Deuxième voyage (7) — Sanctuaire

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Hedera helix

 J’ouvre subitement les yeux dans un soupir, mes poumons travaillent de nouveau, je peux enfin respirer. Un plafond se présente au-dessus de moi, il est fait de briques bleues et porte avec lui quelques lanternes scintillant maigrement. Où suis-je ? Ce n’est pas la maison étudiante, ai-je encore une fois changé de lieu ? Bon sang, quand prendra fin ce cauchemar ?! Je me relève avec force en constatant l’état de mon corps. Cette action ne m’affecte pas, quand bien même j’y suis allée brusquement. Je peux croire que cette faiblesse physique due à mes fuites répétées s’est envolée.

 Mon regard fait le tour des lieux, je me retrouve dans un endroit fort identique au couloir. Il s’agit d’une petite pièce ayant des murs en colonnes bleues, aux espaces comblés par du verre. Je m’approche des piédestaux constitués du même matériau que le reste du bâtiment. C’est étrange, pourquoi ces piliers ont-ils cette teinte ? Je les regarde avec attention avant de poser ma main sur l’un d’entre eux. Un froid glacial s’engouffre dans mon membre, je le retire aussitôt. Comme c’est étonnant, ces colonnes sont entièrement faites de glace !

 Je me demande quel est cet endroit. Pourquoi est-il aussi vide ? La conception me fait penser à l’académie et pourtant l’atmosphère est différente. Serait-ce une déformation de mon songe ? Possible, il faut tenir compte de chaque hypothèse. En revanche, il y a quelque chose qui me turlupine. Juste avant ma noyade, j’ai entendu une autre voix. Ce n’était pas celle au timbre monstrueux, elle était même chaleureuse. Cette douceur et ce ton rassurant me font penser à un parent parlant à son enfant. C’est agréable, surtout après un tel cauchemar.

 J’analyse une nouvelle fois les lieux et constate la présence d’un escalier ascendant. Je m’approche, poussée par la curiosité. Ces marches bleu turquoise ne laissent présager aucun sommet. Ce chemin est le seul débouchant sur la pièce, ce qui veut dire que je n’ai pas le choix de monter. Cet escalier doit être haut et raide, j’espère que son ascension est sans danger. Qui sait ? Peut-être que le paysage changera une fois que je serais au sommet.

 J’entame prudemment ma montée en posant mes pieds sur chacune des marches. Après cette longue ascension, mon corps se retrouve dans un couloir, comprenant une architecture identique à celle de la pièce. Le seul chemin continue vers ma droite, les lumières éclairent maigrement le bâtiment, empêchant mon regard d’analyser l’horizon. Je déglutis, ce bâtiment m'effraie par son silence. Tout est si calme, aucun son ne vient perturber la trace de mon passage. Qu’est-ce qui m’attends au bout de ce couloir ? Quel est le message caché au creux de ce songe ?

 Je prends une grande inspiration, chassant au loin mes pensées nuisibles. Je n’ai pas à avoir peur, bien que ce silence n’annonce rien de bon, je ne dois pas perdre mon calme. Ma marche reprend avec prudence le long du couloir. Par curiosité, je jette rapidement un coup d’œil aux verres entre chaque colonne. La mer est sombre, je ne perçois aucun détail. Tant mieux, de cette manière, je n’aurais aucune réminiscence, ou du moins je pense. Après tout, ce n’est qu’un songe. Les vagues du passé peuvent très bien m’y épargner.

 Je continue la traversée du couloir, tournant à gauche, à droite, une nouvelle fois à gauche, puis tout droit. Je trouve ce bâtiment extrêmement long, c’est à se demander s’il possède une fin. Ma tête pivote légèrement vers l’arrière, je ne vois que des colonnes. Impossible de se repérer avec une telle superficie, s’en est même troublant. Un soupir s’échappe de mes lèvres, je n’ai pas le choix, je dois continuer ma route.

Il était une fois, l’histoire de la Naissance…

 Je sursaute légèrement à l’apparition soudaine de cette voix. Mon regard fait le tour du couloir entourant ma position, il n’y a personne. Je n’ai pas halluciné, j’ai bien entendu quelqu’un. Je me concentre sur ma respiration légèrement saccadée, laissant un peu de temps s’écouler dans ce couloir désert. Aucun son ne refait son apparition.

 Peu importe, je dois continuer. Après tout, je n’ai pas encore atteint le bout de ce chemin. Ma marche reprend, les colonnes de glace défilent devant mes yeux. Soudainement, les lumières au plafond se mettent à clignoter.

Il s’agissait d’une formidable existence, capable de donner vie à chaque être vivant.

Sa présence permettait à un village humain de procréer, lui accordant le droit de subsister dans le temps.

Je me fige une nouvelle fois, le silence reprend possession des lieux. C’est étrange, j’ai l’impression que cette voix ne s’active que lorsque je progresse dans le couloir. Pour quelle raison ? Ces paroles semblent me raconter une histoire, cela aurait-il un rapport avec mon passé ? Ce n’est pas impossible, les vagues de réminiscence dans ce monde remontent en moi divers souvenirs. Peut-être bien que cette voix me narre un conte de mon enfance. La seule façon de clarifier ce doute est de progresser. Je reprends ma marche dans l’interminable couloir, accélérant légèrement mes pas.

Un beau jour, un homme alla se plaindre auprès de la Naissance. Il lui demanda de permettre à sa femme d’enfanter. Selon lui, cette progéniture lui donnera plus de richesse, et la gouvernance des lieux dans un futur proche.

Comme je m’y attendais, l’histoire continue. En revanche, les paroles ne me disent strictement rien. Je ne me rappelle pas avoir entendu un conte parlant d’une Naissance personnifiée. Mieux vaut rester attentive sur ce qui va suivre.

Cependant, sa compagne, dont il avait été marié de force, ne donnait pas le moindre enfant. Seule la Naissance pouvait corriger ce problème, son pouvoir pouvait facilement le permettre. À ces mots, la sollicitée se mit à rire d’un ton moqueur et lui répondit : « Je n’ai rien à t’offrir, va-t’en. ». Elle congédia l’humain qui finissait par lui rendre visite chaque jour, accompagné d’une personne supplémentaire à la moindre venue. L’homme continua sa demande qui demeurait la même, pire encore, ce souhait fut également répété par ces accompagnateurs.

Un léger étonnement me suit dans ma marche. Je pensais que cette histoire serait bien plus enfantine, et pourtant le sujet qu’elle aborde est plutôt sérieux. Les contes de mon enfance se résumaient souvent à des princes sauvant des princesses. Je me demande, pourquoi la Naissance n’a pas réalisé un souhait aussi simple pour elle ?

Plus les jours avançaient et plus la Naissance fut débordée de demandes : « Je veux un enfant ! Je veux une famille ! J’ai le droit d’enfanter ! Il faut à tout prix que l’on me donne un descendant ! ». Mais peu importe l’intensité de leurs demandes, la Naissance n’en accorda aucune. Les humains, furieux de ces refus, se mirent à mépriser leur voisine. Dans le village, les insultes s’élevaient de plus en plus haut, jusqu’à arriver aux oreilles de la concernée.

Ce dénouement était prévisible, après toutes ces plaintes, pas étonnant que ces villageois crachent leur venin sur celle qui leur refusait d’enfanter. Ces demandes partent d’une bonne intention et finissent par devenir des ordres. Malgré tout, cela n’explique pas le refus de la Naissance. À moins que, celle-ci voulait arriver à ce résultat. Cela paraît un peu gros, et surtout inutile pour la voisine du village.

 Cette histoire m’intrigue de plus en plus, il me tarde de connaître la suite. Mes pas s’accélèrent une nouvelle fois dans ce couloir sans fin.

Un jour de plus s’ajoutait au calendrier, et les villageois décidèrent d’avouer leur mécontentement à la principale intéressée : « Tu es une horrible personne ! Qu’est-ce qui ne va pas avec toi ?! À chaque fois que nous venons te voir, tu ne nous donnes rien ! Et les rares occasions où nous assistons à une naissance, ce ne sont jamais des garçons. Tu ne nous donne que des filles ! Sale radine, tu es l’avarice incarnée ! ».

Encore une fois, cette suite n’a rien d’étonnant. Néanmoins, je trouve les plaintes de ces villageois assez stupides. Il est vrai qu’auparavant, mon monde était très misogyne, et l’est sûrement encore aujourd’hui. Cependant, si ces villageois se plaignent d’obtenir le mauvais sexe, alors cela signifie que la Naissance a cédé, non ? Je peux donc en déduire que les demandes des humains ont perdues leur pureté. Je me demande ce que la voisine du village pensa de ces insultes.

À ces mots, la Naissance rit une nouvelle fois d’un ton moqueur, il y avait une raison pour laquelle elle ne donnait jamais à ces villageois les enfants qu’ils souhaitaient. Ce jour-là, elle prit une dernière fois la parole : « Ce pouvoir est le mien, je suis libre d’en faire ce que je veux. Puisque vous êtes si insistants, je vous autorise à donner naissance à l’enfant de votre choix. Cependant, je demande une compensation. Chaque couple devra s’aimer avec l’amour le plus sincère. Le fruit de cette union ne devra pas être victime des lourdes attentes de ses parents et sera accepté comme il se doit par sa famille. »

J’arrête ma marche rapide à la fin de ces paroles. Mon esprit est agréablement surpris par cette réponse, je ne m’y attendais pas. Je pensais que la Naissance ignorait les problèmes des villageois, afin d’engendrer une provocation. Ce n’est qu’un échange équitable, les humains demandent une descendance, leur voisine exige de l’amour. Et cette dernière phrase, cette condition concernant les parents me touche beaucoup. En revanche, je ne peux pas expliquer avec certitude la raison derrière ce sentiment. Comme s'il me manquait quelque chose. 

 Mes pas reprennent, je longe une nouvelle fois le couloir. Cependant, aucune voix ne se manifeste. C’est étrange, le conte se serait terminé ? Pas possible ! L’histoire ne peut pas se finir de cette manière, après tout, on ne sait pas ce qui arrive aux villageois par la suite. Que lui ont-ils répondu ? Auraient-ils suivi les exigences de leur voisine ? Ce manque de réponse est frustrant. La fin sera-t-elle joyeuse ? Ou bien…

 Je stoppe ma réflexion, mes jambes s’immobilisent. Le paysage a changé. Les verres entre les colonnes présentent une mer claire, comme si le jour s’était levé. Au-delà des vitres, j’aperçois de nombreux varechs et divers poissons. Le nombre d’être vivants est bien plus élevé que ceux à proximité de l’académie. Étrangement, ce paysage ne m’inspire aucun dégoût, je le trouve extrêmement beau.

 Mon regard quitte le verre pour se concentrer sur le couloir. Un soulagement allège ma frustration, une double porte se dresse à quelques colonnes de ma position. Enfin, je vais peut-être atteindre la fin de ce couloir ! Je cours avec légèreté et saisi les deux poignées. Mes mains les tirent avec force, dévoilant l’entièreté d’une pièce. La stupéfaction saisit mon visage avec ferveur. Cette salle présente, par ses murs vitrés, une mer belle et pleine de vie. En son centre se trouve un piédestal de glace entourés de ce qui ressemble à des coraux aux couleurs chaudes. Cependant, le détail le plus étonnant serait la personne assise sur le trône gelé.

 Il s’agit d’une jeune femme munie d’une robe extravagante aux teintes rouges et sombres. De longs cheveux gris aux nuances pêche descendent avec allégresse sur ses épaules, une mèche est écartée en queue-de-cheval sur le côté droit de son crâne. Son visage à la peau claire porte des petites tâches de rousseurs réparties au niveau du nez, tandis que ses iris de couleur mauves illuminent son regard fatigué. J’ai beau regarder cette femme sous tous les angles, je ne peux m’empêcher de la trouver sublime, malgré son apparence si particulière. Les mots disparaissent de ma bouche, je suis incapable de dire quoi que ce soit. Cette personne ne m’est pas familière, et pourtant, j’ai l’impression de connaître ce physique.

  • Tu m’auras fait attendre, dis la jeune femme en baillant.

La surprise me picore l’esprit. Cette voix est identique à celle qui me narrait le conte de la Naissance.

  • Enfin, heureusement que j’ai accéléré ta course, reprend-elle en clignant des yeux.

Je tente de répliquer sans le moindre succès. Aucun son ne sort de ma bouche, comme si mes cordes vocales étaient gelées. Je ne comprends pas, cette pièce n’est même pas froide !

  • Ce couloir était bien long, pas vrai ? continue la jeune femme. J’espère que ma narration était parfaite.

Cette voix est si douce, si rassurante. Et pourtant, je ne peux m’empêcher de paniquer. Serait-ce le stress qui bloque mes paroles ? J’ai beau forcer, donner tous les efforts du monde, aucun son ne surgit. Je voudrais lui poser des questions, je voudrais connaître son identité, la suite de ce conte et le fin mot de ce songe.

  • Après toute cette histoire, le mieux serait de te demander ton avis, dit-elle en claquant des doigts dans ma direction. Penses-tu que la Naissance… Penses-tu que je suis avare ?

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