Lettre à ma mère

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Bonsoir maman,

Je ne sais pas si j'aurais le courage de te faire lire ces mots. Il faut dire que dès que je te montre un truc un tant soit peu émouvant, tu pleures. Même quand tu as finis de lire mon premier bouquin publié, tu as versé ta larme, et pourtant, c'était une histoire d'amour et de cul. C'est dire ton émotivité.

D'ailleurs, il faut encore que je te le dédicace, mais, vois-tu, je ne sais pas vraiment quoi écrire. "J'espère que ta vie sexuelle est aussi épanouie que celle de mon héroïne" ? On est d'accord, ça fait désordre.

Je peux bien te le dire maintenant, j'ai toujours détesté que tu pleures pour pas grand-chose. C'est drôle, parce qu'à bien y regarder, moi aussi, je pleure souvent. Mon hypersensibilité, je sais d'où je la tiens, et pourtant, je ne crois pas connaître une femme aussi forte que toi. Comme quoi, les deux ne sont pas incompatibles.

A ce qu'il parait, j'ai aussi hérité ça de toi. Ma force. Parfois, si tu savais comme je la hais. En ce moment tout particulièrement, mais ça, c'est une autre histoire.

Ce soir, maman, je prenais ma douche avec ma fille. Elle n'aime pas beaucoup avoir de l'eau dans les yeux. Moi, depuis le temps, tu imagines bien que ça ne me dérange pas. Si tu savais les yeux ébahis qu'elle avait en me regardant lever la tête vers le pommeau de douche. Avec sa simplicité enfantine, elle a dit "Maman, elle n'a pas peur."

Je n'ai rien dit, mais j'ai pensé à toi. Il n'est pas forcément bon que les enfants sachent tout de nous, je crois, ni même de la vie. Il y a des choses qu'ils doivent découvrir par eux-mêmes. C'est important qu'ils nous pensent solides. Qu'ils nous voient solides. Aussi important qu'ils nous regardent douter, tomber, pleurer, faillir. Nous voir chuter, c'est s'autoriser à chuter eux aussi.

Elle a tort, ma fille. Comme j'avais tort, à son âge, de te croire surpuissante. Toi aussi, tu as dû être terrorrisée, maman. Seule, le soir, quand nous dormions, j'imagine les larmes que tu as dû versées, les rires que tu as dû avoir, les vagues à l'âme que tu as affrontés. Je les imagine parce qu'aujourd'hui, c'est moi qui les affronte.

C'est dur, maman, d'être maman. Parfois, j'aimerais redevenir la petite fille qui ne craignait rien entre tes bras. Parfois, je voudrais, sûrement comme tu en as eu envie aussi, faire mes valises et prendre le large.

Je ne le fais pas, parce que tu ne l'as jamais fait. Tu as tenu bon, comme je tiendrai bon. Alors oui, sans doute que ma force, elle me vient de toi. Et je t'en remercie. Tu as été un pilier, je peux l'être à mon tour. Tu as pleuré souvent, je peux pleurer aussi. Tu as crié, punie, été imparfaite. J'y suis tout autant autorisée.

Un main de fer dans un gant de velours, c'est bien ça qu'on dit, non ?

C'est drôle, Quentin, il y a deux jours, m'a envoyé des photos de mes vieux bulletins et de lettres que tu avais écrites au cours de notre scolarité. Une m'a particulièrement touchée. Tu y racontes ta vie de mère célibataire dans le but de convaincre le proviseur de me changer de classe. C'était pour faire l'option théâtre, celle qui me tenait tellement à coeur. Tu avais 36 ans. J'en ai cinq de moins et je ne peux que t'admirer.

Comment tu as fait, maman ? Comment on fait, maman ? Comment on se fraie un chemin parmi les factures, un boulot compliqué, un quotidien pas toujours drôle, deux enfants qui demandent tant et à qui on n'offre jamais assez, des déceptions, des emmerdes, des blessures ?

Tu ne t'es pas oubliée dans cette aventure, mais bien plus que je ne le pensais. A cet instant, tandis que je cherche ma propre façon d'être mère, je vois tout ce que je ne voyais pas. Tout ce qui me paraissait normal, évident, simple. Pour toi, ça ne l'était pas.

Je comprends les chansons tristes dans la voiture.

Je comprends la fatigue le soir.

Je comprends les douleurs silencieuses dans le regard.

La seule chose que tu ne m'as pas apprise, en fait, c'est à être mère, justement. Longtemps, je t'en ai voulu. Désormais, je me dis que rien ne peut préparer à ce tsunami qui bouleverse nos vies pour toujours. Je t'en remercie. Il fallait que je découvre, que je me plante, que je me perde. Là encore, tu as été la mère parfaite, celle qui accepte les errements de son enfant en sachant qu'il doit en passer par là.

Parfois, tu as essayé de me prévenir. Toujours, tu es venue à mon secours.

Nous n'avons pas les mêmes idées éducatives et souvent, nous nous accrochons sur des détails. Quoiqu'il arrive, tu réponds présente, y compris quand, et j'ai du mal à l'admettre, c'est toi qui avais raison.

Je me rappelle de notre dernière dispute. Je t'ai balancé des trucs pas drôles et tu m'as répondu, avec calme, entre deux sanglots "je serai toujours là. J'ai fait des erreurs, je peux les entendre, mais il ne tient qu'à toi de faire avec les cartes que tu as."

Je t'ai détestée. Les cartes, de qui elles viennent, à ton avis ?

De toi. De papa. Du monde entier. Il m'a fallu un peu de temps pour capter ce que tu essayais de me transmettre. Je suis une adulte responsable, et c'est à moi, ce sera toujours à moi, de décider de faire de la limonade avec des citrons ou de les bouffer en grimaçant.

Merci, maman, de m'apprendre à faire de la limonade, même si, je le reconnais, je bouffe encore trop d'agrumes en tirant la gueule.

Merci de penser à toi, de te prioriser, parce que ça m'oblige à le faire aussi.

Merci d'être femme, et pas seulement mère, quand je ne sais plus, souvent, où je me situe entre les deux.

Merci, aussi, quand tu doutes de moi, parce que ça m'apprend à me faire confiance. J'ai du boulot dans ce domaine, on est d'accord, mais je progresse.

Je me souviens aussi de la fois où, après avoir quitté le père de mes enfants, je suis venue pleurer dans tes bras parce que "je reproduisais ta vie". Combien cela a dû être dur pour toi d'entendre ça !

Là encore, tu as assuré. Tu as fais taire ta douleur, tes regrets, ta culpabilité. Tu m'as souris avant de me dire "tu ne prends pas les mêmes décisions que moi. Tu fais autrement. Et je vais te dire un truc, au final, j'ai plutôt fait les bonnes erreurs vu les adultes que ton frère et toi êtes devenus."

Je n'ai pas compris sur le moment, mais quel beau compliment. J'ai du mal avec les compliments, maman. Avec les câlins, les mots d'amour, la vulnérabilité. Je dois avoir un défaut de fabrication.

Les autres, je crois, sont d'accord avec toi. Je suis quelqu'un de bien. Il ne me reste plus qu'à m'en convaincre aussi. J'apprends, maman. On apprend toujours, je crois, et encore aujourd'hui, tu restes un modèle.

Parce que tu t'es plantée. Parce que tu t'es battue, comme une lionne, pour avoir la vie dont tu rêvais. Parce que tu as assuré nos études, seule, sans pour autant te sacrifier. Parce que tu as eu mille raisons de baisser les bras sans jamais le faire. Parce que je te vois heureuse et que les jours de pluie, ça m'aide à croire au bonheur.

Je suis heureuse, maman. En gros. C'est tout ce que tu voulais. Tout ce que tu as toujours voulu. Et quand je ne sais plus l'être, je courbe le dos et je reste debout.

Comme toi.

Alors, voilà, je ne sais pas si j'aurais un jour le courage de te le dire, si tu savais tout ce que je n'ai pas le courage de prononcer, mais je te pardonne.

Pour tes erreurs. Pour tes coups de gueule. Pour tes décisions impulsives. Pour ton impatience. Pour les quelques gros complexes que tu m'as refilés. Pour les blessures dont, sans le vouloir, tu es responsable.

Je vais faire avec. Je fais avec. Je suis moi, mais je te ressemble, et je crois que c'est une belle chose. Avant de mettre au monde mes deux enfants, j'étais sûre de faire mieux. Tout le monde le pense. "On sera de meilleurs parents, ça a l'air si simple vu de l'extérieur". Aujourd'hui, j'espère juste que je ferais aussi bien que toi. Différemment, mais aussi bien.

Après tout, je ne suis pas si mal, il faut le reconnaître.

Demain, tu vas venir passer la nuit à la maison pour m'aider. A ranger, à éduquer, à soigner, à reconstruire. J'espère que j'aurais le cran de te demander ce câlin dont j'ai tellement besoin parce que, dans l'histoire, mère ou pas, je reste ta fille, une petite fille qui aura toujours besoin d'être consolée. On ne quitte jamais vraiment l'enfance, maman, et à l'heure où la solitude est un élément central de ma vie, je le découvre à mes dépends.

Et si j'y arrive, à être seule, c'est surtout grâce à toi.

Merci, maman. Merci d'être toi. Aussi imparfaite que merveilleuse.

J'ai de la chance d'être ta fille. Aussi imparfaite que sensationnelle.

Je t'aime. Je te le dis jamais. C'est con. Mais c'est sans doute parce que dire à quelqu'un qu'on l'aime, c'est prendre le risque d'être rejetée La vie ne m'a pas beaucoup détrompée à ce sujet, mais je ne perds pas espoir. Tu l'as eu tant d'années.

A demain, maman.

Je t'embrasse, pour tous ces baisers que j'ai refusés enfant. Sache que je garde le souvenir de chacun d'eux.

Ta fille

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