Chapitre 4

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Audrey

À l’intérieur, l’atmosphère est chaude et calfeutrée. Des sofas, des divans, des filles aux jambes interminables… L’ambiance particulière me met immédiatement mal-à-l’aise. Je suis mon ex jusqu’au comptoir où un employé nous accueille chaleureusement. Enfin, il accueille surtout Chris, en fait.

- Mec ! Mais quelle bonne surprise, ça me fait plaisir de te voir ! Tu nous as ramené ta copine ? s’extasie l’homme en roulant des yeux gourmands dans ma direction.

Chris dépose deux billets sur la table et gratifie le type d’un clin d’œil, avant de pénétrer dans une seconde salle. Hommes et femmes aux tenues légères discutent en sirotant des cocktails, certains s’embrassent, d’autres se… Heu. Mais on est où ?! Il faut quelques secondes à mon collègue pour se rendre compte que je suis restée plantée au milieu de la pièce, estomaquée.

- C’est quoi, ça ?! je m’informe lorsqu’il arrive à ma hauteur.

Il affiche une moue embêtée et se contente de soupirer.

- Notre meilleur refuge pour le moment.

Oh, mais si tu crois que botter en touche suffira, mon coco…

- Tu… fréquentes ce genre d’endroits ?

- Fréquentais.

Je me sens bête, tout à coup. Très bête. Sexy comme il est, je me doutais qu’il en avait connues d’autres, mais… La femme fatale en moi se fane. Il a dû me trouver tellement coincée !

- Audrey, je …

Sa phrase reste en suspens. Une blonde canonissime, dont la combi transparente ne laisse aucune place à l’imagination, s’approche. Elle passe les bras autour de son cou, un sourire éblouissant sur les lèvres. La luxure en personne.

- Ça fait une éternité, toi.

Et ce ton mielleux… Il lui rend son sourire et la déshabille -si tant est qu’il y ait vraiment quelque chose à dévêtir- du regard, puis sans faire cas de ma présence, ils s’embrassent passionnément. Je m’étouffe à moitié. Chris ne se dégage pas, bien au contraire. Si j’avais encore un doute sur le fait que c’était bien fini entre nous, il vient d’être balayé. La jalousie me mord le cœur et les larmes me montent aux yeux. Reprends-toi Audrey, vous avez des bandits aux trousses. Punaise, je les avais presque oubliés. Mon ex-copain finit par décoller son corps de celui d’Aphrodite et me fait signe de le suivre. Je dois tirer une tête bizarre puisqu’il se sent obligé de se justifier :

- C’est un club échangiste. Repousser les gens est la meilleure façon de se faire remarquer...

Je hausse les épaules, espérant paraître détachée. Les quatre minutes qui se sont écoulées depuis notre arrivée ont suffit à rouvrir la blessure que j’essaye de panser depuis deux semaines... Je savais bien qu’il ne fallait pas que je m’attache à lui. Trop beau, trop intelligent, trop trop… Du moins, trop pour moi. Les filles du labo ne comprenaient pas ce qu’il me trouvait, m’assuraient que ça ne durerait pas. Elles avaient raison, en trois mois, c’était plié. Larguée du jour au lendemain, sans explication. En même temps, s’il aime ce genre de libertines...

Chris

Je préfère ne pas imaginer ce que pense Audrey. L’emmener ici était loin d’être l’idée du siècle, mais si cela peut nous éviter de tomber aux mains de ces types… D’après mes souvenirs, la prochaine pièce possède une sortie qui donne sur l’arrière-cour, en cas de besoin. Un sourire traverse mon visage : je n’aurais jamais cru que connaitre le plan de La Corde à Sauter me serait utile. Je jette un oeil et referme la porte.

- Mince, c’est occupé.

- Et ?

- Je voulais cette chambre.

Elle hausse un sourcil avant de rétorquer, railleuse :

- Je vois que Monsieur a ses petites préférences.

Qu’est-ce que je disais ! Je suis sûr qu’elle me prend pour un satyriasique infidèle.

- Non, mais une salle à deux issues peut toujours être utile.

- Oh…

Elle se radoucit, puis ajoute d’une voix pensive :

- Sauf s’ils en profitent pour entrer par là.

Ah oui. J’y avais pas pensé.

Dans le couloir, les habitués déambulent sans se soucier de nous. La température, les corps dénudés, le velours des sofas… Tout invite à la débauche et je dois me concentrer pour ne pas me laisser distraire. Mes doigts rédigent rapidement un message à Camille qui surveille l’entrée : s’il doit choisir, je veux qu’il protège Audrey en priorité. Très chevaleresque, Chris. Je secoue la tête. Si je commence à discutailler avec mon moi intérieur, on n’a pas fini. La réponse de mon garde du corps ne se fait pas attendre.

« J’ai été mandaté pour assurer ta sécurité, pas la sienne. »

« Je m’en sortirai avec le cristal, elle, elle ne pourra pas s’échapper. »

Je ne suis pas certain de l’avoir convaincu. Jusqu’à maintenant nous avons appliqué la procédure d’urgence : moi en voiture, lui à moto pour me couvrir si nécessaire ; mais ma demande dépasse le cadre de ses fonctions.

La porte de la chambre s’ouvre au moment où je jette mon dévolu sur une autre. Deux magnifiques métisses en sortent, accompagnées d’un homme à moitié nu. Audrey les salue d’un sourire et entre sans attendre.

- Il n’y a pas de verrou ?

- Non, chacun est libre de venir « participer ».

Elle agite ses boucles rousses en soupirant, puis retire le collier.

- Je crois que ça t’appartient.

Je sors un cristal identique de ma poche et le lui tends.

- Merci. Garde celui-ci, c’est une reproduction. On ne sait jamais… Je voudrais aussi qu’on échange nos téléphones.

Elle avise le cellulaire qui a remplacé mon smartphone dernier cri.

- Je gagne pas au change, souffle-t-elle dans un petit rire.

Effectivement, l’appareil a approximativement l’âge de Mathusalem. Appels, texto et c’est tout.

- Plus difficile à géolocaliser. Si tu as besoin d’aide, appuies longuement sur le 2. Camille te répondra.

Elle fait la moue. Je pourrais presque lire « C’est qui celle-là ? » en grosses lettres sur son front… mais il y a plus urgent.

- Tu sais utiliser un pistolet ?

Audrey blêmit. Jusqu’à maintenant, elle avait l’air de tenir le choc mais je crains soudain le contrecoup. Les yeux écarquillés, elle prend plusieurs secondes avant de s’exclamer :

- Non, et je ne compte pas apprendre, encore moins m’en servir !

Intonations suraiguës : craquage imminent. Je ne l’ai jamais vue aussi pâle. Sa lèvre inférieure tremble, et un instant, j’ai peur qu’elle s’évanouisse. Sa détresse me serre le cœur. De toutes mes forces, j’essaye de contenir les sentiments qui se réveillent en moi.

Ne pas perdre le peu de contrôle qu’il me reste.

Audrey

J’ai une peur bleue des armes. J’ai une peur bleue de la violence. Je ne suis même pas capable de regarder James Bond sans fermer les yeux, et il veut que je me serve d’un flingue ? La tension accumulée me submerge d’un coup. Tout mon corps s’agite en un immense frisson, mes dents s’entrechoquent. Erreur 404.

- Audrey…

Le murmure de Chris déclenche mes larmes. Il paraît tellement sincère ! Je sais pertinemment que son attitude ne signifie rien, ni son regard profond qui me sonde, ni ses doigts qui essuient mes joues. Rien. Mais j’ai beau lutter, l’inquiétude dans ses prunelles me transperce le cœur.

Il m’attire contre lui et je me laisse enlacer. Envoutée par son odeur réconfortante, entre ses bras rassurant, je me laisse bercer par l’illusion que rien ne peut m’arriver. Le portable vibre dans ma poche, encore et encore, mais noyée dans cet océan de douceur, peu m’importe.

- Je suis désolé, Audrey. T’impliquer était tout ce que je voulais éviter…

Avec cet air peiné, je lui pardonnerais tout sans la moindre hésitation. Peu à peu, mes neurones se reconnectent.

- Mais s’il vaut si cher, pourquoi tu ne revends pas le cristal ? Au moins, tu… on serait en sécurité. Et riches, en plus.

Un sourire triste traverse son visage.

- Le problème c’est que ce n’est pas l’argent qui motive ces gens.

- C’est quoi alors ?

- Cette pierre possède des propriétés… particulières.

Mais encore ? Devant mon air interloqué, il complète.

- Comme celle de déplacer la matière.

Vlan. La porte s’ouvre à la volée.

- Là !

Le hurlement de l’homme qui vient de pénétrer dans la pièce me terrifie. Chris me repousse brutalement contre le mur, juste derrière le baldaquin, de sorte que les intrus ne puissent pas me voir. Lui s’assied sur le lit, dos à eux, face à moi. Ses mains se lèvent dans un geste lent. « Cours » L’ordre silencieux sur ses lèvres est clair, mais mes jambes refusent d’obéir. Il clôt ses paupières une longue seconde, suppliant. Audrey ! Bon sang, je n’y arrive pas, je ne peux pas bouger ! Leurs pas approchent.

Tétanisée.

« COURS ! » Cette fois, Chris a hurlé. Le bruit me sort de ma torpeur. Je m’élance vers l’issue de secours, et je fuis.

Survivre.

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