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On m’a raconté que ma thèse sur la physiologie nekomate joua un rôle déterminant dans ma sélection. Je n’y crois qu’à moitié. Ce travail peu original et terminé trop tard est sorti dans l’indifférence la plus totale. Manquant de réseau, je ne trouvais pas de poste après ma certification. Le Centre Galactique de la Recherche Scientifique me recala trois fois de suite. Je n’ai jamais obtenu de crédits pour les continuer. J’y avais d’ailleurs mis un terme définitif lorsque le commissaire scientifique de l’Holos me contacta. J’occupais alors un poste précaire d’analyste sur la colonie TLA204, obtenu grâce à un coup de pouce salvateur de mon directeur de thèse, mais qui n’allait pas me mener bien loin. Bien entendu, j’acceptai tout de suite l’offre gouvernementale. Sans être dupe. On ne vient pas vous chercher dans votre petit placard, sur une colonie excentrée au fin fond de la galaxie, sans avoir une idée bien précise derrière la tête. Le CGRS n’est pas une entreprise de philanthropie. Le SVGARD non plus.

J’arrivai sur Kybos Prime le quatorzième jour du onzième mois luni-solaire de l’année 366841, pour mener à bien une mission sur laquelle on ne m'avait pas dit pas un mot. J’étais consciente de son caractère confidentiel, puisque c’est un agent du SVGARD qui m’escorta jusqu’au laboratoire. À mes questions nombreuses et sûrement indiscrètes, on répondit simplement que mon rôle serait d’expertiser une nouvelle espèce d’organisme exomorphe, à partir d’un unique spécimen extrait d’un satellite éloigné lors d’une mission exploratoire. Et aussi, éventuellement, de subvenir à ses besoins et à sa survie. On ne me dit rien de la finalité réelle de cette mission, ou des hypothèses posées et des découvertes déjà obtenues. On m’annonça également que j’allais toucher le strict minimum, mais que mon nom figurerait sur une plaque commémorative au panthéon des grands scientifiques, sur Arkonna.

C’est le docteur Vatel, que je connaissais déjà – cet homme a fait partie du jury m’ayant recalée lors du dernier concours d’entrée du CGRS – qui lâcha le mot lorsque je fus présentée à l’équipe de recherche.

— Ældien. Il s’agit d’un ældien, Lair. Felipethecus trollius majoris. Ils viennent de nous le livrer.

Puis :

— Tu vois ? Je t’avais dit que ton jour viendrait. C’est moi qui t’ai recommandée au commissaire scientifique pilotant ce projet.

Le docteur Vatel avait l’air très satisfait de me faire cette révélation. À croire que c’était lui qui avait excavé la créature de sa strate géologique, sur ce caillou où on l’avait trouvée. Cependant, j’ai tout de suite compris que ma position d’électron libre m’avait valu cette nomination, plus que ma valeur scientifique. Mes travaux sur la physiologie nekomate n'avaient été qu’un prétexte. Bien évidemment : si on met de côté l’appellation vernaculaire – et parfaitement impropre – de « chat-singe » et la présence d’un appendice caudal, les ældiens n’ont strictement rien en commun avec les nekomats. Non, ce que le CGRS voulait réellement, c’est un exobiologiste situé en dehors des structures institutionnelles et des grands consortiums privés, quelqu’un qui n’a rien à perdre et tout à gagner. Quelqu’un de facile à contrôler et à enterrer, le cas échéant. Vatel, qui m’avait bien connue à l’époque, donna tout de suite mon nom.

Les membres de l’équipe de recherche étaient loin de m’être inconnus. J’avais, au moins, vu leur nom quelque part, passer dans les listes de publications scientifiques, de nominations sur des postes prestigieux. Et parmi tous ces savants éminents se trouvait le docteur Taito Tanikaze.

Comme Vatel, Tanikaze était un ancien de la haute école d’ingénierie biologique républicaine de Fongs. Lui et moi sommes issus de la même promotion. Contrairement à Vatel, dont je n’ai jamais compris l’ascension fulgurante, Tanikaze possédait une véritable caution scientifique. lI a toujours été quelqu’un de brillant et a mérité cette carrière qui fut la sienne. Je l’enviais, bien sûr, car il a toujours osé travailler sur ce qui l’intéressait, alors que je me cantonnais pour ma part à un sujet archi rebattu, produisant ainsi une thèse sans originalité. Tanikaze, lui, parvint à imposer à son directeur de recherche les études ældiennes. C’est cela – nous le savons tous – qui lui valut son poste juste après la certification, lorsque ces derniers passèrent de thème folklorique abandonné par les archéologues à objet d’étude de premier plan. Les ældiens m’ont toujours secrètement passionné, mais je n’ai pas osé revendiquer ce goût qui passait à l’époque pour fantasque et peu sérieux. Tanikaze, si. Comme le dit un proverbe auquel on attribue une origine ældienne, justement, aux coeurs de feu les mains pleines.

J’étais consciente de tout cela. Du danger à accepter une mission totalement pilotée par l’Holos et encadrée par le SVGARD, du fait que j’étais loin d’être attendue, du peu de bénéfices à tirer de cette entreprise. Mais pour moi, le spécimen justifiait cette prise de risque. Lorsque je l’aperçus enfin, tout prit son sens.

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