Premier voyage (1) — Démonstrations & dissimulations

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Hedera helix

 Une douce brise nous fait face, balayant tendrement mes cheveux. Le chant des oiseaux nous accueille, picorant légèrement nos oreilles. Le ciel, si bleu, amène avec lui un soleil éblouissant. L’herbe, verte et luisante, porte avec elle d’innombrables gouttes d’eau. Des bocages s'étendent à l'horizon, bordant un seul petit village.

 Vraiment, je n’ai pas l’impression de me trouver dans un autre monde. C’est comme si j’étais retournée dans les campagnes de mon pays d’origine. La nostalgie me monte à la tête. Une sensation m’enlace l’esprit, comme si ce paysage était bel et bien le décor de mon enfance. Je me revois encore, haute comme trois pommes, courant dans les champs de blé. Et mon tuteur, cherchant péniblement ma présence entre les céréales. Cette remembrance me fait lâcher un petit rire.

 Ah, quel plaisir d’y retourner ! Cette vie rurale m’avait manqué ! Les animaux, les champs dorés, les haies bordant les terres, et enfin, l’air pur de la campagne. Quel dommage que ce dernier n'ait une maigre odeur de fraise. Je me tourne vers mon partenaire qui ne dit rien depuis tout à l’heure. Son regard est happé par la vue, je suis contente de son expression. Au bout du premier voyage, j’ai tout de même pu lui montrer un beau paysage.

  • C’est splendide, murmure-t-il.

 Je ricane de satisfaction, la fierté me monte à la tête. Le voir figé de la sorte est adorable. Dans un sens, on dirait un enfant découvrant le monde. Seulement, l’échelle ici est différente. L’Univers est bien plus vaste qu’on ne le pense. D’ailleurs, il ne possède aucune limite. Personne n’aurait la prétention de dire qu’il le connaît entièrement.

 Ma pensée s’arrête subitement, stoppée par une étrange impression. Quelque chose ne va pas. Ce paysage présente quelque chose de dérangeant, comme s’il possédait une anomalie. Mais où ? À première vue, cet horizon est magnifique. Il ne présente pas de défaut alarmant.

  • Le village, chuchote Gangrène.

Je hausse un sourcil. Mon partenaire aussi l’aurait ressenti ? C’est curieux. J’ai beau regarder les bâtisses, je ne vois rien de perturbant. D’ailleurs, je n’arrive même pas à saisir le problème.

  • Dis-moi, il y a quelque chose avec le village ?

Le regard de mon compagnon se pose sur moi, son iris noir peint d’une expression indéchiffrable.

  • C’est une malédiction. Un faible maléfice qui a su prendre de l’ampleur. Sûrement, parce qu’il avait des cibles faciles.

J’aurais dû m’en douter ! Dans un sens, ce n’est pas étonnant que Gangrène ressente facilement sa nourriture, mais ses mots ne me rassurent guère. Une panique commence à germer en moi. Il faut que nous sauvions les habitants de ce monde au plus vite !

 Un instant ! Actuellement, le corps du Désastre est un handicap olfactif. Rien ne dit que les habitants du village sauront supporter cette senteur, le contraire est même probable ! La preuve, l'odeur dégoûtait la fée dans le monde précédent.

 Pour nous, voyageurs, les liens sociaux garantissent notre travail. Je n’ai pas la capacité de mon associé à dévorer les maléfices. En revanche, ma présence consiste à faire en sorte que tout se passe bien. Afin d’atteindre la malédiction, nous devons entrer dans ce village, autrement dit un lieu peuplé. Notre rôle est de sauver l’Univers, pas de lui porter préjudice. Pour cela, la mauvaise odeur de mon partenaire doit être corrigée. Mais, comment ? Une senteur aussi horrible ne peut pas être effacée facilement.

  • Hedera ?

J’ai beau avoir du savon et un shampoing solide, ils sont inefficaces sans eau. Malheureusement, je n’ai aucune idée où en trouver. Nous sommes dans un milieu rural, il devrait y avoir un puits ou une mare à proximité. Non, pas forcément ! Ce monde-là est différent du mien. Rien ne me dit qu’un point d’eau soit présent aux alentours.

  • Hedera ? Tu m’entends ? demande Gangrène avec une pointe d’exaspération.

La surprise me fait sursauter.

  • Oui, qu’est-ce qu’il y a ?
  • J’ai trouvé quelque chose, répond le Désastre en pointant un élément à ma droite.

Mon regard se pose dans la direction indiquée. Il s’agit d’un petit bosquet, où un miroir apparaît, reflétant la lumière et quelques arbres. Mes yeux s’écarquillent. Je sprinte légèrement, tentant de vérifier mes espérances.

 Le soulagement enlève le dilemme posé sur mes épaules. Une mare se trouve au beau milieu du bosquet. La taille est suffisante pour y faire rentrer mon partenaire. Enfin ! Nous pouvons reprendre notre tâche sereinement. Il ne me reste plus qu’à laver Gangrène, et notre mission pourra débuter dans ce petit village !

 Je sors de mon sac le savon et le shampoing solide, le tout accompagné d’une éponge. Mon associé finit par me rejoindre, son doigt pointe désormais mes affaires.

  • Qu’est-ce que c’est ?
  • Du savon et du shampoing, tous deux issus de produits naturels et qui sentent bon ! Et ça, c’est une éponge !

Dans un sens, j’ai l’impression de parler à un enfant. Cependant, il faut que je prenne l’habitude. Les mondes sont différents les uns des autres, aucun ne se ressemble réellement. Cette divergence vient du fait que les inventions, l’environnement, et les personnes sont uniques pour chacun d’entre eux. Il est fort probable que les objets sortis de mon sac ne soient pas présents dans le pays d’où vient Gangrène.

  • Et ? À quoi va te servir tout cet arsenal devant une mare ?

Comme je le pensais ! Ce qui veut dire que je suis la seule à connaître l’utilité de ces objets. Maintenant que j’y pense, je pourrais en profiter pour plaisanter un peu.

 Un sourire narquois prend place sur mon visage. Heureusement que mon expression est camouflée par le masque à gaz.

  • Figure-toi qu’il s’agit d’un outil de communication mis au point pour les voyageurs !

Mon compagnon prends le shampoing solide d’une main, son œil le regarde avec insistance. Ne trouvant pas le mécanisme, ses doigts retournent l’objet dans tous les sens. Le voir galérer de la sorte à cause de sa naïveté me donne envie de rire. Cependant, je dois garder mon calme. Autant continuer la supercherie tant qu’elle tient encore debout.

  • Tu t’y prends mal. Il adopte une forme totalement anodine pour ne pas éveiller les soupçons, on ne sait jamais quel ennemi trouver dans l’Univers, après tout.
  • Oh ! C’est malin.

Génial, il a mordu à l’hameçon ! Le regard de Gangrène est posé sur moi. Je suis sûre qu’il veut savoir comment faire fonctionner cet objet. J’ai de plus en plus l’impression de voir un enfant curieux des nouvelles technologies qui s’offrent à lui.

  • Tu dois le secouer vingt fois puis t’en servir comme téléphone. Tu arriveras à contacter le réseau des voyageurs, et là, il te sera possible de laisser un message. Fais-leur savoir qu’on a trouvé une source d’eau dans un monde inconnu, ça va les intéresser à coup sûr.

 Sans attendre, le Désastre exécute mes instructions et se met à secouer l’objet en comptant jusqu’à vingt. Je bloque l’arrivée d’un pouffement de rire. Pas maintenant ! Je dois voir comment ce naïf compte communiquer avec un shampoing solide. Après avoir atteint le dernier nombre, mon il se met à parler :

  • Ici Gangrène, nous avons trouvé une mare dans un monde inconnu, terminé !

Je me mets à souffler afin de bloquer toute envie de rire. J'y crois pas ! Il est vraiment sérieux dans ce qu’il fait ! Mon partenaire colle son oreille contre le shampoing. Je pouffe de rire.

  • Vous n’avez pas eu mon message ? La communication passe mal ? Ici Gangrène !

J’éclate de rire, fière de ma plaisanterie. Le Désastre regarde dans ma direction. Il semble avoir compris la supercherie en observant mon état.

  • Quelle horrible personne. Abuser de l’ignorance des autres pour raconter des mensonges aussi stupides.

Je ne peux pas m’empêcher de ricaner. Je suis vraiment contente que mon coup ait réussi.

  • Désolée, mais c’était trop tentant. Et puis, ça te sert d’entraînement. Imagine qu’un éventuel ennemi te raconte un mensonge plus dangereux. Ta naïveté pourrait te conduire à ta perte.

Bon d’accord, cette “leçon” est surtout présente pour camoufler la stupidité de mon geste. Néanmoins, elle tient la route ! Il faut dire qu’il faut s’attendre à tout dans l’Univers. L’incertain est le pire cauchemar d’un voyageur.

  • On se demande bien qui est le plus naïf des deux, murmure-t-il.
  • Pardon ?

Je rêve ou j’ai bien entendu cette phrase ?

  • Rien. Sinon, à quoi sert réellement cet objet ?

Étrange. Si, vraiment mon partenaire voulait me faire un reproche, il n’aurait pas besoin de me le cacher. Mais bon, peu importe. Rien ne me garantis d’avoir bien entendu cette phrase. Autant répondre avec honnêteté à sa question :

  • C’est un shampoing solide, il mousse avec l’eau. On s’en sert pour se laver les cheveux. L’autre objet jaune de forme ovale est un savon, il a globalement la même utilité, mais s’applique sur le corps. L’éponge, quant à elle, permet d’enlever la crasse avec plus de facilité.

Gangrène regarde de nouveau l’objet présent dans sa main. Après quelques secondes de silence, il me répond :

  • Ce sont vraiment des objets pour se laver ? Les voyageurs ont toute une panoplie.

Et encore, je n’ai pas d’après-shampoing, de produits pour laver les zones intimes ou autres cosmétiques.

  • Crois-moi, c’est le strict nécessaire. Tu te lavais comment jusqu’à maintenant ?
  • De souvenir, on m’arrosait avec un karcher.

Mon corps se courbe d’étonnement. Je ne sais pas quelle partie de sa phrase me choque le plus. “de souvenir”, qui traduit le fait qu’il ne s’est pas lavé avant longtemps. Ah, mais j’y pense ! Cela n’a rien de surprenant, il était enfermé dans une pièce sans rien ni personne, et sa mauvaise odeur témoigne de son hygiène.

 Dans ce cas, que penser du fameux “karcher” ? Gangrène n’est pas un objet. C’est la première fois que j’entends parler d’une telle méthode de nettoyage.

  • Toujours est-il, reprend-il en ignorant ma réaction, que je ne comprends pas pourquoi tu comptes te laver à un moment pareil.

Je réponds en soupirant :

  • Ce n’est pas moi qui vais baigner dans cette mare avec ces produits, ce sera toi.

L’unique œil de mon partenaire se plisse en entendant mes paroles.

  • Inutile, mon hygiène ne regarde que moi. Autant s’occuper de la malédiction maintenant.

 Le Désastre me tourne le dos et se dirige lentement en direction du village. Au fond, ce n’est pas étonnant qu’il pense ainsi. Compte tenu de son isolement dans cette pièce et cette méthode de lavage brutale, il ne doit pas vraiment accorder de l’importance à son hygiène personnelle.

  • Notre mission échouera, si tu ne te nettoie pas.

Gangrène arrête sa marche et se tourne vers moi. Je reprends mes paroles :

  • La preuve réside sur mon propre visage. Tu es incapable de voir mes traits, et ce, pour une raison : ton odeur est un handicap. Sans ce masque à gaz, il me serait impossible d’avoir une conversation normale avec toi.

Le Désastre se rapproche de moi, plissant de manière prononcée son unique œil visible.

  • Pense aux habitants de ce monde, continué-je. Ils font face à une malédiction et ont besoin d’aide. En revanche, le seul secours que ces personnes puissent obtenir, c’est notre duo. Nous avons besoin d’informations pour atteindre la malédiction et eux ont besoin de ton pouvoir. Cependant, comment veux-tu obtenir une conversation normale avec des inconnus, si même moi, ta partenaire, ait besoin d’un objet particulier pour le faire ? Il est fort probable que ces villageois ne possèdent pas une invention pour supprimer ton odeur.

Mon compagnon ne dit rien. Son regard se pose sur moi avec insistance, je déglutis. J’ai fait de mon mieux pour lui expliquer la situation avec calme. J’espère sincèrement qu’il ne s’est pas senti vexé par mes paroles.

 J’aurais très bien pu m’énerver comme une furie et lui balancer la vérité avec brutalité. Et pour être honnête, je dois bien avouer qu’une partie de moi rêve d’envie de le faire. Seulement, je ne peux pas me le permettre. Je viens tout juste de le rencontrer. Notre lien n’est pas assez fort pour endurer une dispute. La discorde risquerait de réduire toutes les chances de sauver l’Univers des malédictions.

 Cela fait un petit moment que nous restons là, chacun à regarder l’autre sans rien dire. Actuellement, je ne peux qu’attendre la réponse de Gangrène, lui seul doit briser ce silence. Les bandelettes entourant ses mâchoires s'animent, je concentre toute mon attention sur les mots de mon partenaire.

  • Si je me lave dans cette mare avec tes objets, le problème de mon odeur sera réglé ?

Je hoche la tête.

  • Alors, reprend-il, promet moi qu’après ça, tu me montreras ton visage.

 La stupéfaction me saisit avec douceur. Je ne m’attendais pas à une telle demande.

 Qu’est-ce que je raconte ? Ce n’est pas grand-chose, c’est même une évidence. Promesse ou non, je retirerais ce masque à gaz une fois l’odeur corrigée. Mon regard se pose avec insistance sur le Désastre, je me sens un peu gênée. Néanmoins, je me dois de répondre.

  • Je te le promets.

Autant le caresser dans le sens du poil. Pour l’instant, il faut renforcer notre lien. Une fois cette étape terminée, je me sentirai tentée d’entreprendre le risque de montrer mon vrai visage.

 À l’écoute de ces mots, Gangrène saisit le savon, le shampoing solide, l’éponge et s’approche de la mare. Sa tête se tourne légèrement de mon côté, son unique œil, empli d’une expression inconnue me regarde avec insistance.

  • Qu’est-ce qu’il y a ?
  • Je vais me déshabiller, réplique-t-il d'un ton glacial. Tourne-toi et ne regardes pas.

L’étonnement me picore l’esprit, je pouffe de rire avant de tourner le dos au Désastre. Actuellement, je devrais me sentir gênée de ne pas avoir pensé à l’intimité de mon partenaire. En revanche, sa réaction m’étonne, je ne le pensais pas capable d’une telle réplique. Dans les œuvres littéraires et cinématographiques de mon pays, c’est très souvent la femme qui préserve son intimité. À écouter la phrase de mon associé, je ne peux m’empêcher de le comparer à une fille pure et timide. D’où le fait que cela me donne envie de rire.

 Maintenant que j’y pense, son apparence m’est également inconnue. Ses bandelettes recouvrent presque tout, une vraie momie. Je me demande pour quelle raison Gangrène garde tous ces bandages. D’ailleurs, je pourrais profiter du fait qu’il soit en train de se laver pour vérifier. Non, je l’imagine très bien en train de me surveiller avec insistance.

  • Au fait Hedera, comment fait-on pour se servir de tes trucs ? demande-t-il hors de mon champ de vision.

Je lâche un soupir d’exaspération. J’aurais dû m’en douter. Il ne connaît pas ces objets de base, rien d’étonnant à ce qu’il ne sache pas les utiliser.

  • Avant tout, tu te trempes entièrement dans l’eau, ton corps doit être mouillé de partout. Ensuite, tu utilises le shampoing solide. Pose-le sur tes cheveux, frotte puis, repartit la mousse, c’est très important.
  • Merci.

Le temps passe et je donne petit à petit des instructions à mon partenaire. Comment se servir du savon, sur quelles parties du corps insister, l’utilité d’une éponge. Et ce, sans me retourner une seule fois. Je ne saurais donner une mesure au temps que passe Gangrène pour se laver, en revanche, je le trouve extrêmement long. Donner des informations à l’aveuglette est assez frustrant, j’ai peur du résultat.

 Ma main droite se pose sur mon masque à gaz. Je pourrais essayer de le retirer. L’odeur ne partira pas totalement, mais elle sera en moins grande intensité. J’enlève ma garantie de survie face au parfum cadavérique du Désastre, et prends une grande inspiration. Comme je le pensais. L’horrible senteur est toujours présente, c’est dégoûtant mais supportable. Ça y est, je le ressens ! Le vent qui me fait face au visage, l’air pur de la campagne, et ce, sans odeur de fraise. Je me sens plus libre après ce geste, cet objet qui me faisait suer est désormais hors de mon visage.

  • Je pense avoir terminé, dit mon associé.
  • Tu as tout fait, exactement comme je te l’ai dit ?
  • Oui, j’ai suivi tes conseils à la lettre.
  • Très bien, je vais attendre que tu te rhabilles.

J’ouvre mon sac et y range le masque à gaz. Mon corps s’avance de quelques pas en direction du village. Le paysage me subjugue toujours autant. La vue, sans passer par l’intermédiaire des verres du masque, est bien meilleure. Même si je dois la survie de mon odorat à cet objet, je suis bien contente de m’en débarrasser ; et j’espère, à l’avenir, ne plus l’utiliser.

  • J’ai fini de me changer.

Enfin ! J’en avais assez d’attendre. Mon corps pivote vers l’arrière, et constate que l’apparence de mon partenaire est inchangée. La déception innonde mon visage, j’aurais aimé qu’il retire quelques-unes de ses bandelettes. Quel gâchis d’utiliser ces bandages sales après s’être lavé si durement. Dès que j’en aurais l’occasion, je lui fournirais de nouveaux vêtements.

 De son côté, Gangrène ne dit rien. Il reste figé sur place en regardant avec insistance mon visage. C’est vrai que c’est la première fois qu’il me voit sans masque. Cependant, ce n’est pas une raison pour rester immobile. Ce n’est qu’une tête parmi tant d’autres.

  • Tu as les yeux verts. C’est étrange, mais ils me rappellent quelque chose.

Je hausse un sourcil en guise d’étonnement et de curiosité. En quoi la couleur de mes iris lui remémore un événement de sa mémoire ?

  • J’ai trouvé ! Ils sont de la même couleur qu’une plante de mon monde d’origine, le lierre !

Le dernier mot de sa phrase me fige sur place. Je suis actuellement partagée entre deux émotions. La première étant la surprise, le Désastre est originaire d’un monde différent du mien, et pourtant ce végétal y est également présent. Tandis que la deuxième est…

  • Hedera ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Ton visage s’est blanchi d’un seul coup.

Décidément, même éloignée de mon monde d’origine, le lierre ne cessera jamais de me poursuivre. Quelle ironie ! Dire que mon propre partenaire me compare à l’horreur que représente cette plante.

  • C-Ce n’est rien, répliqué-je tremblante. Maintenant que tu es propre, nous devrions nous diriger vers le village.

Je prends mon sac d’une main en tournant le dos à mon associé. Ma peur subite se calme doucement. Au fond, il n’y est pour rien, ce n’était pour lui qu’une simple remarque. Quel dommage qu’il n’en soit pas de même pour moi.

  • S’il te plaît, continué-je timidement, sans jeter un coup d’œil à l’arrière. Ne me compare plus jamais avec cette plante, je la déteste.

J’ai beau essayer de me calmer, les frissons sont tenaces. Il faut impérativement que cette peur cesse, sinon mes faiblesses seront dévoilées et Gangrène pourrait s’en servir !

 Soudainement, une main se pose sur mon épaule gauche. Je sursaute, happée par la surprise et tourne ma tête dans la direction où se trouve mon partenaire. Son visage momifié me fait face, l’unique œil sombre du Désastre me sonde avec une expression indéchiffrable.

  • C’est compris. Maintenant, allons demander des informations aux habitants de ce monde. Détruisons cette malédiction au plus vite.

L’étonnement chasse ma peur et s’installe sur mes traits. Pendant un instant, j’ai douté de mon compagnon, j’ai considéré Gangrène comme étant une menace. Pourquoi ai-je eu une telle pensée ? Il est aussi pur qu’un enfant et plein de naïveté. Ou bien, est-ce justement pour cette raison ? Ce comportement m’est étranger, c’est la première fois que je rencontre une personne à l’innocence apparente.

 Ce Désastre a beau posséder un physique repoussant et ténébreux, je le trouve plus lumineux que toutes les personnes de mon entourage. Non, je dois certainement me tromper. Après tout, nous venons à peine de nous rencontrer. Tirer des conclusions hâtives sur son comportement est dangereux. Je ne dois pas oublier l’enseignement des voyageurs : se méfier le plus possible. Les apparences sont trompeuses, surtout dans les autres mondes.

 Dans un sens, on pourrait dire la même chose sur ma personne. Je me force à jouer un rôle, le tout dans le but de cacher mes faiblesses. De cette manière, nul n’aura la prétention de me dominer.

  • Merci. Allons chercher des informations ! m'écrié-je avec un léger enthousiasme.

Au fond, je ne suis pas une sans-cœur, une altruiste, ou encore une coéquipière exemplaire. Peut-être qu’un jour, Gangrène s’en apercevra de lui-même. À ce moment-là, il est fort probable qu’il me découvre en profondeur et finisse par connaître ma véritable nature : celle d’une grande peureuse.

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