écuelle d'eau. Les conséquences furent désastreuses ! Comme il dépérissait et maigrissait à vue d'œil, ses maîtres décidèrent de l'emmener chez un professionnel des félins qui les informa que Chaussette-rayée était né avec le syndrome « Tetra amelia », d'où l'absence de pattes, puis leur annonça ne rien pouvoir faire pour améliorer sa pauvre condition. " Ce chat n'est pas heureux... Il est même très malheureux... avait-il rajouté à mi-voix, A votre place, je laisserai la nature le reprendre. Au moins, vous ne souffrirez plus et lui non plus. D'ailleurs, s'il continue de ne plus se nourrir, il devrait s'éteindre avant la fin du mois... " Anéantis par l'impossibilité de soigner leur petit animal chéri et outrés par les propos de ce soi-disant spécialiste des bètes à poils, à plumes et à écailles, les propriétaires de Chaussette-rayée choisirent de bannir les conseils de cet homme incompétent et sans-cœur, et réfléchirent à d'autres solutions pour aider leur minou qu'ils aimaient tant.

Entourés de leur tribu à quatre pattes, les maîtres réfléchirent à une solution d'urgence pour redonner sa joie à Chaussette-rayée qui allait de mal en pis et déprimait dans son panier. Lors de ce conciliabule, les minets réunis avaient tous eu le droit d'intervenir ; soit pour approuver une pensée ou soit pour la rejeter. Et tandis que les maîtres proposaient, les chats miaulaient.

— Et si la journée, nous le placions dans un institut pour chats malades ? proposa le maître. Il se sentirait moins différent et pourrait apprendre de nouvelles techniques.

Le dos rond, feulant et crachant, les chats s'opposèrent à cette idée. Selon eux, envoyer Chaussette-rayée dans un établissement de ce type et le laisser entre les mains d'étrangers revenait à se débarrasser de lui. Et cela n'était pas question ! Non ! Impensable !

— Et si nous l'entourions d'encore plus d'amour, peut-être finirait-il par aller mieux et... guérir ? proposa la maîtresse.

Même réaction de la part des chats non convaincus par cette option.

Tous cogitèrent et méditèrent. Ils échangèrent des heures durant sans parvenir à s'accorder, pendant qu'apathique, les yeux vides et les oreilles tombantes, Chaussette-rayée s'enfonçait dans un gouffre sans fond. L'intelligent matou persuadé d'être un malade incurable et grabataire depuis sa consultation chez le spécialiste des félins, ne pensait désormais plus qu'au suicide. Désireux de raccourcir son calvaire — sa grève de la faim lui prenant trop de temps — il fit défiler dans sa cervelle en chat-mallow, différents moyens pour se supprimer facilement et le plus vite possible. Il envisagea d'abord de se laisser tomber dans un puits. Mais problème, dans quel puits ? Jamais encore il n'en avait repéré aux alentours de la maison. Et de toute façon, même si par aubaine il en y en avait eu un, il lui aurait fallu l'atteindre, puis se hisser sur la margelle de pierre, haute d'au moins un mètre telle que décrite dans les livres d'images de la maison, se jeter tête la première dedans et enfin... espérer s'écraser mortellement. A la réflexion, cela apparaissait irréalisable... Chaussette-rayée abandonna ce projet, puis s'imagina rouler jusqu'à la cheminée du salon pour y brûler dans les flammes. Cette deuxième alternative était elle aussi très compliquée. Le printemps s'annonçait déjà par la douceur de son climat et les bûches étaient depuis longtemps rangées dans la réserve.

Recroquevillé dans son panier, Chaussette-rayée eut alors une soudaine et ingénieuse pensée. Il se rappela que par-delà le muret de la maison, des gens au regard haineux l'avaient pointé du doigt en lui criant qu'il aurait dû être euthanasié ou bien noyé à la naissance. Et se noyer était facile ! Il suffisait à Chaussette-rayée de se laisser couler dans l'eau du prochain bain et la chose serait réglée. Le minou eut un soupir de soulagement. En mourant, il mettrait un terme à son calvaire et donnerait satisfaction à ceux qui le jugeaient dégoûtant et indigne de vivre

* Le syndrome tetra-amélie : maladie autosomique récessive extrêmement rare caractérisée par l'absence complète des quatre membres. D'autres parties de l'organisme peuvent être affectées par des malformations, comme le visage, le crâne, le cœur, les nerfs, le squelette, les organes reproducteurs, l'anus et le bassin. L'anomalie est causée par des mutations dans le gène WNT3.


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