Bania

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Craig était assis, en train de suffoquer.

Péniblement, il essaya de respirer, mais l’air était si chaud qu’il eut les poumons brûlés. Il resta ainsi quelques instants encore, suant à grosses gouttes, avant de se décider enfin à se lever et se mit à courir à toute allure vers les marches de l’escalier. Un flux d’air brûlant l’enveloppa alors et, l'espace d'un court instant, il eut véritablement l'impression qu'il allait s'enflammer et finir brûlé vivant. Il dévala en ahanant l'escalier en bois, se rua en hurlant vers la sortie de la salle, enfonça la porte d'un grand coup de pied et, tout nu, se jeta dans la piscine de glaçons. Le froid le saisit avec une telle violence qu’il crut s’évanouir.

Craig remonta à la surface, au milieu des glaçons tourbillonnant, savourant cette sensation si intense et si pure provoquée par le choc thermique.

L’air humide saturé du bania avoisinait les cent degrés, tandis que l’eau pulsée de la piscine était à un degré au-dessous de zéro. Presque sur le point de défaillir, Craig repensa aux techniques occidentales équivalentes : le sauna, certes chaud, mais sec. Le hammam, humide, mais tiède.

Des trucs de tarlouze, se dit-il.

Le système russe, le bania, était, lui, brûlant et saturé d’humidité, procurant une sensation de chaleur proprement infernale.

Il nagea vers l’échelle et ressortit de l’eau avec la grâce toute pataude donc relative d'un éléphant de mer blessé, poussant un cri qui eût aisément pu passer pour celui d'un furet étouffé, peinant à reprendre sa respiration. La morsure du froid était si intense que tout son corps irradiait une douleur indéfinissable, mais finalement terriblement agréable. Il avait la délicieuse impression que tout son corps était traversé par un million d'épingles qui allaient et venaient sous sa peau rougie comme s'il était tombé dans une friteuse industrielle.

Il se précipita dans un bassin chauffé à cinquante degrés dans lequel il s’allongea, poussant un long râle de satisfaction. C'est alors qu'il se rendit compte, avec amusement, qu'il ne savait même plus s'il était transi de froid ou bien s'il était brûlant.

A la réflexion, c'était peut-être bien les deux.

Il aurait pu se passer un pied au chalumeau et plonger une main dans de l'azote liquide, il n'aurait eu ni chaud ni froid.

Le bania était une bénédiction des Dieux. Dans un pays comme la Russie, le bania avait même été élevé au rang d'institution. Plus que ça, c'était quasiment un moyen de survie. Craig repensa à certains travailleurs des contrées sibériennes reculées et il se dit que, après avoir trimé toute une journée à fendre du bois par moins cinquante degrés, se taper un bon bania le soir après une bonne soupe de gras, c'était peut-être le seul et unique moyen de se faire un petit peu plaisir, de retrouver foi en l'humanité au sens large et de trouver le courage et l'envie de continuer à vivre. Oui, le bania était vraiment un outil de remise en forme et une machine à sensations proprement miraculeuse.

Et puis, comble du bonheur, dans quelques minutes, il irait boire une immense bière bien fraîche au bar en mangeant de l’esturgeon cru avec du citron et beaucoup de sel. Il finirait par une bonne vodka cul sec agrémentée d'une grosse poignée de neige. Puis il retournerait cuire dans le bania comme dans un four et se ferait fouetter avec un bonheur coupable, mais non dissimulé par un camarade russe avec de belles branches de sapin de Sibérie. Léthargique, il repensa à sa journée.

Craig était en train de se remémorer cette si jolie femme qui était venue l’interviewer lorsque Mikhaïl Komarov vint s’installer à côté de lui dans le bain brûlant.

Ah… Que c’est bon, fit Komarov.

— Qui a fait ça, Mikhaïl ? Qui ? demanda Craig.

Komarov fut déçu d’avoir à parler boulot. A contrecœur, il se lança dans la discussion.

— Je n’en sais rien, vraiment. Cela peut-être n’importe lequel de nos ennemis, répondit-il.

— Quels ennemis, Mikhaïl ? Tu sais bien que tout ça, c’est du flan. On est au top et on fournit tout le monde en base de données brutes. On fait notre travail et on le fait bien. Personne n’y perd.

— Il y a quelques équipes…

— Non, Mikhaïl ! Ce sont des conneries. Et tu le sais. Personne n’a sérieusement intérêt à nous planter. Si on arrête nos activités, qui pourra nous remplacer ? Personne. Et tu le sais. Alors, tu arrêtes tout de suite tes conneries et tu me le dis : qui a fait ça ?

Komarov resta interdit.

— Nathan, tu ne crois quand même pas sérieusement que je te cache quelque chose ?

— Je ne comprends pas ce qu’il se passe. Mais je suis sûr que toi, si.

— Non, Nathan, je t’assure !

Komarov parut vraiment vexé. Craig n’en avait cure. L’interrogatoire poursuivit.

— Où en est le projet CTC ? Tu ne m’as rien dit depuis longtemps.

— On progresse.

— Ah, tiens donc ! Et puis-je savoir sur qui ? coupa Craig.

— Mais... personne en particulier, Nathan ! Enfin !

— Il paraît que tu es allé en Italie, récemment. Et j’ai quelques contacts au KGB qui m’ont signalé des… « événements ».

— Quels événements ?! fit Komarov, passablement énervé.

— Tu connais la Skull Box ?

— Les restes de… !? Enfin, Nathan !

— Il paraîtrait qu’elle a été « visitée ». Je vais te faire surveiller, lâcha Craig.

— Ecoute, Nathan, je suis tout aussi réservé que toi sur ce projet.

— Non, Mikhaïl. Justement non. Mes intentions sont très claires et pas du tout réservées. Ce sont les tiennes que je ne suis plus du tout sûr de saisir. Fais très attention à ce que tu fais, Mikhaïl. Je devrais peut-être aller voir ce qu'il se passe à Daryznetzov.

Komarov resta silencieux un long moment, considérant Craig. Ce dernier demeura imperturbable.

— Le projet CTC avance, Nathan. Sur la voie que tu as choisie. Il n’y a rien d’autre. Et je te le dis tout net : tu commences à me gonfler sévèrement avec tes allusions à la con.

Mikhaïl Komarov sortit du bassin et se dirigea vers le vestiaire d’un pas aussi décidé qu’énervé. Ce connard de Craig avait réussi à lui pourrir son bania.

Et ça, ça le mettait vraiment hors de lui.

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