Quand maman décide de fermer boutique

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Il y a des jours de merde, des mois de merde, des années de merde.

Moi, dans le lot, j'ai pioché la semaine. A croire que la partie sympa de ma trente-deuxième année attend un peu avant de se pointer, histoire de faire durer le suspens.

"Tu vas voir ça va être sympa mais pas tout de suite parce ... ben parce que pas tout de suite".

Que voulez-vous. Quand la vie parle, on s'incline, et on picole en attendant que l'orage passe.

Lundi - 8h : exploit du jour, je suis à l'heure. Le timing est parfait, putain, je suis géniale ! Gé-NI-ALE

Mon téléphone sonne. Amanda. Je décroche après plusieurs hésitations, sait-on jamais, qu'il y ait quelque chose de grave. A cette heure-là, elle n'est jamais levée d'habitude. Il est peut-être arrivé quelque chose à sa mère ?

"PHILOU M'A QUITTEE."

Je mords ma lèvre. Il est 8h, mes gamins sont pas habillés, et elle m'appelle pour me raconter sa rupture. Ben tiens, il est loin le fameux "tu es une femme indépendante, Cocotte, arrête de te plaindre de ta vie". Je me tâte à lui renvoyer l'ascenseur, mais je suis trop sympa, je me la ferme.

La conversation est folklorique. Elle parle, je ne comprends qu'un mot sur deux, mes enfants courent partout et je n'arrive pas à leur enfiler ni tee-shirt ni pantalon. Désemparée, je me contente de répondre par des "hum hum" à ma copine tout en pestant contre les deux monstres qui se marrent, planqués derrière des chaises.

Lundi - 8h25 : Je suis grave à la bourre, Amande continue de parler, je continue de ne rien écouter, et mes enfants continuent de courir. Au moins, ils sont habillés. J'ai sué sang et eau mais j'ai gagné cette bataille.

Lundi - 8h40 : Enfants déposés. Amanda parle toujours. Je réponds par monosyllabes. Je ne sais plus de quoi elle parle exactement. J'en suis restée à "son père, il ...".

Lundi - 9h30 : "En fait, je dois travailler, là, je te laisse."

Oui, c'est vite expédié. Pour ma défense, je suis restée 1h30 au téléphone. Un lundi matin. En me préparant avec mes enfants. Avant d'aller bosser.

JE. N'EN. PEUX. PLUS

Lundi - 16h45 :

"Milann il a pleuré parce que Arthur il a pleuré."

"Mais pourquoi tu as pleuré ?"

"Parce que Milann il a pleuré !"

"Attends, mais du coup, pourquoi tu as pleuré, toi ?"

"Parce que Milann il a pleuré."

Nouvelle version de l'oeuf et de la poule. Sa soeur renchérit avec des propos similaires. 15 minutes de discussion et je ne sais toujours pas ce qu'il s'est passé.

Lundi - 22h : Je suis encore assise devant leur chambre. C'est que ça va devenir une habitude, ce truc.

Mardi - 8h35 : Jamais été aussi en retard. On a perdu les doudous, trouvés les doudous, perdu le sac, retrouvé le sac, perdu les cahiers, retrouvé les cahier. Pas de besoin de faire du jogging quand on est maman. En fin de compte, on court bien assez.

Mardi - 17h30 : Apparemment, on court même trop. Qui est-ce qui se tape un malaise en sortant de son bureau pour courir jusqu'à chez elle ?

Bingo. Bibi.

Manu, ma collègue médecin, rapplique illico, bien décidée à vérifier que je ne vais pas mourir. Verdict ? A priori non, mais ça serait bien d'aller aux urgences pour être sûr. Rassurant.

J'ai beau expliqué ma tension habituellement basse, mon stress professionnel, manifestement, je dois quand même me taper 4 heures d'attente dans un hôpital bondé. Ô joie. Qu'est-ce que la vie est belle, hein ?

Mardi - 22h : Rentrée de l'hôpital. Je ne vais vraiment pas mourir et ça, c'est une bonne nouvelle. En revanche, il me faut du repos, paraît que je suis surmenée. Ils me font rire, ces gens-là. Des jumeaux, deux boulots, mille emmerdes. Ils ont un mode d'emploi pour ce genre de cas ?

N'empêche, lorsque je m'allonge dans mon lit, le coeur encore palpitant, je me rends compte qu'elles n'ont pas tort, les blouses blanches. Pas tort du tout.

Mercredi - 8h : Nuit de merde, mais journée de libre. Pas d'enfants. Pas de taf. Le calme. Le silence.

Je taille le bout de gras avec mes sorcières, qui ont des remèdes à tout, elles, puis je décide de fermer les écoutilles pour la journée. Il est temps de ne penser qu'à moi.

Mercredi - 11h : Ai vachement bien avancé sur mon prochain boulot. Comment ça, il fallait pas bosser ?

Mercredi - 15 h : Ai vachement bien dormi. Trop bon plan, la travail-buissonnier.

Mercredi - 17h : Ai vachement bien cogité sur ma vie. J'aurais mieux fait de regarder Netflix.

Mercredi - 19h : Ai pris vachement plein de décisions. J'attends deux jours, sait-on jamais, je regrette toujours la moitié d'entre elles au final.

Mercredi - 21h : Je suis chez ma mère. Elle parle de son osthéo et de ses factures au rabais.

"Il me fait des réductions, mais c'est parce que je lui suis fidèle !"

Mon beau-père éclate de rire.

"Fidèle ? Avec les 3000 autres que t'es allée voir ? Tu te fous de qui ? T'es fidèle parce qu'à chaque fois, t'y retournes, c'est ça ?"

Ma mère lève les yeux au ciel, moi, je ris. Son mari continue, aussi hilare que moi.

"Non mais c'est une conception de la fidélité, hein. C'est juste bien d'être au courant, tu vois. Histoire de savoir à quoi s'attendre."

"Mais non, je veux dire, quand j'habitais là-bas, dans son bled, j'étais fidèle" précise ma mère, qui commence à trouver qu'on se ligue contre elle, et que bordel, c'est dégueulasse.

"Ah, donc c'est une question de distance !" s'écrit mon beau-père. "Ben fallait préciser que ça s'annulait au-delà d'un certain nombre de kilomètres !"

Ma mère souffle tandis que moi, je ris de plus bel

"C'est la fidélité relative, Yvan, tu comprends rien", je lui explique. "C'est l'intant T qui compte."

"J'en suis ravi" s'exclame mon beau-père. "On va écrire un traité sur la fidélité, alors. Être fidèle, c'est quand on revient à l'instant T. Du coup, ça simplifie vachement la vie."

On finit par tous éclater de rire, même ma mère, et je songe que, décidément, les petits moments de bonheur ne tiennent à pas grand-chose.

Une discussion absurde sur les tarifs des ostéo.

Une plaquette de chocolat avec écrit "bon anniversaire" ramenée la veille par son patient de 11 ans, qui a retenu la date depuis un mois sans que je ne lui demande rien, et qui me l'a offert en rougissant jusqu'aux oreilles "parce qu'il me l'avait promis".

Une amie qui envoie une chanson toute drôle qui fait sourire au milieu des ténèbres.

Une sorcière qui pose les bonnes questions.

Une infirmière qui te dit entre quatre yeux qu'une femme aussi magnifique n'a rien à faire ici un mardi soir.

Deux enfants qui ne veulent pas se coucher parce qu'ils réclament un millième câlin. Oui, oui, même ça, c'est un petit bonheur. Parce qu'à cet instant précis, ça fait deux soirs que je ne suis pas assise sur un sol gelé à attendre qu'ils s'endorment et que je crois, qu'en fait, ça me manque un peu.

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