Voyage Zéro (1) — Voyageuse

6 minutes de lecture

Salutations lecteur(rice), cette partie est une version refaite et plus courte du prologue. Si tu l'as déjà lu entièrement, pas besoin de relire celui-ci.

Hedera helix

Mes pas résonnent dans ce long couloir sombre. Un vent lugubre s’engouffre entre les planches pourries des murs. Aucune fenêtre ne décore ce vieux bâtiment. Le sol, couvert partiellement de mousse, présente d’énormes trous dans son plancher.

 Tout est si délabré, je me demande quel âge a cette bâtisse. Nulle faune ne semble s’en approcher, comme si ce lieu habritait des esprits malfaisants. Pourtant... je ne sens aucune présence, si ce n’est la lumière qui m’accompagne.

  • Hé ! Libère-moi tout de suite ! C’est la huitième fois que je te le demande !

Je tourne mon regard vers la gauche. La petite lueur qui éclaire mon chemin bouge avec frénésie autour de ma main. Cette voix est celle d'une fée aux ailes lumineuses.

  • Tu as vraiment du culot de m’attacher de la sorte ! Et en plus, tu me traînes dans cet endroit immonde ! Tu te moques de moi ou quoi ?!

Mes lèvres laissent échapper un petit soupir.


 Je savais que j’aurais dû prendre une ampoule moins bavarde. Mais bon, dans un sens, cela me fait un peu de compagnie. Et surtout, cette pipelette peut me donner de précieuses informations.

  • Je te l’ai déjà dit, tu seras libre à condition que tu me guides.
  • Il est hors de question que je te révèle quoi que ce soit ! Surtout à quelqu’un qui ose enlever, saucissonner et traiter une fée comme une vulgaire lampe !

Et c’est reparti. Dans quelques instants, cette minuscule chose entamera un monologue sur ses soi-disant origines.

  • Je suis une fée, habillée de lumière, qui plus est ! Je peux éclairer les ténèbres. Et tu crois que n’importe quelle fille aux ailes de mouche peut le faire ? Non ! Je suis de sang royal ! Autrefois mes ancêtres régnaient sur la forêt. Si seulement cet humain n’était pas venu, les villageois auraient continué à nous craindre et ainsi…

C’est la quatrième fois qu’elle me sort ce même discours, je commence à en avoir assez. Il serait temps d’avancer les choses ; le tout en s’amusant bien sûr.

  • Nous aurions pu rester les plus puissantes de la forêt, dompter les loups, capturer les enfants pour en faire des…
  • Hé ! J’ai compris tes sentiments, je ne te traiterai plus comme une lampe.

La fée arrête son monologue, des étoiles d’espoir se mettent à briller dans ses iris. Un grand sourire prend place sur son visage, la satisfaction la saisit toute entière.

 Quant à moi, je dois bien avouer que j’ai du mal à cacher ma sournoiserie. Je suis le genre de personne à être très expressive.

  • C’est vrai ? Alors tu vas me relâcher, pas vr…
  • Je devrais t’arracher les ailes, afin que tu arrêtes de bouger. Le reste de ton corps me servira de plumeau, j’ai besoin d’enlever cette poussière sur mes vêtements, dis-je avec un sourire diabolique.

La fée se fige sur place, gelée par la peur. Ses ailes, désormais immobiles, l’entraînent vers le sol. Elle se rattrape de justesse en remontant de quelques centimètres.

  • Dépêche-toi de me guider ou je te laisse moisir ici, attachée bien sûr.
  • C-Compris !

Je reprends ma marche, satisfaite de mes menaces. Dans quelques temps, j’atteindrai ma cible et je pourrai quitter ce monde.

 Voilà quelques minutes que je longe ce couloir. C’est à se demander si je ne suis pas perdue. La fée continue d'éclairer mon chemin, le dégoût se lit sur son visage. Cet endroit est vraiment si mauvais pour une créature comme elle ?

  • Qu’est-ce qui ne va pas ? demandé-je. Tu veux que je te laisse dans un coin pour vomir ?
  • Je voudrais que l’on quitte cet endroit au plus vite, oui ! Ce vieux manoir est horrible ! Un être dégoûtant l’habite.

L’étonnement me fait hausser un sourcil.

 Il était temps. Après tous ces monologues et ses plaintes incessantes, je vais enfin obtenir des informations.

  • Tu as vraiment cru que je t’avais amenée ici sans raison ?

Son visage féérique se teint brusquement de peur.

  • Tu es un démon !
  • C’est maintenant que tu le remarques ? dis-je avec un sourire narquois.

La créature se met à pleurer de désespoir. Son corps tout tremblant me suit avec faiblesse.

  Peut-être ai-je été trop dure ? Qu’importe. Une fois que ma mission sera terminée, cette lampe sur pattes pourra se plaindre autant de fois qu’elle voudra auprès de ses semblables.

  • Pourquoi une humaine voudrait-elle le trouver ? C’est un Désastre ! Une créature qui se nourrit du malheur des autres !

C’est bien, continue comme ça. Plus tu me donnes d’informations, plus vite je pourrais le trouver. En attendant, la moindre des choses est d’être honnête. Il faut à tout prix que je récupère cette bête, ma mission en dépend !

  • J’en ai besoin pour sauver l’Univers. Les malédictions saisissent les mondes, seul le Désastre peut les dévorer.

La lueur cesse de suivre ma marche. Je m'arrête, et pose un regard attentif sur la fée. Son visage se teint d’incompréhension.

 C’est fascinant de constater à quel point cette chose passe d’une émotion à une autre avec autant de facilité. J’en oublierais presque qu’il s’agit d’un monstre.

  • Je trouvais déjà étrange le fait que tu sois au courant à son propos. Mais... l’Univers ? C’est impossible ! Aucun humain n’est au courant de son existence ! Ils ne voient que leur monde d’origine, à savoir celui-ci !

Une expression sombre envahi mon regard, la lourdeur de ce ressenti bloque mes lèvres.


Actuellement, je ne peux qu’observer cette lampe en train de se poser des questions.

  • Qui es-tu réellement ? Un humain normal n’irait jamais aussi loin. Me capturer est déjà un outrage ! Chercher le Désastre est pure folie ! Obtenir la connaissance de l’Univers ? Inconcevable !

Ce n’est pas trop tôt. Je me disais bien qu’il était idiot de sa part d’ignorer mon identité. Mais, dans un sens, je comprends. Pour elle, les humains sont des êtres à la connaissance limitée, que dis-je, une source de nourriture.

 En voyageant dans ce monde, j’ai fini par comprendre une vérité. Dès mon arrivée, j’ai fréquenté un petit village à la population vieillissante. Les enfants sont majoritairement portés disparus. La cause est due à un lieu en particulier : une forêt féerique. Le boisement se situe à proximité de la commune. Les créatures qui y habitent attirent les enfants dans la nuit. Au petit matin, ils sont introuvables. Ce n’est qu’en allant dans ce territoire, que j’ai pu connaître le sort des bambins. Les fées se servent de l'imaginaire des juvéniles pour se reproduire. Remplissant leurs têtes d’œufs, les enfants meurent, la cervelle dévorée. Leur crânes présentent de nombreux trous causés par la sortie des jeunes fées.

 Pour ces créatures, un humain juvénile est source de joie, tout comme le serait pour nous une naissance. Mais les parents de la victime n’y voient qu’une tragédie, la destruction de leur famille. Je pensais sérieusement, qu’en capturant cette fée, je pourrais découvrir la nature monstrueuse des habitants de la forêt. Seulement, lorsque je constate le flot d’émotions qui jaillit de son esprit, la confusion me gagne. Comment dois-je considérer cette créature ? Un être qui se nourrit des enfants, et qui pourtant possède un libre arbitre, une culture, des sentiments. Hormis leur cycle de vie, on pourrait facilement les apparenter à des humains.

 Ceci est ma réalité. Chaque monde possède ses lois, ses harmonies, ses vérités. Moi qui viens d’une autre planète, je ne peux que constater la différence. Ce rapport entre deux espèces est divergent dans mon monde d’origine. Chez moi, les fées n’existent que dans l’imaginaire et n’en ressortent jamais.

 Cela fait un moment que cette lumière bavarde attend ma réponse. Il serait temps de mettre les choses au clair. De cette façon, elle finira par comprendre ma motivation et m’emmènera sans faute auprès du Désastre.

  • Je suis ce que l’on appelle une voyageuse. Je possède la capacité de traverser les barrières de l’espace et d'explorer les parties de l'Univers. Ma mission est d’utiliser le Désastre afin de dévorer les malédictions qui menacent l’équilibre de la vie. Pour cela, je dois le prendre avec moi.

Mon regard se concentre sur la lampe bavarde. Son expression parvient à me surprendre. Ses yeux projettent une certaine tristesse.

  • Quelle horrible mission. Faire porter un tel fardeau à une existence, c’est monstrueux. Qui plus est, tu vas devoir supporter cette bête à tes côtés.

Je rêve ou cette fée se soucie de mon sort ? Ce comportement est... perturbant. Non, ce n’est pas bon ! Il faut que je contrôle mes émotions. De nous deux, je dois être la dominante. De cette manière, aucune de mes faiblesses ne ressort, et je garde le contrôle de la situation.

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