VERVE : Wicked Game

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Pour accompagner la lecture, la version accoustique de Wicked Game de Stone Sour : https://www.youtube.com/watch?v=N0kDuZ2mcyg

—Calmez-vous. Vous êtes déjà au seuil critique, il est nécessaire de vous calmer.

La voix sort des haut-parleurs. Je suis incapable de savoir à qui elle appartient. C'est une de ces voix déshumanisées qui ne manifeste pas la moindre émotion. Depuis le temps, ils ne sont pas rendus compte que ça n'améliore pas mon état. Mes flammes montent le long du mur. Je claque des doigts avant de serrer mes poings, envoyant ce qui semblent n'être que de fines étincelles dans l'air, puis elles grandissent en un instant pour ressembler à des traînées de feu.

Mickaël, reprit la voix. Vous avez désormais passé le seuil critique. Je peux vous proposer des médicaments de catégorie trois.

Mickaël... Ils ont aimé nous donner des noms bibliques. Comme pour nous absoudre de nos péchés. Oui, ils n'ont pas trouvé mieux que de me coller le nom d'un archange. Et quoi de mieux que celui qui a pourfendu le mal ? Alors que pour eux, je me rapproche plus de l'incarnation du diable.

Ils ont définitivement un sens de l'humour pourri. Mes flammes lèchent désormais le plafond, hors de contrôle.

—Mikaël, répondez-moi. Voulez-vous prendre des médicaments de catégorie trois ?

Elle va reposer la question et ensuite passer à l'étape deux du manuel en bonne petite ouvrière qu'elle est. Comme si je n'étais qu'une machine à faire fonctionner. Débrancher, rebrancher.

Je hurle. De rage, de tristesse, de frustration, je ne sais, peut-être les trois à la fois. J'ai encore du mal à mettre des mots sur mes émotions. Le doc tente bien de m'expliquer qu'il n'y a pas que la colère ou la frustration dans l'éventail des sentiments. Et que la prostration dont je fais parfois preuve n'est en aucun cas une manifestation normale mais je suis encore loin de toutes les maîtriser et de les identifier quand elles se manifestent à moi.

En même temps, ressentir des émotions normales dans ma situation est quasiment impossible. Enfin, il y en a une plus prégnante que les autres et que je n'identifie que trop. L'attachement comme un signe aliénation, cette dépendance anormale qui me hante.

Mikaël, fit la voix, répétant pour la troisième fois ce prénom auquel je ne m'identifie pas, comme si cela devait avoir un effet sur moi.

—Je veux le Doc, coupe-je en jetant un coup d'œil vers les caméras qui filment toujours, derrière leur vitre protectrice, toute la journée, sans arrêt. » Et je les noye sous le feu. Je veux le Doc.

World was on fire
Le monde était en feu
No one could save me but you.
Personne d'autre que toi ne pouvait me sauver

« Verve, dit-il en arrivant, m'appelant par mon vrai nom. Je suis là comme tu l'as demandé. » Je me détends immédiatement à sa voix. Il n'est pas derrière une caméra et un micro, non, il est entré directement dans ma cellule, sans aucune peur, les flammes suivent ses pas. Mais il fait comme s'il ne les voyaient pas.

S'il ne possédait pas ces grosses lunettes avec ces montures hideuses et cette barbe qui lui mange le visage, je pourrais presque lui donner un air inquiet.

J'aime l'idée qu'il s'inquiète à mon sujet.

Il y a beaucoup de choses qui ont changées quand le doc est arrivé. La première chose, c'était que quelqu'un m'a parlé, véritablement parlé.

Pendant les deux premières années de ma détention, personne ne l'a réellement fait. Pas que je sois un grand bavard. Mon nom a été choisi par ironie face à mon peu de capacité à communiquer.

Mais toutefois, avec les ordres que l'on m'aboyait quotidiennement, j'avais fini par ressentir les mots comme une agression et à y répondre comme telle. Ça n'avait pas amélioré mes relations avec mes geôliers mais ils me détestaient déjà alors un peu plus, un peu moins.

« Verve, tu es avec moi ? »

J'adore sa voix grave, un peu rauque, et cet effet qu'elle a sur moi. Déjà, c'est le seul qui m'appelle par mon vrai nom.

Ils appellent ça nos noms d'otages et ne veulent pas les utiliser, essayant de nous rappeler que nous avons été humains un jour. Peut-être veulent-ils juste s'en convaincre pour ne pas nous abattre comme des animaux... Mon nom m'a été donné par les merkhers, des envahisseurs extraterrestres.

Ces mêmes envahisseurs m'ont gardé prisonnier de mes cinq ans à mes quinze ans, m'enlevant à mes parents, me modifiant pour être une parfaite machine de guerre, m'entraînant pour tuer mon propre peuple. Ce que j'ai fait. Avec une habilité et une obéissance remarquables.

Je devrais détester mon nom. Mais ce n'est pas le cas. Il résonne au contraire comme la seule musique familière de mon monde et le Doc l'a compris.

« Verve, tout va bien. Dis-moi quel jour on est. »

Je jette un œil sur le calendrier mural carbonisé. Ça doit être le quatrième cette année. Tant pis pour les chatons mignons dans leur panier. La dernière case que je me rappelle avoir cochée...

« Le cinq ? dis-je à tout hasard. » Le doc sait ce qu'il fait, je me suis concentré sur autre chose, focalisé et mes flammes s'apaisent.

« Presque, fit-il. On est le huit décembre, Verve. »

La date éveille quelque chose en moi et je lève les yeux vers lui. Les flammes s'écartent presque religieusement pour me permettre de le fixer intensément. Je remarque ses lunettes de guingois et ça m'amuse.

« Oui, Verve. Tu as vingt-deux ans ! Enfin, selon nos calculs et la date arbitraire que l'on t'a donné pour jour de naissance. Joyeux anniversaire. » Je me mets à rire. C'est nouveau et incongru comme bruit, cela fait si longtemps. Ce n'est pas comme si j'ai beaucoup d'occasion de rire dans ma boite de quatre mètres sur trois. Je sens que mon rire est effrayant. Sûr que je n'ai plus toute ma tête depuis un moment, si jamais je l'ai eu un jour. Être élevé par des êtres transparents et vaporeux dans un vaisseau à la technologie froide au milieu de dizaines d'enfants, comme moi, servant de rats de laboratoire, n'est pas ce qu'on appelle une éducation équilibrée. Ai-je jamais su rire, normalement ? Tant pis, mon rire me fait du bien, c'est libérateur, et il a beau faire peur, je m'en fiche.

Le Doc n'y fait d'ailleurs pas attention, recherchant au contraire, ce qui le déclenche.

« Ça te fait plaisir ?

—Non, assène-je. Ça fait quatre ans maintenant ?

—Oui, confirma-t-il. »

On arrive à la quintessence de la mesquinerie humaine quand on sait que cette date d'anniversaire est aussi la date de ma capture et de mon enfermement.

« Y a-t-il quelque chose que tu veuilles ? Un nouveau calendrier peut-être ? »

Je secoue la tête, conscient qu'il m'observe.

« Je veux que vous restiez un peu avec moi, demande-je. » Ma drogue, mon désir, ma folie.

Strange what desire
C'est étrange ce que le désir
Will make foolish people do
Arrivera à faire faire aux insensés

« Ok, si tu veux, répond-il. Qu'est-ce que tu veux faire ? » Faire ? Je n'en ai aucune idée, je suis déjà étonné qu'il ait accepté de rester.

C'est la personne la plus importante de ma vie mais je ne sais même pas son nom. Ici, ils s'obstinent à répéter mon nom d'emprunt tous les jours mais eux se cantonnent dans l'anonymat.

Quand il a vu que ça me gênait, il m'a autorisé à l'appeler Doc. Je chéris ce surnom autant que le mien. Parce que je sais bien que Verve n'est pas un nom. Mais nos ravisseurs extraterrestres ne se souciaient pas de conserver notre identité. Et quand la guerre s'est terminée, aucun parent désespéré ne s'est manifesté pour clamer comme son descendant la pire horreur que les merkhers leur aient lâchée dessus. Ou peut-être appartenaient-ils à la longue liste de victimes de la guerre. Je ne saurais jamais qui j'étais, je n'ai donc que ce surnom qui soit à moi.

« Je peux vous toucher... ? demande-je encore, sans réfléchir. » Il fronce les sourcils.

« Je ne comprends pas. Peux-tu énoncer plus clairement ton besoin, Verve ?

—Je... »

Non, ce n'est pas une bonne idée. L'arrivée du Doc a coïncidé à mon accès aux technologies, j'ai pu enfin avoir d'autres divertissements que les murs de ma cellule. Des livres d'abord, de la musique puis la télé et enfin internet, en limitant mes communications vers l'extérieur bien sûr. J'y ai appris ce que je suis, ce que je représente et la haine qu'ils ont de moi.

Je sais aussi qu'ils surveillent ce que je lis, ce que je regarde mais jusqu'à il y a peu, j'allais quand même jeter un œil sur des sites pornographiques et je soulageais comme je pouvais certaines envies.

Quand j'ai entendu une des voix dire que j'étais dégoutant il y a quelques semaines, j'ai arrêté. Alors désormais, je me réfugie dans mes pensées, sous mes draps et plus sur la toile. Et je rêve du doc. J'ai honte maintenant mais je rêve de lui.

I never dreamed that I'd meet somebody like you
Je n'avais jamais rêvé que je rencontrerais quelqu'un comme toi
I never dreamed that I'd knew somebody like you
Je n'avais jamais rêvé que je connaîtrais quelqu'un comme toi

Au bout de deux ans, il a été comme une lumière. Je crois que j'ai oublié mais avant, j'avais des gens que j'aimais. Des enfants comme moi, dans ce grand vaisseau obscur. Au détour de couloirs, on se retrouvait. Mais c'est flou.

La guerre puis les murs blancs ont rendu tout ça flou. Ou peut-être que je veux que ça demeure ainsi.

Je passe les mains dans mes cheveux et tire dessus. Ils sont trop longs et bouclent un peu. Mes doigts sont arrêtés par les nœuds. Je baisse la tête, j'ai honte soudain de me montrer ainsi devant lui. Je n'ai pas dû me laver depuis plusieurs jours.

« Tes cheveux te gênent ? me demande le Doc sans marquer de répulsion pour mon apparence. » J'acquiesce.

« Vous me filez des ciseaux ?

—Même pas en rêve ! » Oh oui, je rêve. Mais de lui. Toutes les nuits désormais. Et même parfois le jour.

« Je suis pas suicidaire, me récriai-je.

—Non, juste imprévisible. » Je secoue la tête. Je ne le fais pas exprès. Avant, j'étais une des expériences les plus stables que les merkhers aient pu créer. Je ne saurais s'ils étaient fiers de moi, de cette belle réussite.

La guerre, si longue, si violente, la perte de mes compagnons, ces visages flous, puis cet enfermement ont eu raison de mon contrôle. Maintenant, j'oscille en permanence entre l'apathie et la colère. Et autre chose. Cette chose en moi quand je l'entends, quand je le vois, que je ressens la nuit sous mes draps. Et mes flammes dansent au-dessus de moi, m'accompagnant dans mon plaisir. A chaque fois.

« Verve, tu n'as toujours pas reprécisé ton besoin ? Veux-tu le faire ? Qu'entends-tu par « me toucher » ? »

Toucher ton visage, ton cou, ta main, ton corps... Je devine tes yeux marrons derrière tes lunettes. Te les enlever, passer la main dans cet épi sur ton crâne pour l'aplatir, voir que je n'y arrive pas, sourire... T'aimer, juste t'aimer...

Je suffoque. Je ne veux pas. Je ne peux pas. Personne ne veut un monstre comme moi.

No, I don't want to fall in love
Non, je ne veux pas tomber amoureux
With you
De toi

« Verve... »

Je panique, mes doigts lâchent des petites étincelles dans l'air autour de moi.

« Il n'y a rien ici que tu puisses dire ou ressentir dont tu puisses avoir honte, m'explique-t-il. Parle-moi. »

Je secoue la tête. J'ai désespérément besoin de le toucher. Comme je ne peux pas, je m'entoure les épaules de mes bras, de mes mains encore emplies de pouvoir. Je sens la morsure des éclats sur ma peau, à travers mes vêtements.

Ce n'est pas grave, et je guéris tellement vite que d'ici quelques heures, il n'y aura plus rien. Pour moi, la douleur a un côté rassurant.

« Je... C'est juste difficile aujourd'hui. » Je mens et il le devine. Il s'avance vers moi. Mes doigts pétrissent mes épaules à me faire mal. Je sens la brûlure s'intensifier mais mon état de stress ne me permet pas une réelle maîtrise de mon pouvoir.

Alors que j'y excellais, des années de pratiques dans les salles du vaisseau, dans des conditions difficiles pour que maintenant, un homme, un seul, me mette en défaut.

Le Doc s'arrête près de moi, il prend appui sur le lit et s'assoit. Quelques petits centimètres nous séparent. Je pourrais le toucher. Est-ce que les alarmes se mettraient en route ? Est-ce que la voix de la petite fourmi ouvrière viendrait grésiller derrière le micro ?

« Ok, si tu ne veux pas me dire, c'est ton droit. Par contre, il va falloir que tu m'expliques pourquoi tu es entré en crise ?

—Je sais pas. » Il soupire, c'est sa façon à lui de me montrer qu'il est déçu de mon attitude. Je ne mens pas, je ne sais vraiment pas.

Je voudrais lui faire plaisir mais tout ce dont je me souviens, c'est la panique, totale. J'ai honte de vouloir le satisfaire et je lui en veux de m'avoir rendu ainsi. Bien que ce ne soit pas sa faute.

What a wicked game to play
Quel jeu pervers de jouer
To make me feel this way
A me mettre dans cet état


« Tu sais que l'instance a lieu dans trois jours ? » Je secoue la tête. Je n'avais pas oublié, juste mis de côté dans un coin de mon cerveau. Si on est le huit... Oui, trois jours.

« Je... je m'en souviens maintenant, dis-je tentant de lui complaire. » Je me sens misérable et heureux à la fois d'être en sa présence, qu'il me regarde, qu'il me parle.

Ce soir, quand les lumières artificielles s'éteindront, je sais que ma main descendra le long de mon corps parce que je rêverais de lui.

Je ne peux rêver que de lui. Oh, j'ai bien essayé de penser à d'autres visages, d'autres corps. Mais ça finit toujours de la même manière. Sa voix qui dit mon nom et je viens quand il m'appelle. Je sais bien que ce n'est pas sain. Rien chez moi ne l'est.

Il me sourit et tend la main vers moi, la pose à quelques centimètres de ma jambe. J'ai peur. J'ai envie. J'ai mal.

« Rappelle-moi, ça fait combien de temps qu'on travaille ensemble tous les deux ? demande le Doc.

—Deux ans...

—Et trois mois. »

Je ne peux m'empêcher de tenter de tendre mon corps vers lui. Si par inadvertance, je le touchais, que se passerait-il ? Mes rêves seraient encore plus emplis de lui.

Que ferait-il ? Oh non, je sais ce qu'il ferait... Il me demanderait ce que je ressens. Et je ne veux pas le dire.

« Verve, tu peux me dire pourquoi tu essaies de tout foutre en l'air, manifestement ? Tu es à deux doigts de la... d'un lieu plus confortable... Où tu seras vraiment soigné. »

Il est fâché, je le vois. Mince, je lâche mes épaules pour enrouler mes bras autour de mes genoux. Je bande. Il est fâché contre moi et je suis excité. Parce que là, je suis le centre de son attention.

Toutes mes envies, tous mes rêves, me conduisent à ça... à lui. J'enfonce ma tête dans mes genoux.

« Chhh..., fait-il. Tout va bien. Je ne t'en veux pas. »

What a wicked thing to do
Quelle chose perverse
To make me dream of you
De me faire rêver de toi

« Ecoute, d'abord, tu vas aller prendre une douche, proposa le Doc doucement. Et ensuite, on s'installera tous les deux. Tu sais que je peux demander quelque chose à manger de spécial ? Après tout, c'est ton anniversaire. »

Je n'arrive pas à savoir s'il se moque de moi ou non. Il se lève du lit et récupère la petite table qui me sert de bureau, de table pour manger et la remets debout. Elle est noircie à plusieurs endroits et un pied a brûlé plus que les autres car elle est désormais bancale.

« Je veux des chips et des cornichons sucrés, dis-je, les lèvres contre mes genoux.

—Je ne t'ai pas entendu. » Menteur.

Je prends une inspiration et je lève la tête. L'espace d'un instant, il y a quelque chose dans son regard et puis ça disparaît. Est-ce qu'il s'efforce de surmonter le dégoût que je lui inspire ? De me faire croire qu'il est là pour moi alors qu'il ne fait que son travail ?

« Je veux des chips et des cornichons sucrés, répète-je.

—Ce ne me paraît pas très équilibré, je peux y ajouter un steak et quelques légumes ? » Je hoche la tête.

Je me lève et je laisse tomber mes vêtements à terre. Je n'ai pas d'intimité ici, pas de pudeur. Je ne savais pas vraiment ce que c'était avant non plus, je crois. Mais l'hygiène, si. Et c'est de ça dont j'ai honte.

Le Doc passe le regard sur mon sexe bandé et le détourne. Bien sûr qu'il le détourne. Quel boulot de merde ! doit-il se dire chaque jour. De supporter les délires d'une engeance extraterrestre, de voir ce monstre prendre son pied en pensant à lui. Écœurant, ça doit juste être écœurant.

Non, il n'a jamais dû ressentir le moindre sentiment pour moi. Évidemment qu'il n'a jamais dû en ressentir.

J'ai lu ce que les gens pensent de moi. Mais lui ne le dira pas, ne le montrera pas.

What a wicked thing to say
Quelle chose perverse de dire
You never felt that way
Que tu ne t'es jamais senti ainsi

A force de me malmener mentalement, mon excitation retombe. Je sors nu et cette fois-ci, il me regarde.

« Il y a des vêtements propres là, dit-il en désignant mon lit. Et ton repas est arrivé. » Il soulève le couvercle de l'assiette pour me montrer ce qu'elle contient. Je suis beaucoup plus intéressé par le pot de cornichons et le paquet de chips que j'attrape.

Avant même d'enfiler le pantalon et le tee-shirt, j'ai ouvert le paquet de chips pour m'en fourrer une poignée dans la bouche.

La fourmi ouvrière me traite de 'sauvage' parce que je fais toujours ça. Quand j'ai un aliment que j'aime, je le mets presque en entier dans ma bouche, d'envie.

« Verve, habille-toi. » J'avale encore quelque chips et frotte mes mains pleines de sel. J'obéis. Ils doivent être étonnés, derrière les caméras de voir que me parler normalement me fait obtempérer. J'ai toujours été le plus docile de tous mes condisciples. Voilà pourquoi j'ai été la parfaite arme.

« Bien. Maintenant, on peut parler, commence le doc alors que je grignote mon pot de cornichon sans le partager. »

Et il me repose les mêmes questions ad nauseam. Et je n'ai toujours pas les réponses. La seule chose que je sais. C'est que je rêverais de lui, encore.

What a wicked thing to do
Quelle chose perverse
To make me dream of you
De me faire rêver de toi

C'est le grand jour. L'audience a lieu aujourd'hui. Ils pourraient, ils me tueraient comme un chien. S'ils ne le font pas et si j'ai droit à un transfert aujourd'hui, c'est qu'une loi est passée, interdisant de condamner quelqu'un pour ses pouvoirs.

Plus encore, les parents des enfants-soldats, des sacrifiés comme ils disent, se sont montés en collectif pour nous faire reconnaître comme victimes de guerre nous aussi. Voilà pourquoi je vais quitter ma prison. Oh, je ne peux bien sûr pas être libre, non. Ils vont s'assurer que la dangerosité que je présente pour moi-même et pour les autres me maintienne loin du monde.

Je ne peux pas leur donner tort en vérité.

Je voyage donc à l'arrière d'une camionnette, entouré du Doc et de trois gardes, en direction du tribunal. Bien insuffisant si je décide d'utiliser mes pouvoirs. Seulement, mes mains sont bloquées dans ces immenses gantelets de métal réfrigérés à l'azote liquide. Je dois forcer rien que pour ne pas sentir la morsure du froid. Je déteste ces trucs. Cela fait déjà cinq heures que je les porte. Je ne suis pas épuisé, je suis profondément énervé.

« On peut s'arrêter, j'ai besoin de pisser, dis-je. »

Le Doc tourna la tête vers moi mais les gardes ne le firent pas, continuant leur protocole de surveillance.

« Ça peut pas attendre encore un peu ?

—Non. Désolé. »

Il fait un geste qui est transmis au chauffeur. Au bout de quelques minutes, la camionnette s'arrête. Je voulus me lever mais la main d'un des gardes sur mon épaule me fit rasseoir violemment.

« Tu sors quand on te le dit, cracha-t-il.

—Ok. Et tu viendras me la tenir ?

—Verve ! » Je réagis mal aux agressions, je me sens obligé d'y répondre. La porte arrière s'ouvre, deux gardes sont devant, me visant. Celui qui m'a malmené descend devant moi.

« Allez, dépêche-toi. »

Le soleil m'aveugle quelques instants. Je ne bouge plus.

« Tu pourras le voir après aujourd'hui, me dit le Doc en se postant juste à côté de moi. » Je le regarde. Il ne sait pas ce qu'il vient de me dire.

And, I don't want to fall in love
Et, je ne veux pas tomber amoureux
No, I don't want to fall in love
Non je ne veux pas tomber amoureux
With you
De toi

Je voudrais le soleil, c'est beau, c'est chaud. Dans l'espace, tout était froid et parfois, nous pouvions voir les rayons effleurer la surface des murs. Dans ma cellule, il fait chaud. Mais je ne peux qu'imaginer les faisceaux lumineux, jamais les voir jouer.

Je voudrais le soleil.

Et pourtant, je choisis autre chose. Je ne veux pas mais je le fais. Dans ma tête, il y a eu ce petit bruit qui me dit que tout s'enclenche.

« On peut m'enlever ça ? dis-je en agitant mes mains.

—Ok, en position, cinq minutes, pas plus, avant qu'il ne retrouve ces pouvoirs, vous ouvrez le feu sans sommation dès que vous voyez la moindre étincelle.

—On se calme, soldat, c'est moi qui donne l'ordre de tirer, corrige le Doc. » Mes mains sont déjà bleues quand ils m'ôtent les gantelets. Mais il me faudra bien moins de cinq minutes. Deux peut-être.

Je plie mes doigts avec difficulté. Je fais quelques pas.

« Tu bouges pas.

—J'vais pas vous pisser sur les godasses. Même si c'est pas l'envie qui m'en manque. » Je m'approche du bord de la route. Tout est là, le soleil, la vue, un horizon, des montagnes... La chance... la dernière chance. De ne plus me sentir amoureux de lui.

Mes mains sont trop gelées pour produire autre chose que des petits grésillements invisibles autour de moi. Je fais semblant de déboutonner mon pantalon avant de sauter par-dessus le rail de sécurité et de déraper dans la descente.

« VEERRRRVE ! Ne tirez pas ! Ne tirez pas, putain ! » J'entends quand même quelques balles siffler. Je roule sur moi et je m'arrête sur un petit promontoire rocheux. L'à-pic est nettement plus impressionnant vu d'ici.

Je me relève, seulement égratigné. Quand je jette un œil derrière moi, je vois le doc descendre précautionneusement pour venir à ma rencontre. Pas un soldat, non, lui.

« Verve, wow, calme..., me dit-il. » Je regarde en bas, prêt à basculer. Mes mains produisent désormais ce qui s'apparentait à des étincelles qui s'envolent dans l'air.

« Qu'est-ce que tu fais, Verve ? demande-t-il en finissant par n'être qu'à un mètre de moi. Tu allais changer d'endroit, tu allais...

—Je veux pas vous quitter... » Je me sens vaciller sous la révélation, à deux doigts de tomber.

« Je suis là, Verve, je suis avec toi. » Il prend sa voix rassurante, si adulte, si détaché.

« Je vais t'aider...

—Non ! Je veux pas vous quitter. Je m'en fiche d'être enfermé dans cette chambre si... »

J'avais récupéré suffisamment de puissance pour que des flammèches se dégagent de mon corps. Le Doc lève le bras pour empêcher les gardes de tirer et hausse la voix.

« Je gère ! Vous baissez vos armes ! »

Mes pouvoirs se manifestent de plus en plus fort. Le feu fait un mouvement circulaire autour de mes pieds. Comme des tourbillons de vent. Je m'attends d'une minute à l'autre à prendre une balle dans la tête.

« Je ne veux pas vous quitter, m'écrie-je encore. Je veux rester avec vous... »

World was on fire
Le monde était en feu
No one could save me but you
Personne d'autre que toi ne pouvait me sauver
Strange what desire
C'est étrange ce que le désir
Make foolish people do
Fait faire aux insensés

I never dreamed that I'd need somebody like you
Je n'avais jamais rêvé que j'aurai besoin de quelqu'un comme toi
I never dreamed that I'd lose somebody like you
Je n'avais jamais rêvé que je perdrais quelqu'un comme toi

« Je ne peux pas m'approcher de toi quand tu es comme ça, tu en as conscience ? » Je lâche un soupir et mes jambes flanchent.

Je vais juste basculer et tout sera fini. Je l'aurais fait si le Doc ne m'avait pas attrapé la main au mépris du danger.

Par reflexe, à son contact, mon pouvoir disparait, je ne veux pas le blesser. Et je sens cet être humain, cette chaleur sous mes doigts, une première depuis des années.

Il me ramène contre lui et me serre fort. Je hoquète, je pleure tellement c'est étrange et déconcertant d'avoir une autre personne contre soi. J'en ai tant rêvé.

« Je ne te quitte pas, Verve. Je te suis là où tu vas. Ne t'inquiète pas.

—Quoi ? Pourquoi ? » Il éloigne sa tête pour me regarder.

« C'est comme ça, je suis mon patient. »

Il prend mes joues entre ses mains.

« Maintenant, écoute-moi bien, Verve. Nous allons remonter tranquillement, tu vas remettre les gants et nous irons à l'audience. Et je te promets, je serais là avec toi à l'hôpital et je t'aiderais à aller mieux. Tu m'as entendu ? Tu es d'accord ? »

Je repose mon front sur son épaule. Je n'avais pas vu qu'il était aussi grand, un peu plus que moi.

« Verve ?

—Je... Je... Je ne veux pas. »

Now I don't wanna fall in love
Maintenant, je ne veux pas tomber amoureux
No I...
Non, Je...
No I...
Non, Je...

« Qu'est-ce que tu ne veux pas ? »

Je ne peux pas répondre. Je ne veux pas mais c'est déjà trop tard, je le sais, je le sens. Je n'avais même pas besoin de son corps contre le mien pour le savoir.

Une minute, encore une minute, quelques secondes contre lui. En haut, les soldats s'impatientent.

« Verve, maintenant, on y va. »

Il m'éloigne, je hoche la tête et j'entreprends de remonter la pente. Aucune main ne se tend pour m'aider à parcourir les derniers centimètres et à me hisser sur la route.

Juste des armes braquées sur ma tête. Et des yeux narquois de voir le monstre pleurer.

Je vis le reste de la journée dans un état de détachement, comme spectateur. Je sais que l'on me demande de témoigner et je le fais. Ils m'appellent Mickaël et j'y réponds. J'exprime mes remords, je raconte comment ça se passait dans le grand vaisseau, les maigres souvenirs qu'il me reste.

J'écoute l'exposé du Doc sur mon état mental. J'accepte de prendre des médicaments pour aller mieux.

Je repars dans la camionnette, les mains libres mais l'esprit embrumé par l'injection que l'on m'a fait pour me transporter. Elle ne durera pas, rien ne dure dans mes veines.

Quand les portes s'ouvrent à nouveau, c'est sur une gigantesque bâtisse blanche au milieu des montagnes.

Un soldat me pousse dehors, je trébuche et me rétablis. J'avance en levant la tête vers les étoiles. Là-haut, il y a encore ce grand vaisseau, la seule maison que j'ai connue. Avec ma cellule. Et le champ de bataille.

« Et ben, Doc, vous devez pas être mécontent d'en être débarrassé, du monstre, commente un garde. » Je me tourne mais je n'arrive pas à voir ses yeux derrière le reflet de ses lunettes.

Et puis de toute façon, quelle importance...

Nobody... loves no one...
Personne... n'aime personne...

Dans mon cœur, je crois que je reconnais cette sensation, je n'en suis pas sûr mais je jurerai qu'elle m'est familière et qu'elle a un nom. Mais j'ai toujours du mal à mettre des mots sur mes émotions. Et personne ne le fera plus à ma place.

Bonsoir, voilà un one-shot en réponse au concours de @MademoiselleOr Donner vie à une chanson sur Wattpad.
Alors, je dis one-shot mais je pourrais avoir des idées de développement par la suite. J'ai fait une incursion dans la SF mais clairement, ça ne va pas forcément être le point central de l'histoire. Bref, pour l'instant, prenez- le comme un Os et si jamais vous trouvez le pitch intéressant, n'hésitez pas à me le dire.
Merci à vous.

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