Quand la mère exemplaire est aussi une professionnelle exemplaire

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Vous vous demandez sans doute ce que je fais de mes journées quand je ne les consacre pas à mes adorables bambins.

Vous allez rire. Je m'occupe de ceux des autres.

Nan, je ne suis pas instit', ni même nounou, encore moins employée en crèche. J'admire ces trois métiers, pleinement, parce qu'il faut bien le reconnaître, pour se taper entre trois et vingt-cinq marmots, il faut avoir une certaine vocation divine. Oui, oui, divine, je ne lésine pas sur les mots.

Non, moi, je fais dans le "face to face", et c'est déjà un sacré engagement.

Les mômes, on ne le dirait pas comme ça, mais je les aime. Beaucoup. Ils ont une vivacité d'esprit qui manque cruellement aux adultes, une spontanéité naturelle qui m'emporte et qui, sans doute, entre en résonnance avec mon enfant intérieur.

Je les aide. Je les soutiens. Je les accueille. Je les écoute. Je les entraîne. Je les pousse. Je les encourage. Je les motive.

Enfin, j'essaie.

Je dois dire, pour être tout à fait honnête, que, bien souvent, ce sont eux qui m'apprennent des trucs.

9h30 : Rob, 11 ans, galère à faire des phrases. D'humeur joueuse et créative, je décide de lui lancer un défi. 10 mots sur un papier, on en pioche trois, et on se lance. Le gagnant ? Celui qui fait la plus belle phrase, ou la plus drôle.

J'écris, beaucoup, donc je suis à l'aise. Grave. Je vais le pulvériser.

9h38 : "Léo embrasse son amoureuse, mais comme il est gourmand, il la dévore".

Premier round, je suis battue à plate couture. Moi, j'étais restée dans le mignon "Léo est gourmand, mais il se contente d'embrasser son gâteau du bout des lèvres".

La jeunesse n'est plus ce qu'elle était.

10 h : "Tiens, je t'ai amené une chanson que j'aime, comme tu m'as demandé. Tu connais Vianney ?"

Je hoche la tête, vaguement. Pas ma tasse de thé, du tout, mais il suffit de faire trois courses dans un supermarché quelconque pour avoir entendu chanter le jeune homme.

Je commence à dicter les premières paroles - "elles sont énervantes les filles d'aujourd'hui" - quand Nino se prend d'amour pour les commentaires de texte.

"ça veut dire que les filles sont chiantes."

Je ne peux m'empêcher de rétorquer, la féministe en moi profondément outrée.

"Non, les garçons et les filles ont chacun leur défaut, c'est juste que les relations humaines ne sont pas simples et, tous, dans notre unicité, on ..."

Alors que je suis lancée dans un discours fondamental sur la magie du lien à l'autre, je suis grossièrement interrompue.

"C'est bien ce que je dis, c'est chiant. T'es pas une femme pour rien, hein."

J'hésite à lui balancer mon café en pleine figure, mais comme je suis une professionnelle exemplaire, je serre les dents et me montre bienveillante.

"T'as oublié un 's' à filles".

Nanméoh !

11h : Mr Le Fam. "On a sorti les gambettes, aujourd'hui."

Non, je ne vois pas que des enfants.

Non, les adultes, ce n'est pas plus simple.

Oui, j'ai caché lesdites gambettes sous le bureau.

11h30 : "Tu es jolie"

"Merci ! D'habitude, tu ne me dis pas ça. C'est gentil."

"C'est parce que là, tu es coiffée."

Quand est-ce que c'est les vacances, déjà ?

12 h : Lila, 15 ans, ado dans toute sa splendeur, est effondrée sur son siège.

"Tu n'es pas en forme, ma belle ?"

"J'ai mes règles".

"Ah, oui, je comprends. C'est compliqué, ces moments-là ..."

"T'es pas ménopausée, toi ?"

Je retiens une claque, arborrant à la place un sourire étincellant. J'ai 30 piges, merdeuse. Je te ponds 20 mioches, encore, si je veux.

Sauf que je ne le veux pas. Du tout. Le prochain qui a des vues sur mon utérus, je le lui greffe.

13h : pause repas bien méritée. 15 appels, 8 mails, trois compte-rendus à taper. Tout cela attendra un moment où je serais disponible. Jamais me semble être un timing parfait.

Le reste de la journée se déroule sur un rythme similaire. On me raconte les retours de vacances, les rentrées merdiques, les maîtresses sympas, les profs relous, les copines méchantes, les potes marrants, les parents inquiets, les darons fâchés, les mamans cinglées.

L'année rédmarre, doucement, par un bel été indien. C'est la bonne et la moins bonne humeur. Je ris, je soupire, je m'agace, je taquine, je m'amuse, je me fatigue.

Soigner, accompagner, quand on est une boule à facettes des émotions, c'est aussi épuisant que riche.

17h15 : Je récupère mes enfants. Je suis lessivée. Eux, apparemment, pas.

Mais ils foutent quoi, les instits ?

17h30 : On va à la mer. Autant profiter de l'eau et des derniers rayons de soleil, non ? Et puis, ne suis-je pas une maman géniale, qui profite de tous les beaux instants de la vie, privilégiant les petits moments de bonheur plutôt que la sacro-sainte routine ?

17h45 : "J'ai envie de faire caca".

Bien sûr, on est déjà sur le sable.

Bien sûr, il a déjà son maillot.

Bien sûr il n'y a pas de toilettes.

17h50 : Une petite crotte doit voguer parmi les flots, à l'heure qu'il est, telle une charmante bouteille à la mer ...

18 h : Arroser maman est un jeu très drôle. Je me suis baignée, comme c'était prévu. Habillée, comme ce n'était pas prévu.

18h30 : On rentre. Enfin, je rentre. Mes marmots, eux, continuent à jouer dans le sable, peu décidés à me suivre. Je me tâte à les laisser là. Ils pourraient faire un remake de Danse avec les Loups version Bretonne: Danse avec les goélands. Toutefois, je suis pas sûre qu'on ait le même succès.

19h : On est rentrés. De force plutôt que de gré ou, pour le dire autrement, d'un commun désaccord. "Maman est vilaine."

Mon pauvre chéri, si tu savais à quel point ...

19h05 : Un verre d'eau vole à travers la pièce. Ma patience vole en éclat. Il faut dire qu'elle a déjà été bien éprouvée pendant la journée.

Parfois, je dois l'avouer, je m'en veux.

D'offrir aux autres ce que je n'ai plus pour eux.

De passer mon temps avec d'autres enfants.

De me donner à fond comme professionnelle, épuisant mon stock de tout un tas de trucs dont ils ont besoin.

Souvent, je culpabilise. Beaucoup. En général, c'est à ce moment-là qu'ils me font un câlin. C'est mâlin, un gamin, en vrai.

19h10 : Je suis sortie inspirer le grand air de mon jardin pendant que Tartempion 1 refuse de finir son yaourt et Tartempion 2 veut choper ledit yaourt. Il me faut quelques secondes de calme, au risque de l'obtenir définitivement d'une façon peu recommandable.

20h : Ils sont au lit. Ils dorment. Du moins, avec le casque anti-bruit, ça fait comme s'ils dormaient.

20h15 : ils dorment vraiment. Prise d'un élan d'amour maternel, je vais les regarder roupiller, sagement allongés dans leur lit.

Ils sont beaux. Délicats. Paisibles. Dans ces moments-là, je me dis que, peut-être, je ne rate pas tout.

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