Quand maman sort

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18h30 : Ce soir, je sors. Un point essentiel de la parentalité, c'est l'équilibre. Mère ou femme ? Qui ne s'est jamais posé la question me jette le premier coup de blush.

Heureusement, à défaut d'avoir encore un mari, j'ai de la famille. Essentiel, vous l'admettrez, pour garder lesdits enfants et retrouver une vie sociale.

"Tu fais quoi ?"

"Je me maquille"

"Pourquoi ?"

"Pour me faire belle".

Ma fille, muette, me regarde décorer mes yeux avec une expertise toute relative. Je l'imagine admirative de sa génitrice, qu'elle doit très certainement trouver magnifique. Après tout, elle a trois ans. Pour elle, je suis une déesse, et c'est une chose tout à fait normal que de ...

"C'est bien, maman."

Je manque de m'enfoncer la brosse du mascara dans l'oeil. Ma progéniture est une merdeuse.

18h50 : "Elles sont pas belles les boucles d'oreilles".

J'ai envie de lui hurler que je n'ai pas demandé son avis, et qu'est-ce qu'elle y connaît celle-là à la mode, du haut de ses trois piges, mais une fois que les trucs pendouillent à mes lobes, je dois admettre l'évidence. Ma fille a raison. Elles ne vont pas du tout avec la robe. Je les ôte de mauvaise grâce. J'aime bien avoir raison, mais pas au point de ressembler à un épouvantail.

19h20 : j'ai déposé mes deux amours. Comme toujours, les séparations furent déchirantes. Quand je leur ai dit "au revoir", ils n'ont pas répondu, continuant de jouer avec le train électrique de Yvan. C'est sûr, ils cachent leur douleur. Ils ont une certaine pudeur, je le sais, je le sens, c'est moi qui les ait fait.

20h : J'arrive chez Christian et Eli. Je ne sais pas ce qui est prévu, mais avec eux, c'est toujours la fête, d'une façon ou d'une autre.

21h : J'ai fini la première bouteille de crémant. Je suis bourrée. Ma mère m'envoie une photo d'enfants qui dansent, je mets trois minutes cinquante à me souvenir que ce sont les miens.

21h15 : Ils ont fini un pack de bière. Les grillades sont carbonisées. Le vin rouge, lui, est délicieux.

22h : On a fini le vin rouge. J'ai oublié jusqu'à mon prénom et il n'est pas encore 23h. C'est à ça qu'on reconnaît qu'on est devenus parents. On est bourrés plus vite, et on met plus longtemps à s'en remettre.

1h : J'ai raconté des tas de trucs et je ne suis pas certaine d'avoir envie de me souvenir ce que j'ai dit, très exactement. D'après Christian et Eli, qui pleurent de rire, c'est plutôt fun. Je n'en doute pas. Je suis une mère fun.

3h : Dodo. Trou noir.

7h : Je mets dix minutes à piger que je suis restée chez mes potes. Ce furent les dix minutes les plus longues de toute ma vie, accouchement inclu. Il est loin le temps où rentrer avec un inconnu était une aventure excitante. J'ai des enfants, maintenant, et je me dois d'être responsable. En plus, tout à fait entre nous, si c'est pour ne pas se souvenir du rodéo, l'intérêt est très limité.

9h : J'ai dormi 4h, j'ai encore 4g, et je dois récupérer mes mômes dans trois heures. Mais qu'est-ce qui m'a pris, bordel, de sortir ? Je ne pouvais pas me contenter d'une verveine et d'un film sur Netflix ?

12h30 : "Maman elle est pas coiffée."

Je sens que l'après-midi va être longue.

14h : Ils ne veulent pas faire la sieste. J'ai BESOIN d'une sieste. Question de vie ou de mort. Je décide d'avoir recours à une astuce innomable, qui me vaudrait les cris éhontés des parents bien pensants, mais à cette heure-ci, je m'en fous. Personne n'en saura jamais rien.

"Si vous dormez, je vous emmène manger une glace"

"Et le manège ?"

"Et le manège"

Qu'on soit clairs. A cette seconde, je tuerais pour dormir. Je vendrais mon corps, mon âme, ma maison, alors une glace et un manège, ce n'est pas cher payé.

14h30 : Ils ne dorment toujours pas. Je suis donc passé à l'option numéro deux. Retour dans le lit parapluie. C'est une autre parade honteuse, mais la honte est peu de chose un lendemain de cuite.

16h30: Ils ont dormi. Je crois. Moi oui.

"La glace et le manège, maman ?"

C'est fou cette mémoire. Bizarrement, quand j'évoque la douche ou le gratin de courgettes, ils s'en souviennent beaucoup moins.

17h : "Pourquoi maman a des lunettes ?"

"Parce que j'ai une sale gueule, des cernes énormes, et un teint blafard." Je ne le dis pas. A la place, je souris et je sors un gracieux "Parce que c'est pour protéger du soleil."

"Y'a des nuages".

Je soupire. Mon fils cherche la petite bête. En Bretagne, si on attend le soleil pour mettre des lunettes de soleil, les opticiens feraient faillite.

Comme toujours, la maman parfaite en moi sait immédiatement quoi répliquer.

"Mange ta glace, mon chéri".

18h : Il n'ont pas vomi leur glace dans le manège. De mon côté, j'ai évité de regarder le truc tourner, parce que je n'étais pas sûre de réussir cet exploit.

Durant les longues minutes qui ont accompagné la putain de musique à la con de ces machins qui tournent, j'ai tenté de calculer le nombre d'heures qui me restaient à attendre avant d'être totalement sobre. Environ 15 ans, si on admet qu'ils quitteront la maison à leur majorité.

18h30 : On rentre à la maison. Moi, je chante la reine des Neiges depuis qu'on a quitté ce foutu manège. Je déteste les manèges.

19h : On mange. Des légumes. Donc ils ne mangent pas. "C'est pas bon, maman."

19h15 : ça pue. Mais alors vraiment. Tellement, en fait, que je suspecte un accident caca quelque part dans la maison. Telle une tête chercheuse ou un chien de la douane, je fais le tour de chaque pièce sans trouver rien d'anormal. Soudain, tout s'éclaire ! Le jardin, ça doit être dans le jardin. Un poil agacée, je sors en m'époumonant "Vous avez fait caca ?"

Contre toute attente, c'est la voisine qui me répond.

"Non, je suis en train de faire un pot-au-feu, ça sent un peu fort".

Rouge - heureusement qu'elle ne peut pas me voir -, je réponds un truc aussi pourri que ma tronche du jour "je suis sûre que ça sera excellent".

Je songe sérieusement à déménager.

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