Boy meets girl

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Lorsque la femme fit son apparition, je compris immédiatement que c’était elle que j’attendais. L’arme qui pendait à son côté fut la première chose que je remarquai. Puis je découvris de longues jambes et un fessier de gazelle, des hanches pas trop larges, une taille mince, une petite poitrine haut placée, de fins bras musclés et un cou gracile. Mon regard s’immobilisa sur la voilette écarlate qui masquait son visage… aussi bien que ma capuche camouflait le mien.

Elle inspecta les lieux, manifestement à la recherche de quelque chose, ou quelqu’un. Lorsque sa tête s’arrêta orientée dans ma direction, je réalisais qu’il s’agissait de moi. Que se passait-il aujourd’hui ? Elle, aussi, devinait ma présence. Alors qu’elle prenait une chaise, je demandais au shaed de dissiper l’ombre qui me dissimulait.

Alors que nous échangions quelques mots, je perçus un incident singulier. Je lançai un coup de sonde. Aucune réponse. Étrange, pourtant je ne me trompe pas. À cet instant, le chat descendit du giron de Gaël, se frotta contre la jambe de l’inconnue avant de regagner les genoux qu’il venait de quitter. La femme ne broncha pas le moins du monde. Ce qui s’était passé était suffisamment insolite pour que je décide de le garder pour moi.

Mon interlocutrice retourna la chaise, et s’assit à califourchon.

Merde une cavalière, ça commence mal.

Elle porta la main à son côté droit vers la fente d’une poche passepoilée dont elle sortit un tube d’argent, long de huit pouces pour un diamètre d’un grain d’orge, qu’elle posa devant elle. Comme le patron arrivait avec les deux hypocras, elle extirpa une bourse de son sarouel, elle en tira avec dextérité une pièce de billon. Elle la lança d’une pichenette à l’aubergiste qui l’attrapa au vol d’un geste assuré en retournant s’installer à la table de ses trois autres clients. Bien que je ne les visse pas, je fus certain que les yeux de mon « invitée » ne m’avaient pas quitté une seconde. Je notai que sa main droite restait en permanence en retrait, ne se trouvant jamais entre la gauche et la poignée du cimeterre qui, malgré une damasquine d’une beauté exceptionnelle, n’étais pas qu’un objet décoratif. Pourquoi faut-il toujours que les femmes que le Ka place sur ma route envisagent de devoir m’embrocher ?

« Mon nom est Silaid ! dit-elle suffisamment fort pour être entendue de tous.

– Pfff…

– …

– Co… comment ?

– … Je laisse toujours de dix à quinze secondes à mes interlocuteurs pour qu’ils assimilent l’information... qu’ils s’amusent en leur for intérieur, avec des plaisanteries fines du style : “Je suis si laide que je suis obligée de cacher mon visage !”

– N…

– Ne protestez pas, il m’est indifférent que ce soit votre cas ou non… Et cela permet aux plus vifs d’esprit d’éviter de me demander pourquoi je porte mon voile, ou si je vais l’enlever.

– On me nomme Roland.

– Roland, si vous oubliiez votre bo, j’oublierai mon cimeterre, afin que nous puissions discuter sereinement en dégustant nos hypocras.

– D’accord, mais ce n’est pas un bo, c’est un oo’lu… un instrument de musique un peu particulier. Que ne puis-je lire dans tes yeux pour évaluer ta sincérité ? Mais bon, la réciproque est vraie. »

Nous nous levâmes, j’adossai l’oo’lu, à portée de main, contre le mur situé derrière moi, elle fit pivoter son siège. Avec une synchronisation digne d’un ballet, nous nous assîmes face à face, ripâmes nos chaises, posâmes nos avant-bras sur la table, prîmes nos gobelets. Je brandis le mien.

« À votre santé ! Oups ! j’ai failli dire “ma belle”.

– À la vôtre, Roland ! »

Silaid ramassa le tube, appuyant de l’index sur le côté d’une extrémité, elle actionna une astucieuse articulation implantée à moins de deux doigts du bout, afin d’obtenir un angle d’environ quatre-vingt-dix degrés. Elle introduisit la partie la plus longue dans son gobelet, et glissa l’autre avec aisance derrière la voilette sans même l’effleurer. J’admirai l’ingéniosité de l’instrument et la compétence de l’orfèvre qui l’avait fabriqué. Sachant qu’elle avait remarqué mon intérêt, je l’imitai en buvant une gorgée, puis l’interrogeai.

« Pourquoi souhaitez-vous cheminer à mon côté ?

– Au cours de ma pérégrination en ces contrées, à plusieurs reprises j’ai entendu des gens dire à mon sujet : “C’est aussi perturbant qu’être face à Roland”. Bien que ces mots ne soient pas destinés à mes oreilles, ils éveillèrent en moi le désir de vivre une expérience exceptionnelle : apprendre, en étant dans une situation comparable à la leur, ce qu’éprouvent les autres envers mon absence de visage. Je me suis donc mis à votre recherche. Oh ! évidemment, je suis consciente que ma particularité influencera ma perception, mais j’espère progresser dans la compréhension du malaise que certains ressentent à ma vue.

– Et pourquoi marcherais-je au vôtre ?

– Pour la même raison, ne sommes-nous pas similaires ? »

Je ne sus si elle devina le sourire qu’elle ne pouvait distinguer, lorsque je lui donnais mon accord. Mais j’entendis le sien quand désignant l’objet, elle précisa, « je l’ai conçu en observant un brin de paille. »

Sans le moindre doute, le Ka m’a placé sur la route de Silaid.

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