Chapitre 3

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Chris

Audrey fait la tête, c’est flagrant : elle n’a pas pipé mot depuis dix minutes. Il faut dire que je n’ai pas été très… diplomate, mais le temps pressait, pas moyen de faire autrement. Je m’engouffre sur le périphérique qui, par miracle, n’est pas embouteillé ce soir. Avec la proximité du cristal, mon mal de tête poind de nouveau et ma vision se trouble. À ce rythme là, je vais causer un accident, surtout que je ne connais pas le chemin.

- Guide-moi jusqu’au ministère de l’Intérieur.

Contre toute attente, ma voisine s’exécute sans broncher et lance une application GPS. Son mutisme me pèse. Peut-être devrais-je commencer par m’excuser ? Non, ça n’a aucun sens. Pas après l’avoir quittée par texto puis ignorée royalement. Son parfum aux agrumes chatouille mon odorat, sa jupe retroussée dévoile le bas de ses cuisses. L’envie de les caresser surgit et mon deuxième cerveau prend le pas sur le premier. Putain ! Pourquoi les roues ont tourné toutes seules ?! Je rétablis in extermis la trajectoire, sentant Audrey se crisper à côté de moi.

- Tu es sûr que t’as ton permis ?! s’étrangle-t-elle.

- C’est pas ma faute si la voiture n’en fait qu’à sa tête !

Mon attention est focalisée sur la route, mais je devine qu’elle lève les yeux au ciel. La tension redescend lentement dans l’habitacle, avant qu’Audrey ne se décide à m’interroger d’un ton acerbe. À croire que la perspective d’un accident a délié sa langue.

- Tu comptes m’expliquer, ou le fait que tu possèdes une arme doit suffire à ce que j’accède à tes moindres volontés ?

Je grimace imperceptiblement. Moins elle en saura, mieux ce sera… Cependant sa curiosité est légitime.

- La pierre que tu portes autour du cou est un cristal de jadéite. Je l’ai découvert il y a quelques semaines, au cours d’une excursion pour mes recherches.

- Et alors ?

- Il s’avère que des gens peu fréquentables le… convoitent. Et maintenant, que tu l’as exhibé au congrès, tu es autant en danger que moi.

La Peugeot noire derrière moi m’inquiète, j’ai la désagréable impression qu’elle me suit. J’appuie sur l’accélérateur tout en observant le comportement de l’autre véhicule, qui m’imite. Le flou devant mes yeux s’accentue, je maitrise de moins en moins notre direction.

- Pourquoi le désirent-ils ? me relance-t-elle d’une petite voix.

Changement de file. Le conducteur de la voiture met son clignotant du même côté et je serre les dents. Il n’y a plus de doute possible.

- Dans la boite à gants, il y a un pistolet et un portable. Prends les deux.

J’entrevois ses épaules qui s’affaissent et un rapide coup d’œil me confirme qu’elle est anormalement pâle.

« Audrey ! »

Elle attrape enfin les objets à l’instant où le mobile vibre. Camille. Je cale le portable contre mon oreille.

- Vous êtes suivis, m’annonce mon interlocuteur.

- Je suis au courant.

- Tu penses pouvoir les semer ?

Il en a de bonnes, lui ! Aucune envie de mourir encastré dans la tôle de ma titine.

- Je suis géologue pas pilote de courses, et je tiens à mes points ! Sans compter que je suis pas en forme…

À son silence, je déduis qu’il envisage les différentes options qui s’offrent à nous.

- Tu aurais dû accepter la protection rapprochée, lâche-t-il après quelques secondes.

Sans blague… Merci de me le rappeler. Je lui rétorque, amer :

- Je sais, tu me le répètes à longueur de journée. Et sinon, une solution ? Parce que je doute qu’on arrive au ministère.

- Rejoignez le commissariat le plus proche. Il se situe à…

- Chris…, m’interpelle doucement Audrey. Chris, on a un problème.

Juste un ? Ses traits anxieux me persuadent de l’écouter.

- Tu as crevé.

Effectivement, un voyant rouge vient d’apparaître sur le tableau de bord. Merde. Il est suivi par un second.

Et un troisième.

Nous échangeons un regard entendu. Trois pneus sur quatre à plat, cela n’a rien d’accidentel. Je comprends mieux que la voiture zigzague !

- Camille, il va falloir qu’on sorte maintenant. Je contrôle à peine le volant, c’est trop dangereux…

C’est le moment que choisissent nos poursuivants pour accélérer. Tant pis. J’invoque ma bonne étoile et braque, rejoignant in-extremis la bretelle de sortie sous les klaxons paniqués d’une Twingo. Au hasard, je prends à droite puis à gauche, grille un premier feu rouge et pile au second.

« On y va ! ».

À mon grand soulagement, Audrey réagit et s’engage en courant dans la rue. J’agrippe sa main, il faut aller plus vite où il ne mettront pas longtemps à nous retrouver.

Audrey

Un point de côté lacère mon flanc et je halète, en nage. Je n’ai jamais été sportive et ces derniers jours, consacrés à engloutir des Häagen-Dazs, ne doivent pas aider... La jupe et les chaussures non plus. Chris n’a pas dû le prendre en compte : il me tire de plus belle au moindre ralentissement, mais je ne tiendrai pas indéfiniment ! Est-ce qu’il sait où on va au moins ? J’ose une œillade derrière moi : personne.

- On… les a… semés…, non ? je prononce à bout de souffle.

- Mets ton énergie dans tes jambes au lieu de parler !

Oh ce qu’il me saoule ! C’est quand même lui qui a déniché ce foutu caillou, non ? Bon, c’est moi qui l’ai ramassé ensuite, mais… Un crissement de pneus remet mes sens en alerte. Chris aussi s’est tendu. Il s’arrête brutalement et m’ordonne de marcher normalement, ce que j’accepte volontiers. Autour de nous, tout semble calme, presque mort. La nuit est tombée, les passants se font rares et seuls quelques bruits de moteurs déchirent le silence. Je n’ai pas la moindre idée d’où nous nous trouvons.

- On va entrer là.

De la tête, Chris me désigne une porte couverte de graffitis. Au-dessus trône l’inscription « La corde à sauter, Club privé ». Le choix du nom me laisse perplexe, mais je ne me fais pas prier. De toute façon, ça ne pourra pas être pire que poursuivre ce marathon dans cette ruelle glauque.

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