Sibirsk

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Ravie de son petit effet auprès de son chef, Abby arpentait les rues de Moscou avec un immense sourire. Elle avait certes un peu exagéré la situation en utilisant le mot « torture », mais l'essentiel était là : elle avait obtenu une rallonge de temps et même le remboursement de sa petite visite mortuaire.

C'était bien plus qu'elle n'aurait osé espérer.

Abby se mit en route pour la seconde étape de sa journée : les Sini Bojé. Elle s'y rendit d'un rapide coup de métro. Arrivée sur place, elle avait cherché à rencontrer un responsable, un dirigeant, n'importe qui d'intéressant, mais il n’y avait personne. Personne d’autre que ce satané conférencier et son public.

Résignée, Abby assista pour la seconde fois en moins de vingt-quatre heures à cette bouffonnade antiévolutionniste. La première partie fut l’occasion de vérifier les dires d’Ivan : le conférencier s’attaqua en effet à l’astrophysique et au moment cinétique soi-disant unique du couple Terre-Lune. Lorsque la partie qu’Abby avait déjà subie commença, elle fut soudain prise d’un désespérant élan de fatigue.

Contrainte et forcée, elle subit la suite des événements, mourant d’envie d’interrompre le conférencier pour lui répéter ce qu’Ivan lui avait appris la nuit dernière. Mais tout cela n’aurait servi à rien. Ce pauvre type était probablement réellement convaincu de la véracité de ses dires. Discuter n’aurait servi à rien. Abby, elle-même, n’était pas prête à changer de position sur le sujet. Et elle détestait les dialogues de sourds au plus haut point.

Elle attendit donc patiemment la fin de l’exposé. Lequel finit tout de même par arriver, avec ses grotesques empreintes de dinosaures mêlées à de douteuses empreintes pré-humaines. Puis elle attendit, dans le brouhaha de l’assistance en train de se relever, si une quelconque personne semblait sortir du lot et aurait pu s’avérer être un responsable de toutes ces fumeuses activités.

— Pas convaincue, hmm ? dit soudain une voix en anglais, sortant Abby de ses pensées.

Elle se tourna sur sa gauche. Un jeune homme en costume noir la regardait en souriant.

— Pardon ? fit-elle.

— Vous n’êtes pas convaincue ?

— Eh bien, j’avoue avoir douté à un moment. Ce type est très fort, mais… non. C’est trop gros, fit-elle, décidant de jouer un minimum le jeu.

— Et pourrais-je savoir ce qui est trop… gros, au juste ? fit l’homme, soudain mystérieux.

— Les empreintes, souffla-t-elle avec un sourire.

— Ah ! Oui. Bien sûr. Les dinosaures, lâcha-t-il avec un petit rire. Je lui avais pourtant bien dit que personne n’avalerait ces histoires.

Abby ne dit mot, étonnée de rencontrer ici quelqu’un qui ne soit pas partisan de la thèse du « complot ». Les locaux des Sini Bojé n’étaient-ils pas censés être le lieu où la théorie évolutionniste serait battue en brèche ?

— Permettez-moi de me présenter, reprit l'homme, l’air charmeur. Mon nom est Tchelomeï Sibirsk. Chargé de la Communication des Fils de Dieu.

Abby n’en revenait pas. Elle était en train de se demander ce que ce type était en train de lui raconter. Les Sini Bojé n’étaient-ils pas censés adhérer aux antiévolutionnistes ?

— Abigail Lockart, Moscow Times, fit-elle en tendant la main, presque mécaniquement.

— Un problème, madame Lockart ? demanda Tchelomeï Sibirsk, l’air inquiet.

— Non… C’est juste que… que faites-vous, déjà ? fit-elle, l’air perdu.

— Je suis chargé de la communication.

— Je vois. Mais alors quelle est votre position sur le sujet ? Je croyais que les Sini Bojé étaient justement…, disons…, religieux, forcément, mais encore ? Par rapport à la théorie de l’Evolution ?

Abby se sentit ridicule. Elle essaya de poursuivre.

— Et si vous pensez que cette histoire de dinosaures est fausse, pourquoi dans ce cas accueillir cette conférence ? J’avoue que je ne saisis pas bien.

Tchelomeï Sibirsk resta silencieux un long moment, dévisageant la jeune femme qui lui faisait face. Abby ne se laissa pas déconcentrer. Elle retrouva au contraire toute son assurance. Puis Sibirsk se leva soudainement, passa derrière la rangée de sièges puis s’engagea vers la sortie de l’amphithéâtre.

— Suivez-moi ! lança-t-il par-dessus son épaule.

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