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Les jours suivants, j’eus peu accès au laboratoire : le sujet était accaparé par les linguistes et les éthologues. Quelques archéologues vinrent se joindre à cette équipe, également. Mais nous, physiciens et exobiologistes, fûmes priés d’attendre les tentatives faites par ces spécialistes pour entrer en communication avec le spécimen. Vous n’êtes pas sans savoir que ces essais se révélèrent peu concluants. Le sujet refusa de communiquer. Il ne dit pas un mot, pas un seul, jamais.

— Il ne parle pas, statua le commissaire scientifique en guise de conclusion à tous les rapports qui lui furent envoyés.

Alors, on nous libéra la scène.

Vous savez tous ce qui se déroula ensuite. Vous avez lu les rapports. Stripe fut l’objet d'examens divers, allant du plus invasif au plus bénin, et, étrangement, il s'y prêta de bonne grâce. Nous pouvions l’opérer à cœur ouvert sans qu’il ne réagisse, c’était surréel. En revanche, lorsqu’il s’agissait de toucher à son système reproductif, c’était impossible de l’approcher. Pour cela, il fallait l’endormir. Nous sommes parvenus à le faire une fois – une seule – en le prenant par surprise. Mais découvrir ce que nous avions fait, à son réveil, le plongea dans une rage vindicative et froide. Et après avoir détruit l’androïde qui tenta de le contraindre, il ne se laissa plus approcher pendant deux semaines, temps solarien.

Ce fut difficile de regagner sa confiance. Il ne se laissait pas amadouer par des améliorations de confort et supportait stoïquement les tentatives de Vatel pour le faire plier, sans qu’elles n’eussent jamais le moindre aboutissement. Chaque petit résultat obtenu était une victoire. Il nous donnait ce qui lui coûtait peu, mais refusait tout le reste. La communication, notamment. Et pourtant, il nous observait. Souvent, mes yeux se prenaient dans le faisceau de feu liquide de son regard. On croyait apprendre de lui, mais c’était lui qui le faisait. Il nous étudiait. Il nous écoutait, l’air de rien, le dos tourné pour se dérober à notre œil inquisiteur, mais l’oreille dressée, attentive.

Il apprenait notre langue. J’en étais persuadée.

Bien sûr, personne ne me prit au sérieux. Pour les autres, Stripe était une créature terrible et magnifique, mais cela restait un exomorphe. Ils faisaient l’erreur de lui prêter une mentalité bestiale et primaire. Seul Tanikaze écoutait mes mises en garde et mes réclamations, qui devenaient de plus en plus nombreuses. Lui aussi avait des scrupules à traiter de cette manière un être aussi noble et ancien que l’était ce spécimen. Mais nous ne pouvions rien dire ni faire. Nous avions des ordres. Nous en avons tous, n’est-ce pas ?

Alors que les analyses se poursuivaient, j’ai continué assidument à me renseigner sur les ældiens à partir du corpus succinct que nous fournissait le réseau. Il y avait quelques éléments de leur vocabulaire dans les recoins poussiéreux du Crypterium, que j’ai étudié. Pour pas grand-chose, car comment reconstituer une langue à partir de fragments ? Je suis tout de même tombée sur un document très ancien qui faisait état d’un protocole antique pour communiquer avec eux, remontant bien avant l’envol de l’humanité dans l’espace. Et pourtant, à la lecture, j'eus l’impression que les savants de cette époque reculée en savaient, quelque part, bien plus que nous. Eux, ils auraient sans doute pu communiquer avec Stripe.

Ce document était une sorte de manuel de codes instruisant l’art et la manière de faire venir ces entités dans la réalité basique, à une époque où l’on ignorait tout de la relativité et des plans dimensionnels, ne faisant que spéculer de leur existence. Certains textes se référaient à d’obscures formules de salutation – un sabir incompréhensible, selon Tanikaze, une sorte de latin de cuisine mâtiné de langues plus antiques encore – servant aux invocateurs à accueillir les ældiens lorsqu’ils consentaient à répondre à leurs appels. C’étaient des mots féroces et gutturaux, qui chantaient la nuit et les ténèbres. Les vestiges d’une époque où l’Homme craignait l’invisible qui le cernait, collé à ce feu qu’il venait à peine d’apprendre à allumer. Un temps où l’obscurité était vivante, peuplée d’une horde aussi affamée que menaçante. J’ai tenté de la retenir, cette liturgie d’un autre âge ; en partie, du moins. Et lorsqu’on a disséqué Stripe le jour suivant, je m’en suis servi pour m’excuser. À voix basse, subrepticement. De nouveau, son regard miroitant a croisé le mien. C’était vraiment les seuls moments où j’avais l’impression qu’il reconnaissait notre existence. À partir de là, quand il n’y avait personne, j’ouvrais les microphones et je parlais au spécimen. Je testais les codes sur lui. Je ne pense pas avoir réussi à bien les prononcer. De toute façon, il est probable qu’ils furent mal retranscrits. C’était peut-être de simples élucubrations, sorties des cerveaux frustes et superstitieux de nos ancêtres. Je ne sais pas. Stripe réagissait, parfois. Lorsque je me heurtais à ce regard pur et sauvage comme un soleil, j’estimais que l’expérience était satisfaisante. C’était la première fois que je prenais de tels risques, que j’osais quelque chose.

Comme vous le savez, cela ne fut pas suffisant. Aucun des efforts de l’équipe de paléolinguistique et d’exoéthologie ne portant ses fruits, il fut décidé en haut lieu de mettre un terme au programme. Si on m’avait laissé un peu plus de temps… Oui, je pense que j’aurais pu obtenir quelque chose. Un résultat, même petit. Avec Tanikaze, cela aurait sans doute été possible. Les derniers jours, j’avais réussi à l’intéresser au manuel de codes antique, et il s’était attelé à le déchiffrer. Mais nous avons manqué de temps. On nous demandait des solutions. Les ordres. Toujours les ordres. L’obligation de rendement, de résultats immédiats.

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