Quand maman décide de s'investir dans l'école de ses enfants

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Je suis une mère indigne, je crois que ce point n'est plus à prouver. Ceci dit, parfois, ce constat s'accompagne d'une légère poussée de culpabilité qui m'invite à faire des trucs complètement cons comme, par exemple, me porter volontaire pour installer le marché de Noël à l'école de mes gamins.

Mais quelle idée de merde.

Se mêler à la populace des mamans parfaites, bouger des tables avec des papas investis, m'extasier sur la météo clémente, je vous jure, je ne sais absolument pas ce qui m'a pris de vouloir tenter l'expérience.

Le désir de rencontrer d'autres parents ?

La volonté de surpasser mes compétences maternelles au ras des pâquerettes ?

Le souhait profond de me sentir, hum, investie dans la communauté scolaire des mes chérubins ?

Vaste question. En toute honnêteté, je crois que je m'achète une conscience à cette heure-ci.

Bref, me voilà donc partie, sous un soleil radieux d'hiver, remplir ma mission de "mère pas trop dégueulasse". Une fois à la grille, je panique un peu. Putain, je viens jamais ici, sauf pour chercher, à contrecoeur, mes gosses, puis les ramener à la maison. Comment je sais où il faut aller, moi ? De plus en plus inquiète, je finis par croiser une autre maman, ce qui me soulage instantanément. Cool, une collègue.

- Vous êtes là pour le marché de Noël ? je demande avec un sourire avenant.

Je vous assure, on dirait presque que je suis heureuse d'être là.

- Non, je viens chercher Sarah, mais le bureau de l'APE est au RDC, 2ème porte à gauche, donc s'ils ne sont pas encore là, vous pouvez attendre dans le bureau du premier, dans le couloir à droite, là où toutes les affaires sont stockées.

J'ai rien compris, j'acquiesce comme une conne, je ne pensais pas qu'il fallait un GPS pour se repérer dans l'école, et pour rien au monde je n'avouerais que je ne comprends pas un traître mot de ce qu'elle me dit.

- Et d'ailleurs, vous pourrez dire à Patricia que j'amène les sous quand je serai allée chercher Pimprenelle chez la nounou ?

Parce qu'en plus, faut que je fasse la messagère ? J'essaie de mémoriser l'info comme je peux. Je sais même pas qui c'est, putain, Patricia.

- Parfait, je transmets, merci !

Un sourire plus tard, j'entre dans l'école, toujours aussi paumée, mais déterminée à ne pas me laisser abattre. Je mènerai ma mission à bien, je le jure devant Blanquer.

Une fois dans la cour, je croise des gamins en pleine récré. Je fronce les sourcils, curieuse de voir qu'ils ne sont que 15, avant de me rappeler les foutus règles du COVID. Récré décalée, mais cantine commune. Non, je ne me prononcerai pas sur les directives du gouvernement à ce sujet, j'ai mieux à faire, comme trouver ce putain de bureau de l'APE.

Alors que je suis en train d'errer dans trois pauvres couloirs - mes compétences en orientation égalant celles que je possède en chimie ou en géométrie de l'espace- , je croise mes sauveuses, deux dames de l'entretien à qui j'expose mon problème.

- Ah mais elles ne vont pas tarder, il est juste là, le bureau.

Merde, dire que j'étais à deux doigts de le trouver toute seule. A deux doigts, bordel.

- Tenez, regardez, y'a Patricia, la présidente de l'APE.

Bon, voilà un point positif. Désormais, je sais qui est Patricia. La nana à pas emmerder, visiblement. Je la regarde avec un sourire timide, plus tout à fait celui qui s'excuse d'exister, mais pas non plus celui plein d'assurance que je peux avoir parfois.

Je suis novice, moi, dans cette histoire, et j'en ai bien conscience tandis qu'elle, à l'inverse, est maîtresse en son royaume. Elle reigne avec panache, me regardant derrière ses jolies lunettes carrées dans son bomber fleuri.

- Oh, vous êtes la maman de Lucie et Arthur, c'est ça ?

Bordel, comment elle sait ça, merde ? Je l'ai jamais croisée, moi !

- Lucie, c'est la copine de Murielle, vous savez ! Ah, j'en entends parler de Lucie le soir à la maison !

Ah oui, Murielle. Bon, je retire ce que j'ai dit, j'ai dû la voir à la réunion de la rentrée. Je m'en souviens juste plus.

Pendant un instant, j'ai un élan de fierté. Ma fille a tout compris. Dans la vie, c'est le réseau qui compte. Le réseau. Copiner avec la fille de la maman la plus importante de toute l'école, j'avoue, c'est bien joué.

Dans la poche, Patoche.

Ce qui me rappelle que ...

- Il y a ...

Merde, c'est quoi son nom ?!

- La maman de Sarah qui me dit qu'elle amènera les sous tout à l'heure.

Je suis super fière, putain. JE COPINE AVEC D'AUTRES PARENTS.

- Oh, merci pour l'information !

Elle a l'air super contente, Patricia, et moi, comme une conne, je me sens aussi fière qu'une élève félicitée par sa maîtresse. Comme quoi, il y a des choses dont on ne se débarasse jamais vraiment.

Quelques secondes plus tard, nous sommes rejoins par d'autres parents motivés au visage radieux. Un court instant, je me demande s'ils sont vraiment heureux d'être là où s'ils sont aussi bon comédiens que moi.

- Bon, alors, on va se mettre dehors parce qu'il fait beau et du coup ...

Bien dans son rôle de cheffe, Patricia donne ses consignes. Elle est douée, parce qu'elle est gentille, douce, et drôle. Une vraie manager née, on a tout de suite envie de lui faire plaisir et de la rendre heureuse.

- Vous n'avez pas de troisième enfant, du coup ? me demande-t-elle subitement entre deux portage de tables.

Je retire ce que j'ai dit. Elle me court sur le haricot, l'autre présidente de mes ovaires. Qu'est-ce qu'ils ont avec cette question, les gens ? QU'EST-CE QU'ILS ONT ?

- Non.

- Et pas en projet non plus ?

Bordel mais on n'a pas gardé les moutons ensemble ! Pourquoi elle me demande ça ?

- Faut dire que des jumeaux, ça doit calmer, continue-t-elle en riant.

J'hésite à lui dire que c'est mon ex qui m'a calmée, parce que j'en avais déjà trois, des gosses, avec lui à la maison, seulement, je ne suis pas sûre qu'elle va rire.

- Un peu, oui.

Réponse sobre, mais plus sûre.

Avec un sourire semi factice, je m'active pendant une vingtaine de minutes aux côtés de mes compères quand, enfin, l'objectif de ce marché se dévoile.

Vendre les créations des gamins pour quelques euros.

Bordel. De. Merde.

D'accord, il y a des gamins en primaire un peu doués de leurs mains.

C'est vrai, quelques mamans au foyer ont pris le temps de confectionner des trucs mignons.

Certes, deux ou trois parents futés ont filé des boutures de plantes.

Seulement, les trois quarts des trucs se composent de machins sordides, genre rouleaux de papier cul peints en rouge ou étoile dorée découpée dans un magazine pourri.

Je me mords la lèvre inférieure pour ne pas rire. Sérieux, je suis prête à donner dix balles si on me jure que je ne suis pas obligée de rapporter un de ces machins chez moi. Ils ont cru quoi ? Des trucs dégueu, mes gamins m'en pondent tous les jours. Tous les jours. J'en ai déjà plein le frigo et il faudrait que je paye pour ramener ceux de mioches qui m'appartiennent pas ?

Je pige pas le principe. Super con, l'idée, franchement. Sauf que, en parente d'élève concernée, je décide que ce qui compte, c'est l'intention. Je file donc dix balles, prends trois merdes que je balancerai aussitôt rentrée chez moi et me fends d'un compliment tout ce qu'il y a de plus hypocrite sur lesdites créations.

Je suis sûre que même en politique, on n'est pas aussi malhonnête.

16h30 : Vingt-cinq minutes d'installation plus tard, il est l'heure d'aller chercher mes gosses.

Entre temps, j'ai appris qu'il y aurait un concert. Tous les jeunes musiciens de l'école ont été invités à jouer de leur instrument devant leurs petits camarades.

Quelle idée mignonne. J'adore.

16h35 : Mes enfants sont moyens chauds pour aller voir les petits copains faire du violoncelle. Je les motive un peu. "y'aura un pain au chocolat après".

16h45 : je dois avouer que le concert en question est, hum, d'une qualité améliorable.

"J'ai mal aux oreilles, maman".

"On rentre à la maison, maman".

Ils auront tenu dix minutes. Pire que leur mère.

16h50 : On se casse. Je suis un peu déçue. Tous ces efforts pour être une mère exceptionnelle et mes enfants n'en ont rien à foutre. ça vaut le coup de se prendre la tête, je vous jure.

17h : Ils sont en train de jouer, au chaud. Je suis en train de boire un thé, tranquille. En attendant mon frère, je fais le bilan de ce moment passé. J'ai jeté les trucs moches, me suis investie dans l'école de mes enfants et ai filé des thunes comme c'était suggéré. Je suis donc officiellement une mère formidable.

Encore mieux, question implication dans l'APE, je peux passer mon tour jusqu'à la Kermesse.

Au moins.

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