Le futur

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Craig et Abby restèrent dans les bras l'un de l'autre un long moment. Elle pleurait comme une gamine. Il essayait de la calmer. Lui-même ne se sentait pas très bien. Ce devait donc être très dur pour Abby, pensa-t-il. Elle finit par arrêter de pleurer. Lentement, Craig relâcha son étreinte. Elle fit quelques pas en arrière en s'essuyant discrètement les yeux. Craig la trouva très attendrissante.

— Abby, je...

— Taisez-vous. Ne me faites plus jamais un coup pareil, fit-elle en reniflant.

— Je suis désolé.

— Vous m'avez sauvée.

— Non, je vous ai mise en danger, Abby ! Et j'en suis vraiment désolé. Je n'aurai jamais dû vous emmener ici.

Abby ne répondit pas, trop occupée à sécher ses larmes. Craig ne savait plus trop quoi lui dire. Alors, il se tut. Il la regarda faire quelques pas dans le couloir. Il porta ensuite son attention sur le néandertalien qui gisait au sol, la poitrine défoncée et baignant dans une mare de sang. Abby le tira de ses pensées.

— Le futur ? Vous faisiez allusion à ce nom qui figurait sur le tableau ? Homo futurus ?

— Lui-même.

— Mais comment est-ce possible ?

— L'ingénierie génétique, Abby, tout simplement.

— Mais je croyais que cela permettait seulement de remonter le temps ?

— Le temps n'est qu'un axe. Dans les algorithmes de reconstruction, ce n'est qu'un paramètre. On peut le faire défiler dans un sens comme dans un autre.

— Vous voulez dire que l'on peut en faire des algorithmes de prédiction ?

— Bien sûr. De toute façon, une simple étude de la morphologie humaine permet de dégager des tendances évolutives. Il n'y a plus qu'à les mettre en œuvre. C'est, par ailleurs, un bon moyen de tester l'efficacité des algorithmes : s'ils correspondent aux observations et tendances morphologiques, cela veut dire qu'ils sont au point.

— Et ils le sont ?

— Je n'ai pas vu Homo futurus. Mais vu comment ces algorithmes ont réussi à recréer Néandertal, je ne vois pas de raisons d'en douter.

— Vous pensez que Komarov est allé jusque-là ?

— J'en suis sûr.

Homo futurus serait donc ici, quelque part dans ce labo ?

— Si les Fils de Dieu ne l'ont pas embarqué, oui.

— Et où serait-il ?

— Avec les autres.

Abby réfléchit un court instant. Les autres Homo ? Ils étaient ici, dans ce couloir, derrière les portes blindées.

— Il est ici, souffla-t-elle.

— Oui. Ici même.

Abby se retourna. Il y avait tellement de portes dans ce couloir. Et derrière chacune d'elles, un Homo. Abby fit quelques pas, essayant d'ignorer le néandertalien qui gisait dans son propre sang. Craig vint à ses côtés. Ils longèrent le mur jusqu'au fond du couloir. Arrivés devant la dernière porte blindée, ils virent l'inscription en lettres capitales :

 H. FUTURUS

Derrière la petite vitre carrée, Abby ne distinguait rien d'autre que l'obscurité. Avec, peut-être, une vague lumière verdâtre.

— On y est, fit Craig.

— Que va-t-on voir derrière cette porte ?

— L'avenir de l'Homme, fit Craig en abaissant la poignée.

Abby entra la première. Elle vit une vague lueur verdâtre au fond de la pièce puis les néons s'allumèrent en tressautant. Ils étaient dans une grande salle.

Le sol était trempé et plein de débris transparents.

Face à eux, il y avait trois gigantesques cylindres faits d'une matière qui aurait pu être du plexiglas. Deux tubes avaient explosé. Le troisième était intact. Et, dedans, il y avait cette... chose.

C'était abject.

Abby s'approcha pour mieux distinguer la créature, nue, qui semblait flotter dans un étrange liquide parcouru de petites bulles de gaz virevoltant dans une lueur verdâtre.

L'humanoïde était proprement gigantesque. Abby se demanda un instant si c'était parce que le tube était surélevé ou bien si c'était dû à un effet grossissant du plexiglas, mais la créature semblait véritablement immense. Les jambes étaient fines, tout comme les bras et l'abdomen. Le torse était un peu plus bombé, mais surtout il était surmonté d'une tête absolument répugnante. Le crâne était chauve et hypertrophié, recouvert d'étranges circonvolutions.

Le visage de la créature était en partie caché derrière un appareil respiratoire qui bullait dans le liquide, mais Abby pouvait aisément distinguer la mâchoire, minuscule, qui semblait avoir été encastrée dans le crâne à la va-vite.

Et puis, il y avait les yeux.

Ce regard, démentiel.

Derrière le masque du respirateur, la créature agitait deux énormes yeux globuleux, fichés dans de gigantesques orbites. Abby se concentra et essaya de déceler quelque conscience dans le regard de la créature.

Mais il n'y avait rien.

Les yeux étaient comme injectés de sang, les pupilles dilatées, agités par des spasmes incontrôlables, parfaitement erratiques.

C'était proprement surréaliste. Abby se demanda un instant dans quel mauvais film de science-fiction elle se trouvait.

Mais c'était réel.

Cette créature répugnante était le futur de l'espèce humaine.

Soudain, les yeux de la bête cessèrent de tressauter. Les pupilles se contractèrent, et la créature regarda Abby droit dans les yeux. Ce fut plus qu'elle n'en put soutenir. Elle détourna le regard.

Craig inspecta les tubes éclatés. Il remarqua des traces de sang sur les bords du plexiglas brisé.

— Ils les ont emmenés ? s'enquit Abby.

— Oui. Ils ont explosé les tubes, puis ils en ont extrait les corps.

— Il y a donc des gens là, dehors, qui se trimballent avec deux Homo futurus dans la nature ?

— J'en ai bien peur.

— Ils sont encore en vie ?

— Comment le saurais-je ? Si Komarov les a fait mettre dans ces tubes de liquide physiologique, ce n'est sûrement pas pour rien. Peut-être sont-ils très fragiles ? Très sensibles ? Qui sait ?

— Ca correspond bien aux tendances morphologiques dont vous parliez?

— Oui : grande taille, cerveau et yeux hypertrophiés, corps frêle et imberbe, face aplatie, mâchoire atrophiée. Ca correspond.

— C'est horrible.

— Oui. C'est notre avenir.

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