La dislocation tectonique de rupture sans déplacement visible

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« Dites-moi Merlin, pourquoi le chat blanc a-t-il dit qu’il saluerait sa mère de la part de Roland ?

– Voyons, disciple, c’était une façon de le congédier ! »

***

Arrivé à l’ancien temple en ruine, Mir prit la tête du ka-tet et se dirigea vers une trémie située derrière la statue de Bastet. Tous descendirent l’escalier, et furent surpris par le confort apparent des diverses pièces dont Mir ouvrait les portes, toutes munies de chatières, en avançant dans le couloir comme s’il était le maître des lieux.

« Tu es déjà venu ici ?

– Oui, Silaid, lors de ma dernière exploration, j’ai visité ce temple de fond en comb… En l’absence de combles, je dirais… minutieusement. »

Une pensée effleura la conscience de Roland, « il se comporte comme s’il était chez lui », puis s’effaça, aussitôt oubliée. Roland, comme les autres membres du ka-tet, sentit sa fatigue disparaître, sa faim se calmer. Il remarqua que les colonnes vertébrales de ses compagnons se redressaient. Il entendit leurs respirations s’apaiser, il vit leurs traits se détendre (à l’exception des ceux de Silaid, continuellement masquée). De nouveau, une idée se cristallisa, avant de se dissoudre dans le néant : « le temple s’occupe de nous revigorer ». Le sous-sol leur procurait une fraîcheur bienvenue. Sans cesse intrigant, Mir resta seul un long moment dans une pièce où un feu dansait joyeusement. Puis il rejoignit Shirley et Nibs pour des ébats toujours aussi bruyants. Kay, elle avait accaparé le jeune Gaël, qui n’avait rien demandé, pour le déniaiser. Kay, qui savait être tendre et câline, s’acquitta avec plaisir de la tâche que Mir lui avait discrètement confiée. Gaël de son côté rouge comme une pivoine avait bien mollement protesté, avant de succomber aux douces promesses susurrées à son oreille, puis aux baisers… Il s’estimait maintenant le plus heureux homme que la planète eut jamais porté.

Silaid et Roland discutèrent toute la nuit. Elle lui avoua que, hormis l’apprentissage de ce que l’on éprouve face à quelqu’un dont on ne voit pas le visage, elle l’avait également recherché, parce qu’elle avait ouï dire qu’il collectait les récits, dans le but de les conserver et de les diffuser. Roland enregistra à l’aide du study-pad l’histoire de Silaid et celle de ses parents. Il posa, enfin, l’artefact sur la carte de l’empire, puis sur le recueil dans lequel elle avait transcrit, les contes que sa mère avait narrés à son père pendant mille et une nuits afin d’éviter la décapitation. Au milieu de la nuit, ils virent Mir qui se dirigeait vers l’escalier. « Je vais inspecter les environs », leur lança-t-il. Plongés dans leur discussion et habitués à ses escapades, ils se contentèrent d’acquiescer. Deux heures plus tard, ils purent entendre au loin deux félins se défier. À l’intensité et au volume, des feulements d’intimidation, les animaux devaient être énormes. Lorsque les cris cessèrent, à un demi-mille les échos d’un carnage parmi les canards-zombies résonnèrent. Par la suite, ce furent des vocalises d’accouplement qui retentirent dans la forêt.

À six heures, tous étaient debout dans une forme resplendissante, y compris Silaid et Roland qui n’avaient pas dormi une minute. Ils étaient réunis devant le temple et Roland avait commencé à souffler dans l’oo’lu quand Mir se joignit à eux. La dislocation n’était qu’à quatre heures et demie de marche, ils se mirent en route, Silaid et Mir restèrent en arrière-garde pour vérifier que tous les monstres suivaient. Arrivés auprès de la déchirure, maintenant large de plus de soixante toises, ils trouvèrent le pont de singe rompu. Immédiatement, Roland cessa de jouer.

« Les passerelles sont toutes dans cet état depuis l’agrandissement de la cassure.

– Tu es sûr, Nibs ?

– Oui Roland, elles ont cédé lors de l’élargissement. Auparavant, en réparer une était déjà une opération complexe, demandant à l’aide de cordes de réunir les deux parties d’un même côté afin de les réassembler, puis de la retendre des deux rives. Mais depuis, il faut, pour chacune, en plus des cordages acheminer des planches supplémentaires. Ces opérations n’ont pas encore commencé.

– Ho ! Ho ! Serions-nous coincés ? lança Mir, qui arrivait avec Silaid.

– Oui, et si les zombies surviennent nous allons être en très mauvaise posture, fit remarquer Shirley.

– Mais Silaid est une magicienne, alors elle va nous sortir de là n’est-ce pas, avança Mir.

– Comment sais-tu cela, toi ?

– Je t’ai entendu le dire à Roland au poney fringant.

– Mais tu n’étais pas à l’auberge, tu ne t’es joint à nous qu’à la taverne, répliqua ce dernier.

– J’étais bien présent, même si vous ne m’avez pas remarqué, mais nous sommes pressés. Alors, Silaid utilise ta magie !

– Je suis certaine de ne pas pouvoir nous emmener tous sur l’autre côté, mais je peux essayer de reconstituer le pont. »

Silaid se concentra, marmonna un charme ; les deux tronçons, qui pendaient de chaque lèvre de la faille, s’élevèrent à l’horizontale, Silaid murmura de nouvelles incantations, les fils composant les torons crûrent telles des vrilles, enlaçant les planches qui apparaissaient, les incorporant dans le tablier. Les filins se rejoignirent, ils fusionnèrent avec leurs vis-à-vis. En quelques minutes, la passerelle fut réparée.

« Je me dévoue, comme je suis le plus lourd, si je passe, vous pourrez tous me suivre », déclara Mir en avançant sur le pont. Il le franchit sans autres soucis que le balancement inhérent à ce genre d’ouvrage. Ils le parcoururent un par un, à l’exception de Gaël qui vint au secours de Kay qui s’était immobilisée au milieu. Quelques-uns des canards-zombies, qui s’étaient égaillés, arrivaient par la piste ; au moment où Roland, qui fermait la marche, traversait. Silaid, de deux coups de cimeterre, rompit les attaches du pont qui alla s’écraser contre la paroi opposée de la dislocation.

Roland se remit à jouer, des palmipèdes dentus commencèrent à choir dans le gouffre.

Roland souffla dans l’oo’lu pendant des heures, des zombies tombèrent pendant des heures.

Une heure après la chute du dernier canard, Roland cessa d’interpréter l’abattoir.

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